DEUXIEME ROUND

 

EMPIRE STATE BUILDING, LE 18 NOVEMBRE, 8 : 30 AM

 

Dans un fracas étourdissant, l’un des soixante-sept ascenseurs de l’immeuble symbolique avait dévalé une trentaine d’étages. En quelques secondes… Les freins de secours avaient lâché. Les cinq occupants étaient morts et les pompiers avaient mis quatre heures à dégager ce qui avait dû ressembler, de si bon matin, à de jeunes hommes d’affaires fringants.

Le F.B.I. était sur les lieux et commençait méticuleusement son enquête. Fallait-il mettre ce mauvais fonctionnement de l’ascenseur sur le compte de la saga financière liée au rachat de l’immeuble, au non-paiement des loyers, à la faillite virtuelle de la société-écran qui avait procédé au rachat? Ou était-ce un attentat ?

L’agent spécial Neil Mulder ne voyait aucune trace d’explosif. Quelques heures plus tard, il devait être fixé. Le système informatique avait complètement merdé et tout avait lâché. Un fâcheux concours de circonstances puisque tous les systèmes de sécurité avaient cassé en même temps. Mais Neil ne croyait pas aux hasards. Surtout lorsque l’un de ses collègues l’appelait sur son portable pour lui signaler un étrange accident à la station de métro Wall Street. Il ne le savait pas encore, mais la journée allait être rude.

 

WALL STREET, STATION DE METRO, LE 18 NOVEMBRE, 11 : 23 AM

 

Nouveau hasard sans doute, le système informatique du métro avait imposé à une rame de s’arrêter à la station Wall Street tout en indiquant au conducteur de la rame suivante, qui se trouvait à la station Fulton Street, de continuer. Résultat, quelques contusions pour les passagers...

 

TOUR DE CONTROLE, AEROPORT KENNEDY, LE 18 NOVEMBRE, 15 : 46 PM

 

- Merde ! je n’ai plus rien sur mon écran. Il est en rade. Joe, prend le relais pour les vols en approche sur la piste 101 ! Vite !

Joe prit le relais...

- Il me semble que j’ai un peu trop de vols en approche...

Les deux contrôleurs du ciel étaient maintenant penchés sur l’écran de contrôle.

- Merde je ne comprends pas, il y a 10 secondes, j’en avais 5, maintenant il y en a 8. Qu’est-ce que c’est que ce bordel ?

En dépit de toute la bonne volonté de l’équipe, de toutes les sécurités mises au point depuis des années, de l’habileté des pilotes, le vol 802 n’avait pu éviter le vol 512 en provenance de San Francisco.

Tous les jours, les aiguilleurs du ciel s’épongeaient le front après un air miss - deux avions qui manquent de se percuter au dessus de l’aéroport en raison d’un trafic trop important - mais là... l’air miss s’était transformé en crash. Pourtant, s’il n’y avait pas eu ce problème d’écran... Mais avec des " si ", on mettrait la " Big Apple " au fond d’une bouteille pour aromatiser un breuvage alcoolisé...

 

" UNE " DU WALL STREET JOURNAL, LE 19 NOVEMBRE

 

Des pannes informatiques seraient à l’origine des trois catastrophes de New York

En quelques heures, la ville de New York a connu hier trois accidents graves. L’un des ascenseurs de l’Empire State Building a fait une chute de 31 étages, tuant cinq personnes. Quelques heures plus tard, une rame de métro devait en percuter une autre à la station Wall Street, sans faire de victimes graves. Pour finir, dans l’après-midi, deux avions se sont percutés en approche de la piste 101 de l’aéroport Kennedy, causant la mort de 108 personnes et en blessant plus de 250.

Le F.B.I., qui a regroupé les trois enquêtes sous la direction de l’agent spécial Neil Mulder, se refuse pour l’instant à toute déclaration. Déjà les familles des victimes se sont regroupées en association et demandent au gouvernement de faire la lumière sur ces accidents. Cette démarche n’est pas sans rappeler celle des familles du vol 800 de la TWA qui s’était écrasé au dessus de Long Island. Les rumeurs les plus folles avaient alors couru sur une possible implication de l’armée dans cette catastrophe. Le silence des autorités et de la compagnie aérienne vis-à-vis des familles avait étoffé la thèse d’un missile égaré.

Selon certaines sources proches de l’enquête, il semble qu’une défaillance des systèmes informatiques soient en cause dans ces trois accidents qui ont endeuillé New York.

Les porte-parole des trois entreprises responsables de la maintenance informatique de l’Empire State Building, du métro de New York et de l’aéroport Kennedy, ont précisé qu’une enquête interne était en cours et que leurs ingénieurs avaient été invités à collaborer avec les enquêteurs du F.B.I..

(suite page 21)

 

WALL STREET, LE 19 NOVEMBRE.

 

En quelques heures, les programmes d’achat automatiques s’étaient déclenché deux fois pour soutenir les cours des trois entreprises chargées de la maintenance informatique de l’Empire State Building, du métro et de l’aéroport. Dans le sillage de leur chute, les trois entreprises avaient entraîné une série de petites sociétés parmi lesquelles, notamment, leurs fournisseurs.

En clôture, l’indice Dow Jones des 30 valeurs industrielles perdait 2,5%, celui des technologiques reculait de 9%. Le lendemain, les bourses européennes reculaient de 1% en moyenne. Les marchés bruissaient de rumeurs sur un groupe terroriste du Moyen-Orient qui aurait pénétré une série de systèmes informatiques américains afin de déclencher des catastrophes, cela en représailles d’un raid aérien israélien au Sud-Liban.

Rien de très sûr bien entendu... Quoi qu’il en soit, la sinistrose gagnait et les journalistes spéculaient. C’est-à-dire, faisaient le contraire de leur travail. Comme souvent. 

 

BUREAU OVALE, MAISON-BLANCHE, 19 NOVEMBRE, TARD DANS LA NUIT

 

Le Président américain fixa les yeux de Samuel Winkle, le Director of Central Intelligence (DCI), son premier conseiller en matière d’espionnage. Le DCI coordonne toute l’activité de l’ensemble des agences regroupées dans la communauté du renseignement. Sans être le patron de toutes ces agences, il est un peu, disons, comme le premier parmi des égaux...

- Quelle est l’importance de ce que nous venons de subir Samuel ?

- M. le Président, nous avons tout lieu de croire que des pirates informatiques se sont introduit dans des systèmes peu protégés et qu’ils y ont semé une belle pagaille. Nous n’avons pas pu déterminer avec certitude leur profil. Il semble toutefois peu probable qu’il s’agisse de gamins dans un garage. Je dois vous dire que nous prenons ce qui est arrivé très au sérieux. S’il ne s’agit pas d’actes isolés - ce que nous croyons -, les scenarii de guerre électronique sont en train de se réaliser. Il nous faudra quelques jours pour trouver la parade. En attendant, cela risque de se produire à nouveau et nous n’avons actuellement aucun moyen de savoir où la prochaine catastrophe se produira. Nos meilleurs analystes sont en train de plancher sur le sujet, mais...

- Vous êtes donc en train de me dire que le gouvernement fédéral attribue chaque année près de trente milliards de dollars à la communauté du renseignement pour des prunes ? Vous n’êtes pas capable de localiser les auteurs d’un vulgaire piratage informatique ? avança le Président sur un ton que Winkel jugea bien trop calme.

- Ce n’est pas si simple M. le Président. Quoi qu’il en soit, l’Infosec, la C.I.A. et la N.S.A. me font remonter des informations qui, bien qu’elles semblent au départ ne rien avoir en commun, nous donnent un début de piste pour la compréhension de ce problème, hasarda Winkle. En bon " diplomate ", il ne dit rien sur le fait que sur ces trente milliards, seuls trois sont destinés à la C.I.A. et que la grande majorité des fonds atterri en réalité dans les caisses des militaires.

- Je dois prendre la parole à la télévision très rapidement. Il me faut du biscuit. La population va rapidement réclamer un coupable et des explications de la part du gouvernement. Trouvez-moi quelque chose et préparez une réunion avec les principaux responsables qui planchent sur cette affaire. Je les veux dans ce bureau le plus vite possible !

 

WALL STREET, LE 20 NOVEMBRE

 

Le marché s’était un peu calmé. On ne perdait plus que 1,5% pour l’indice général et 5% pour les technologiques. L’annonce d’une allocution télévisée prochaine du président avait rassuré les investisseurs. Tout le monde s’attendait à des révélations sur les coupables, s’il y en avait, des trois catastrophes. En Europe et au Japon, les places financières avaient rapidement repris du poil de la bête, les brokers estimant finalement qu’il s’agissait d’un problème purement américain. La " piste " moyen-orientale avait cédé la place à celle des milices d’extrême-droite américaines. L’attenta d’Oklahoma City ayant été " exhumé " par les meilleurs journalistes.

 

PHILADELPHIE, LE 21 NOVEMBRE, FLASH D’INFORMATION DE LA RADIO, 18 : 00 PM

 

(...) Aujourd’hui, de 8 heures 27 du matin à 15 heures 12, un peu plus de 13 millions d’abonnés de la société de téléphone North Communications ont été privés de lignes téléphoniques. Les fax et les lignes spécialisées sont également tombés en panne. Selon les spécialistes, le manque à gagner résultant de cette panne pour les entreprises pourrait atteindre 60 millions de dollars. North Communications s’est engagée à créditer les comptes de chacun de ses clients de sept heures de communications gratuites...

 

QUELQUE PART DANS LES PAYS DE L’EST, LE 21 NOVEMBRE

 

- Ca marche toujours comme prévu. Demain nous dira si nos pièges fonctionnent à plein.

- Les derniers gains ?

- Environ 70 millions de dollars. Mais tout cela est virtuel bien sur puisque nous n’avons pas encore tout revendu. Comme convenu, nous procédons par petits lots et en provenance de plusieurs pays. Le plus drôle est que nous utilisons aussi les services de plusieurs discount brokers au travers d’Internet. Nous avons 50 comptes différents chez eux. On n’arrête pas le progrès...

 

UN DES ARTICLES DE " UNE " DE @NEWS.COM, LE 21 NOVEMBRE A 20 HEURES

 

Plusieurs groupes s’attribuent les catastrophes de New York et la panne de téléphone de Philadelphie

Plusieurs communiqués sont parvenus sous la forme d’e-mails à la rédaction de @news.com, revendiquant la paternité des trois catastrophes de New York et de la panne de téléphone qui a rendu muettes treize millions de personnes à Philadelphie.

Parmi ces textes, trois peuvent retenir l’attention. Nous vous les livrons ici.

- Le premier émane du groupe terroriste Hamas

- le deuxième de la milice Michigan Militia Corps

- Le dernier est signé de la New Kaos Computer Association

Pour l’instant, le F.B.I. refuse de s’exprimer sur la panne de téléphone et ne veut pas lier ce nouvel événement aux catastrophes du 18 novembre.

- Rien ne dit que tout soit lié, mais on ne peut pas l’exclure, nous a déclaré un agent du bureau fédéral d’investigation.

S’il était prouvé que l’un des ces groupes était à l’origine de ces catastrophes, on serait en droit d’obtenir des explications du gouvernement. Les experts sont en effet formels :

-  La politique de la Maison-Blanche est de faire l’autruche. Rien n’est fait en matière de guerre de l’information depuis la chute du mur de Berlin ! J’ai écrit trois livres sur le sujet depuis cinq ans et rien ne se passe, indique le général en retraite John Mc Alister.

 

EXTRAIT DE L’ARTICLE DU WALL STREET JOURNAL DU 22 NOVEMBRE SUR LA PANNE DE TELEPHONE

 

[...] Le lien n’a pas été établi entre la panne qui a privé 13 millions d’utilisateurs de téléphone et les catastrophes de New York. Le F.B.I. reste très discret en attendant l’allocution télévisée du président à la télévision. Les mises en causes de l’Administration par les experts sont de plus en plus dures. Il semblerait que le pays, en dépit de son avance technologique ne soit pas en mesure de lutter contre des attaques informatiques.

[...] Par ailleurs, selon les chiffres de E&F-Analysis, les investissements prévus pour cette année par North Communications (NC) démontrent que cette baby bell est en perte de vitesse technologique par rapport à ses concurrentes. Les structures vieillissantes de NC ne seront en effet sans doute pas remises à neuf avec l’enveloppe d’investissements de 10 millions de dollars prévue pour 2000. A titre de comparaison ses principaux concurrents ont affecté en moyenne 300 millions de dollars pour l’année en cours.

[...]

 

BUREAU OVALE, LE 22 NOVEMBRE, FIN DE JOURNEE

 

- M. Winkle, pouvez-vous me dire comment vous êtes passés à côté de cette modification des chiffres concernant la North Communications dans la base de E&F-Analysis alors que vous… Je veux dire l’Infosec…, aviez vécu in vivo l’attaque des systèmes de la FirstCorp ? s’écria le Président.

- Nous avons vérifié M. le Président, rien n’a été modifié jusqu’au matin de la panne. Il s’agit sans doute d’un bout de programme qui a été déposé et qui a déclenché une modification de cette ligne investissements à l’heure et à la date précise choisie. La FirstCorp, avec notre aide, est en train de vérifier si d’autres bombes à retardement se trouvent dans ses tuyaux.

- Vous avez sans doute remarqué que North Communications a perdu 15% en séance...

- M. le Président, je pense qu’une petite synthèse de l’affaire s’impose.

- Allez-y, je vous écoute avec intérêt. D’autant que je dois faire mon intervention télévisée demain après-midi.

- Le dossier bleu en face de vous reprend les grandes lignes de ce que vous allez entendre. Cela devrait vous servir pour cette conférence de presse.

Bien, j’ai demandé aux différentes agences de me transmettre - quand elles ne l’avaient pas déjà fait - tous les dossiers concernant des tentatives de piratage informatique au cours des derniers mois. nous avons une série de tentatives plus ou moins réussies qui sont sans doute le fait de jeunes pirates. Nous éliminons ces dossiers que vous trouverez en annexe. Par ailleurs, nous avons plusieurs événements récents qui semblent liés entre eux. Nos experts en guerre électronique confirment à 97% que tout cela est lié.

Premier acte, la FirstCorp est victime d’une intrusion que nous suivons en direct. En dépit de nos contrôles, le visiteur laisse un bout de programme qui modifiera à une date et une heure précise une ligne dans la base de E&F-Analysis. Dès l’intrusion, nous savons que le pirate dispose de gros moyens et qu’il est très prudent. On est loin de l’amateurisme M. le Président.

Deuxième acte, un petit malin, tout aussi fort que le premier, poste un rapport plus vrai que nature qui déstabilise en bourse deux entreprises informatiques. Nous n’avons pas décelé de mouvements " inhabituels " sur les actions après leur baisse spectaculaire. On ne sait pas encore si la motivation est financière où s’il s’agissait d’un test grandeur nature de ce qu’ils peuvent faire.

Troisième acte, trois catastrophes secouent New York. Elles touchent toutes des lieux symboliques. Mais je laisserai parler l’agent spécial Mulder sur ce sujet.

Pour finir - s’il s’agit bien de la fin - le système central de North Communications plante, créant une pagaille noire à Philadelphie.

Voilà pour le résumé des événements. Passons à l’analyse. Il semble bien que l’on ait affaire à un groupe de personnes dont les moyens sont très importants. Pour déclencher les événements de New York, il faut une base arrière et des hommes. Ces hommes doivent avoir un niveau très élevé en téléphonie et en informatique et il y en a peu. Deux milles tout au plus sur la planète. On est en train de les localiser - lorsque c’est possible. Il faut aussi de gros fonds. Et quelques mois, au moins, de préparation.

Leurs motivations peuvent être de plusieurs ordres. On peut déceler un aspect financier dans le premier et le troisième acte. Mais aussi un aspect politique dans le deuxième. Sur ce point, je laisse la parole à M. Neil Mulder.

- Merci M. Winkle. Revenons donc à nos attentats...

- Excusez-moi M. Mulder, votre nom...

- M. le Président, mon nom est Neil Mulder et je n’ai pas inspiré Chris Carter pour son personnage de Fox Mulder. Mais je vous rassure, M. le Président, vous n’êtes pas le premier à me poser ce genre de question. Généralement, je réponds que j’ai trop de travail pour jouer avec des extra-terrestres en plastique. Neil esquissa un sourire pour faire passer cette dernière remarque. Bien, si vous le permettez, je vais vous expliquer ce que nous savons sur les trois catastrophes de New York. Il s’agit bien d’interventions extérieures sur les systèmes informatiques. Pour l’instant, il nous est impossible de dire d’où viennent nos méchants. Quoi qu’il en soit, nos experts estiment que le but poursuivi est une déstabilisation des autorités. En effet, il n’y a rien à gagner à faire tomber un avion ou un ascenseur. Sinon prouver que le gouvernement et les autorités au sens large sont incapables de protéger les citoyens contre des attaques de ce genre. Vous noterez que les critiques en ce sens se font de plus en plus précises dans la presse. J’ai joint en annexes quelques coupures de presse dont un article de @news.com et un autre du Wall Street Journal. La déstabilisation politique nous ferait pencher pour l’une ou l’autre des revendications reçues par la presse. Mais pris dans leur ensemble, tous ces événements montrent plutôt qu’il y a derrière tout cela un groupe d’hommes très déterminés qui cherchent autre chose. Je penche pour une motivation financière. La tentative de pénétration dans le réseau de la FirstCorp milite en ce sens. Ajoutons à cela que la déstabilisation politique peut servir un but financier. Les marchés boursiers anticipent. Ils réagissent à la moindre chose. Certains investisseurs peuvent, si d’autres catastrophes se produisaient, se retirer des marchés américains et entraîner une chute importante. Il ne reste plus qu’à acheter bas pour engranger des plus-values dès que l’on décide de vous laisser tranquille, vous et votre gouvernement.

Alan Jones, le directeur du F.B.I. resta muet et opina. Il avait la réputation d’être un patron confiant. En ce sens qu’il savait déléguer à ses meilleurs hommes en leur donnant carte blanche.

- Tout cela ne me dit pas qui est derrière tout cela et comment vous comptez mettre un terme à ces agissements...

- M. le Président, si vous me permettez...?

- Allez-y M. Irving, nous vous écoutons.

John Irving, directeur de la puissante N.S.A. ne jeta même pas un regard aux autres personnes réunies autour de la table et avala lentement une gorgée de café avant de se lancer. Il semblait manifester par cette attitude qu’il n’était pas pressé de répondre au président des Etats-Unis. Une façon sans doute de montrer l’étendue de son pouvoir.

- Nous avons peut-être un moyen de trouver qui se cache derrière l’un des événements dont nous venons de parler, mais cela prendra en tout état de cause du temps. L’un de nos meilleurs informaticiens cherche à savoir qui a posté le faux rapport dans les newsgroups. Pour l’instant, il est remonté à deux remailers et quatre serveurs de mail...

- Pourriez-vous traduire cela en termes plus clairs, M. Irving ?

Le Président était un fanatique des nouvelles technologies de l’information et plus particulièrement d’Internet, c’est du moins ce qu’il laissait entendre à la presse aussi souvent qu’il le pouvait, mais il ne fallait tout de même pas lui demander de savoir ce qu’est un remailer...

- Pour être plus clair, notre homme a remonté le chemin effectué par le message trouvé dans le groupe de discussion en partant de l’adresse de l’expéditeur. Il est tombé en premier lieu sur un serveur dont l’activité est de rendre anonyme un message. Une fois qu’il a retrouvé l’adresse originale, il a continué ses recherches pour tomber sur un deuxième serveur de ce type. Je vous passe les détails sur les difficultés rencontrées pour retrouver les adresses initiales. Bref, il est encore remonté à un premier serveur de courrier électronique, cette fois classique, mais non sécurisé. Résultat, notre " méchant " a utilisé ce serveur pour s’attribuer une fausse adresse électronique. Et ainsi de suite. Nous en sommes donc à deux remailers et quatre serveurs de mail de deux entreprises qui n’ont rien à voir avec tout cela. Cela risque de prendre encore quelques jours pour remonter à la véritable source, si toutefois on ne tombe pas sur un os au milieu de la recherche. Il est parfois difficile de forcer les administrateurs de serveurs à nous aider. Il suffirait de tomber sur un serveur situé dans un pays ennemi pour que cela ralentisse notre travail d’une journée au moins. Bien. Si nous retrouvons l’expéditeur du message, nous avons plusieurs options. Voici la première : nous sommes dans un pays ami et nous pouvons lui mettre la main au collet avec l’aide la police locale. On le rapatrie et on le retourne. Deuxième option : on est en terrain ennemi. Dans ce cas de figure, on procède à une extraction avec l’aide de nos agents locaux ou du Directorat des opérations de la C.I.A.. Il semble difficile de monter une opération de retournement sur place. Dernière possibilité, on ne trouve pas le méchant. Ce que je ne peux pas exclure à ce stade. Et bien, dans ce cas, il nous faut remonter la filière des catastrophes si cela est possible. En attendant, nous nous sommes branchés sur les réseaux des principales places boursières amies et nous décortiquons toutes les transactions sur les sociétés qui ont été visées. Notamment North Communications. Pour l’instant, cela n’a rien donné de concluant. Mais on pourrait peut-être croiser avec le résultat de la recherche sur l’expéditeur du message, si cela aboutissait.

- Merci M. Irving. En attendant que tous vos efforts soient couronnés de succès messieurs, que comptez-vous faire pour passer à la contre-offensive ?

Le directeur de la C.I.A. qui était resté silencieux jusque là prit la parole. William T. Anderson, tiré à quatre épingles, comme toujours, se pencha lentement en avant et désigna l’homme assis à sa droite.

- Je vais laisser la parole à Derek Olmes, notre directeur des Psyops, les opérations psychologiques. Il travaille depuis quelques jours à la mise en œuvre d’un scénario de réplique préparé l’année dernière sur la base des recommandations des meilleurs experts, dont ceux de la National Defense University et du Think Tank de la Rand Corporation. Il ne nous manque que votre feu vert, M. le Président.

- Expliquez-moi en quoi cela va consister.

Derek Olmes, un petit homme un peu rond et flanqué d’une paire de lunettes rondes aux verres très épais, prit la parole.

- Voilà M. le Président, nos méchants cherchent pour l’instant deux choses : déstabiliser les autorités et gagner de l’argent sur les marchés financiers. Pour l’instant, ils s’en tiennent à des marchés simples. Nous pouvons agir facilement pour les contrer. Par exemple, il est tout à fait possible, avec la complicité de la S.E.C. et des places, de soutenir les cours artificiellement. Pour ce qui est de la déstabilisation politique, c’est plus difficile. Mais nous avons également une série de parades. Cependant, il nous faudrait quelques informations sur les auteurs ou sur leur pays d’origine pour être efficaces à 100 %. Nous vous avons rédigé un texte pour votre allocution que vous pourrez bien entendu modifier à loisir, mais je vous engage tout de même à soumettre vos modifications à l’un de nos agents. Deuxième temps, nous allons activer quelques journalistes amis qui vont se fendre de reportages favorables. Troisième temps, nous allons laisser filtrer sur le réseau et dans la presse classique quelques informations qui devraient angoisser nos méchants. Ce n’est pour l’instant qu’un coup de bluff, mais qui peut marcher. Je vous passe les détails qui seraient sans doute soporifiques.

- Merci messieurs. Au travail donc. Je vais de ce pas me pencher sur ce texte que vous avez rédigé et préparer mon intervention de demain.

- M. le Président s’il vous plaît, une dernière chose... Demain, essayez d’avoir l’air en pleine forme et n’hésitez pas à faire de l’humour. Il faut que l’on vous croit le plus détendu possible...

- Bien entendu M. Olmes.

Les hommes réunis dans cette salle, parmi les plus influents du monde, se retirèrent en silence, en se saluant discrètement.

 

PARIS, SIEGE DE LA FINANCE, 23 NOVEMBRE

 

Le téléphone portable de Pierre sonna.

- Bonjour c’est Dominique. On peut se voir ?

- Bien sur... Où ?

- Vers treize heures, au bar de l’hôtel Crillon.

- OK.

- A plus tard.

 

PARIS, HOTEL CRILLON, 23 NOVEMBRE

 

- Bonjour Dominique.

- Bonjour Pierre. vous avez droit aux félicitations silencieuses du gouvernement. Vous avez levé un beau lièvre. Bien plus gros que ce que vous aviez imaginé. Nous ne sommes pas au courant de tout car nos amis américains ne nous disent bien sur pas tout, mais bon... On n’est pas complètement out quand même.

- Vous m’intriguez Dominique.

- Bien, pour ce qui est de la FirstCorp, vous aviez raison. Cela, nous le savions déjà et nous avions un œil sur leurs activités, même si nous n’avons pas pu empêcher le rachat de la Saadaf. L’histoire actuelle semble plus grosse. J’imagine que vous avez lu comme moi l’histoire de la North Communication qui chute en bourse après une modification de chiffres dans la base de E&F-Analysis et une panne de quelques heures ?

- Oui, bien sur. Merde, c’est vrai ça, E&F fait partie de FirstCorp...

- Exact. Mais les problèmes informatiques aux Etats-Unis se multiplient à un point qui nous inquiètent. Trois catastrophes à New York, le coup de la NC et une petite opération antérieure de désinformation qui a retenu notre attention. Mais là, nous ne sommes pas surs qu’il s’agisse du même jeu. Il semble en fait, et nos correspondants à la C.I.A. nous l’ont confirmé, que des petits malins aient déclenché une guerre de l’information. On en est au deuxième round si j’ai bien compté les reprises. Pour l’instant, le gouvernement américain perd. Même s’il est loin d’être K.O.

- Bien. Et nous dans tout ça ?

- Nous ? Rien. On se contente de regarder la Bourse suivre les soubresauts de Wall Street. Tu sais, jusqu’ici, toute la maison se moquait de da Silva quant il parlait de guerre de l’information, de réseaux et de nouveaux ennemis. N’oublions pas que la guerre froide est une période récente. Les hommes n’ont pas été renouvelés. Tu comprends... La majorité des chefs estime que le danger est toujours à l’Est. C’est un peu vrai, mais les ennuis peuvent arriver d’ailleurs...

- Dominique, quelles sont nos capacités dans une guerre comme celle là et quelles sont les alliances ? Je veux dire que, pendant la guerre froide, on avait les Etats-Unis, la France, la Grande Bretagne, etc., qui marchaient ensemble. Depuis, vous - enfin, vous... Quelqu’un... - a noué des alliances en cas de guerre électronique ?

- Non. Pour l’instant, les informations filtrent doucement. On va voir ce que dit Bill Clinton. Il doit s’exprimer à la télévision en fin de soirée pour nous et début d’après-midi pour eux.

- Comment se peut-il que l’information financière ait été concentrée en si peu de temps dans une seule main avec un appui - semble-t-il - du gouvernement américain et que personne ne s’en soit offusqué ?

- Ecoute Pierre. Quant on a un président de la république qui ne sait pas ce que c’est qu’une souris d’ordinateur, qu’il succède à un Président malade pendant des années...

- Hum...

- Personne ne voulait que l’on réfléchisse à des scenarii de riposte à une guerre de l’information jusqu’ici. Mais je peux te dire que les mentalités ont changé du tout au tout en quelques heures. On a réuni vingt-trois personnes qui planchent depuis maintenant... il regarda sa montre, à peu près 18 heures en se relayant. En gros, on a essayé de prévoir les prochains mouvements et on a imaginé des parades. Par ailleurs, on a convoqué le président de la Saadaf et on le passe sur le grill. Jusqu’ici il a avoué avoir réalisé trois études sur des secteurs économiques français sous l’égide de la C.I.A., il a avoué... Enfin bref... Je ne peux pas t’en dire beaucoup plus.

- Et ben... Quand je pense que La Finance est cliente de filiales de la FirstCorp et que personne n’a rien vu...

- Je te rassure, on n’a pas été bien meilleurs que les journalistes.

- Bon... on se tient au courant ?

- OK.

Les deux hommes se séparèrent, Dominique se dirigea vers le bar pour régler l’addition, tandis que Pierre reprenait le chemin du journal. Dans le métro, il relit les articles de Jean sur les baisses de Wall Street et se dit que l’on pourrait faire un peu plus documenté avec les informations qu’il avait recueillies. Mais il se ravisa et se dit qu’il valait sans doute mieux attendre un peu avant de balancer cette histoire.

 

SALLE DE PRESSE DE LA MAISON-BLANCHE, LE 23 NOVEMBRE.

 

Le Président entra, l’air détendu, échangea quelques mots avec les journalistes accrédités et plaisanta même. Il raconta à l’un des journalistes la dernière histoire drôle qui circulait à Washington sur son compte :

- Bill Clinton entre dans un bureau et une secrétaire qu’il n’a jamais vue lui demande 1 million de dollars pour aller faire ses courses. Le Président met la main dans sa poche, sort sa carte bancaire et la tend à la secrétaire. Au moment où leurs mains se croisent, la secrétaire dit, merci M. le Président, maintenant ça fait deux millions... Le Président lui dit qu’il veut bien être gentil, mais que 1 million c’est déjà beaucoup pour aller faire des courses. Et la secrétaire lui dit : oui, mais maintenant vous m’avez touché la main alors que je ne le souhaitais pas. Donc je peux vous attaquer pour harcèlement sexuel avec cette circonstance aggravante que vous avez mis la main dans la poche avant...Maintenant, je peux vous demander beaucoup, beaucoup plus.

Après un sourire franc et un clin d’œil, le Président regarda une femme journaliste au Wall Street Journal et dit :

- Surtout ne dites pas à ma femme que cette histoire est vraie, elle pourrait me tordre le coup pendant mon sommeil.

Après avoir entendu cette blague machiste, le petit attroupement, y compris la femme journaliste, s’esclaffa avant de se disperser dans la salle de presse. Le président se dirigeait vers le pupitre.

La conférence de presse débuta.

- Mesdames et messieurs, depuis quelques jours, une série de catastrophes et de pannes informatiques ont secoué notre pays. Ma pensée va avant tout aux familles des victimes.

Je voulais vous dire que nos services ont identifié les différents auteurs de ces attaques d’un genre nouveau contre notre patrie. Des arrestations sont à prévoir dans les jours qui viennent. Cependant, les auteurs se trouvant en Europe, les formalités administratives ralentissent notre action. Mais, je vous le redis, il s’agit d’une question de jours. Je voudrais rappeler ici que les Etats-Unis sont le pays le plus avancé en matière de technologies de l’information. La Silicon Valley est enviée dans le monde entier, de même que nos chercheurs dans toutes les universités du pays. Nous avons, outre ces arrestations à venir, les moyens de riposter contre des pays s’il s’avérait qu’ils ont soutenu ces agissements. Et croyez-moi, notre riposte serait très largement à la mesure des actions intentées contre notre pays. Elle ne toucherait pas directement la population civile, mais l’économie du pays cible serait immédiatement ruinée. J’engage donc les autorités de ces éventuels pays à réfléchir aux conséquences.

Je profite par ailleurs, de cette conférence pour demander aux investisseurs de ne pas succomber aux rumeurs qui peuvent circuler sur les marchés. Nous avons tout lieu de penser que les auteurs des attaques contre les Etats-Unis s’en prennent également à nos entreprises par le biais de la désinformation.

Merci. Je vais maintenant répondre à quelques questions.

La journaliste du Wall Street Journal se leva :

- M. le Président, vous indiquez que des arrestations sont à prévoir dans les jour à venir. Pouvez-vous nous dire si les attaques provenaient d’éléments isolés, d’un pays en particulier ou d’une organisation ? En un mot, pouvez-vous être un peu plus précis. Par ailleurs, vous parlez de désinformation sur les marchés financiers. Nous aimerions en savoir un peu plus. Enfin, pensez-vous que tout cela va cesser avec les arrestations prévues, ou doit-on s’attendre à une recrudescence des attentats informatiques ?

La série de questions posées par la journaliste avait, comme au cours de toute conférence de presse, provoqué deux types de réactions de la part de ses confrères. Une partie d’entre eux était soulagée de ne pas avoir à poser toutes ces questions, l’autre regrettait de s’être " fait piquer " LES questions.

- Il s’agit, selon nos informations, d’une organisation. Nous sommes en train de vérifier qu’aucun pays n’a soutenu financièrement ou sur un plan logistique, ces personnes. Pour ce qui est des marchés financiers, je peux simplement vous dire que nous avons décelé au moins deux opérations de désinformation qui ont fait chuter les cours d’entreprises, entraînant la cote entière à la baisse. Enfin, les arrestations à venir devraient mettre un terme à ces actions. Nous ne pouvons toutefois exclure une action désespérée de cette organisation.

Le flot des questions dériva lentement jusqu’au terrain politique classique avant que le Président ne mette un terme à la conférence.

Derek Olmes attendait le Président dans le bureau contigu à la salle de presse.

- Bravo M. le Président, vous avez été parfait.

- Merci M. Olmes. Croyez-vous que cela va être efficace ?

- C’est exactement comme dans une partie de poker M. le Président. Soit ils se croient découverts et nous les poussons ainsi à la faute, soit ils n’y croient pas et cela n’aura servi à rien. Quoi qu’il en soit, nous avons semé le doute dans leur esprit et des fissures devraient se dessiner dans la structure de leur organisation. En fait, certains vont demander un ralentissement dans le programme des activités, d’autres ne voudront pas baisser les bras. Bilan, ils vont s’engueuler.

- Que se passe-t-il s’ils n’y croient pas, que vous n’arrêtez personne et que les attaques reprennent ?

Olmes laissa échapper un " hum… " et chercha du regard le directeur de la C.I.A..

- C’est une éventualité, mais nous commençons à maîtriser les média. Les choses vont donc de mieux en mieux sur un plan de l’information. En ce qui concerne les risques de nouvelles attaques, nous avons préparé le terrain pour une réponse : l’acte désespéré, avança William T. Anderson. Le patron de la C.I.A. était toutefois assez content de savoir que les services secrets n’avaient pas encore inventé un " machin " permettant au Président de lire dans les pensées de ses interlocuteurs.

- Bien messieurs, je crois que nous allons tous nous remettre au travail. Tenez-moi au courant à n’importe quelle heure du jour et de la nuit de tout élément nouveau.

- Je voudrais ajouter une chose M. le Président. Tout le monde finit par commettre des erreurs. Pour l’instant, il semble qu’ils n’en aient pas fait une seule. Mais cela viendra, avança Samuel Winkle, qui était resté silencieux jusqu’ici.

- Espérons M. Winkle... Espérons, conclut le président en s’avançant vers la porte.

- Juste un détail messieurs...

Alan Jones, le patron du F.B.I. qui avait, comme à l’accoutumée laissé parler les hommes du renseignement, avait un air grave...

- Je voudrais vous rapporter une réflexion de l’agent Mulder. Jusqu’ici, les attaques que nous avons subies ont plus ou moins un but économique. En ce sens que, s’ils se débrouillent bien, ils peuvent ramasser quelques plus-values sur les marchés après leurs actions. Quant aux actions de déstabilisation des autorités, elles n’ont pas provoqué beaucoup de morts... Avez-vous imaginé qu’ils puissent se payer le luxe d’une attaque extrêmement meurtrière pour le plaisir de nous montrer l’étendue de leur pouvoir ?

- C’est une possibilité et nous travaillons bien évidemment là-dessus, trancha Anderson. On pouvait lire dans son regard son mépris pour la police. Il considérait les agents du F.B.I. comme de simples policiers et, par extension, comme des imbéciles.

La réunion prit fin.

 

PARIS, SIEGE DE LA FINANCE, LE 23 NOVEMBRE DANS LA NUIT.

 

Le téléphone de Pierre sonna.

- Allô ?

- C’est Dominique. Tu as suivi la prestation du président américain ?

- Oui. Je vote pour un coup de bluff. Tu sais, je connais assez bien les problèmes de sécurité du réseau pour savoir que l’on ne peut pas retrouver aussi facilement les auteurs d’une telle opération. En revanche, il a été très fort. Détendu mais suffisamment sérieux pour ne pas choquer les familles des victimes, faisant appel à plusieurs reprises à la Nation, au patriotisme américain... Le concept de la menace extérieure est très bien utilisé.

- Oui, de même que la menace de réplique. Réplique propre, pas d’attaques contre les civils. On a vu ce que cela donnait pendant le conflit du Golfe... Mais c’est le même principe. On est les meilleurs et on va vous le montrer.

- Dominique, ne me demande pas comment je le sais, mais il va y avoir d’autres attaques, peut-être pas seulement aux Etats-Unis et si les méchants peuvent continuer selon leurs plans, on va arriver à quelque chose qui, économiquement, ressemblera à 1929.

- OK, je ne te demande pas comment tu le sais, mais tiens moi quand même au courant si tu as d’autres infos. De notre côté, le président de la Saadaf a accepté de nous donner toutes les infos en provenance des Etats-Unis qu’il pourra récolter sur la situation. Je crois qu’on l’a bien retourné. Tu me diras c’était assez facile. Il a fait pipi dans son pantalon quand on l’a menacé de... Enfin bref, je te passe les détails. Mais cela devrait nous permettre de savoir un peu mieux ce qui se passe de l’autre côté de l’Atlantique.

- OK, à plus tard.

- Salut.

Pierre raccrocha mais le téléphone sonna immédiatement.

- Allô ?

- Salut Pierre, c’est André. J’ai peut-être une bonne information pour toi.

André Marceau, vieux copain et " professeur " en matière d’Internet pour Pierre, était l’un des dirigeants de TechnoNet, un entreprise spécialisée dans la sécurité des réseaux. Avec une grande prédilection pour les réseaux IP et donc, Internet.

- Comment vas-tu depuis hier ? Tu as écouté le président américain ? Ah, à propos, il y a des gens qui planchent à la D.S.T., tu en fais partie ?

- Ben... dans l’ordre, je vais plutôt bien, même si j’ai peu dormi, j’ai écouté Clinton, il raconte des conneries et je sais qu’il y a des gens qui planchent à la D.S.T. et j’en fais partie indirectement. Mais je t’appelle pour autre chose. Une de mes amies qui vit à Amsterdam a été draguée lors d’un dîner par un jeune freluquet qui, une fois bien bourré, lui a raconté qu’il était si fort en informatique, qu’il pourrait détruire les réseaux de la C.I.A. s’il le voulait. Elle est consultante en sécurité Internet et me dit que le discours du gars se tenait, même s’il était bien allumé. Bref, elle me dit que cela peut valoir la peine de faire quelque chose pour en savoir plus. Tu as une idée ?

- Laisse-moi réfléchir quelques instants... Ecoute, soit on met cela dans les mains de la D.S.T., soit on fait quelque chose de notre côté.

- Je penche pour une solution mixte.

- OK, je vois ce que l’on peut monter et je te repasse un coup de fil. En attendant, dis à ta copine de ne pas lâcher le gars, tout en restant très éloignée pour l’instant. Les enjeux sont trop gros pour qu’ils laissent quelqu’un venir fouiller dans leurs poubelles.

- Ca marche, on se rappelle.

En raccrochant, Pierre pensait en lui-même : " fait chier d’être là un samedi soir alors que je pourrais... " quand il vit l’intitulé d’un nouveau message dans sa boite aux lettres : What do you think you know ?. Signé : Bill Clinton

 

QUELQUE PART EN EUROPE DE L’EST, LE 23 NOVEMBRE EN FIN DE NUIT.

 

L’écran vomissait inlassablement les images en provenance du monde entier. C.N.N., la chaîne d’information américaine continue était véritablement une invention extraordinaire. Tout un chacun pouvait savoir à tout moment ce que les autorités américaines pensaient. Il suffisait de savoir décoder les messages...

Les images créaient une série de lueurs étranges qui donnaient à la pièce un aspect fantasmagorique. On avait l’impression de se trouver dans le bureau du diable ou, à tout au moins, dans un film noir.

Jack se tourna vers son " associé ".

- Bon, résumons-nous. Le discours de Clinton t’inquiète Joe. Simplement d’ailleurs, parce qu’il a parlé d’Europe. Pour l’instant, il n’a pas parlé de pays précisément. Pour moi, ils nous font un coup de bluff classique. Nous savons toi et moi pourquoi il parle d’Europe. Parce qu’ils ont pu suivre notre trace jusque en Islande lors de la pénétration dans les systèmes de la FirstCorp. Il parle d’arrestations... Encore faudrait-il qu’ils puissent remonter jusqu’à la Velde B.V. et après, jusqu’à nous. Mais tu as raison, il faut réunir un conseil. Nos amis ont le droit à la parole. Même si la notre a plus de poids.

L’interlocuteur de Jack se gratta la nuque.

- Je crois finalement que tu as raison. Nous sommes les meilleurs non ? Nous avons appris à tous ces ignares ce qu’ils pourraient faire de ce réseau alors que personne n’en parlait encore à part quelques informaticiens ou chercheurs. Et encore... L’argent sale était traqué partout et ils ne savaient pas comment réagir. Les cartels d’Amérique du Sud se demandaient si la drogue pourrait continuer à produire de telles plus-values longtemps. Ils avaient compris le fonctionnement des marchés financiers pour blanchir des fonds, mais ne savaient pas optimiser leur utilisation de la finance. De ce côté-ci de l’Europe, on traficotait de l’uranium, de la drogue ou on faisait peur aux patrons pour leur demander de l’argent contre une protection. Tout cela était bien petit comparé à ce que nous pouvons faire. Nous allons mettre à genoux les pays du G-7 et les faire payer pour leur tranquillité. Ce n’est pas merveilleux ?

Je suis d’accord avec toi jusqu’ici. Sauf que nous avons fédéré des groupes très influents, financièrement parlant, au travers de la planète. Encore faut-il qu’ils restent soudés. De plus, il faut que les pays du G-7 ne nous envoient pas leurs armées sur le dos.

- Oui, et justement, on a bien fait de commencer nos opérations en s’attaquant aux Etats-Unis. Ils n’ont pas bonne presse avec leurs envies d’imposer un nouvel ordre mondial. Le fait de les attaquer les uns après les autres évite également des échanges d’informations entre les pays en question. Mais je veux bien convoquer un conseil.

- Faisons-le, cela permettra au moins de savoir ce qu’ils ont en tête et éviter qu’ils ne fassent des conneries... Même s’ils ont été prévenus et mis en condition d’accepter une riposte des Etats-Unis, je ne veux pas que tout parte en couilles pour quelques coups de tête. Il faut qu’ils gardent leur calme et le secret absolu.

Les deux hommes se mirent à rédiger un message électronique qu’ils cryptèrent soigneusement à l’aide de PGP (Pretty Good Privacy) avant d’entrer manuellement les adresses électroniques. Aucune de ces adresses n’était inscrite où que ce soit. Encore moins dans un serveur de mailing lists... Les messages furent postés et partirent aux quatre coins de la planète. En quelques minutes, ils se trouvaient dans les serveurs de mails ad hoc. Le premier à recevoir sa convocation à un conseil fut Juan Contreras, un trafiquant du Cartel de Cali.

 

CALI, COLOMBIE, LE 23 NOVEMBRE, MILIEU DE LA NUIT

 

Juan avait amassé plus d’argent qu’il n’en faudrait à la moitié des habitants de son pays pour vivre pendant plusieurs générations. Toutefois, il ne faisait plus attention depuis longtemps au nombre de zéros alignés derrière des 1 (ou d’autres chiffres) sur ses comptes en banque. Toujours plus... La coca continuait de pousser aussi bien que le café dans les montagnes, la transformation de la plante en poudre blanche était toujours aussi facile, ou presque, et ces " enfoirés " de gringos américains consommaient toujours autant de poudre. Et quant il y a un marché, autant être dessus lâchait Juan à qui le lui demandait. D’ailleurs, il disait cela aussi à ceux qui ne lui demandaient rien.

Juan Contreras était un " self-made man ". Il était imbu de lui-même à souhait, vulgaire, tueur (parfois par procuration) à ses heures, bref, une vraie caricature de trafiquant de drogue. Quoi que... Parfois, la caricature rejoint la réalité, ou l’inverse.

La convocation à un conseil ne le surprit pas, il avait suivi les derniers événements en se délectant de ce que l’on pouvait faire avec de simples ordinateurs. Comment lui et ses " confrères " de Medellin n’avaient-ils pas pensé à cela plus tôt ? Il se rappelait les sommes astronomiques dépensées pour corrompre tel ou tel fonctionnaire américain, pour détruire telle ou telle réputation, histoire de saper le moral de l’administration américaine, les risques pris pour frapper l’ennemi...

Il avait également suivi le discours du président américain. Même s’il n’était pas inquiet - les Américains sont des grandes gueules " sin cojones ", pensait-il - il savait qu’il y avait sans doute un certain nombre de choses à discuter et qu’il allait sans doute falloir allonger un peu plus de " pasta ".

Il décrocha son téléphone portable.

- José, viens ici dans mon bureau le plus vite possible.

- Voy, lança l’interlocuteur.

La voix de José Ibañez, le comptable de Juan, laissait transparaître à la fois du respect et de la crainte. Il avait vu son patron loger une balle dans la tête de plusieurs personnes qui l’avaient trahies sans sourciller. Et cela était ce qu’il y avait de plus propre. Il l’avait également vu tuer un enfant devant son père et sa mère... Mais cette fois-là, José avait cru sentir une forme de remords dans la voix de Juan après l’événement...

Deux heures plus tard, José entrait dans le bureau de son patron.

- Que puis-je faire pour vous ?

- Je vais avoir une réunion prochainement pendant laquelle on risque de me demander un investissement important. Les fonds devront être d’origines très diverses, être divisés en petites sommes. Je veux savoir de combien on peut disposer - au maximum - en quelques heures. Par ailleurs, je voudrais que vous fassiez un saut chez notre ami de New York pour encaisser du liquide. Il nous doit quinze millions de dollars si je me souviens bien ?

- C’est à peu près cela Monsieur.

- Vous rapatrierez cela par le moyen habituel. Prenez avec vous les hommes qu’il vous faut si vous pensez que notre ami peut nous opposer une quelconque résistance. Je veux ces fonds et je ne peut tolérer le moindre retard à partir du moment où vous les lui aurez demandés. Pour être payé, il faut être craint et respecté. Tout est compris ?

- Oui Monsieur.

- Vous partez dans quelques heures par le premier vol. En attendant, préparez-moi une note sur les sommes disponibles.

- Bien Monsieur.

José monta à l’étage, dans la pièce où il travaillait lorsqu’il devait faire l’inventaire des fonds de Juan. Quelques écrans leurres scintillaient sur une table et crachaient doucement les cours des principaux marchés financiers de la planète. Derrière la bibliothèque qui ornait tout un mur, ceux qui savaient comment actionner un subtil et discret mécanisme pouvaient trouver une porte blindée. Dans ce coffre-fort d’un genre particulier, se trouvait une pièce capitonnée de quinze mètres carrés où ronronnaient tranquillement deux gros ordinateurs. Ceux de la comptabilité. Par ailleurs, on trouvait là, entre autres choses, des micro-ordinateurs, des modems, des lignes spécialisées, des téléphones cellulaires, un téléphone par satellite, une série d’écrans...

José se pencha pendant quelques heures sur les écrans et imprima un tableau récapitulatif accompagné d’un texte de trois pages avec ses préconisations. Même au sein d’un bloc d’avoirs liquides, on ne vendait pas n’importe quoi n’importe comment. Surtout à Cali.

Il jeta un regard à un fil qui pendait d’un micro-ordinateur et pensa à nouveau à la vie qu’il pourrait avoir s’il ne travaillait pas dans cette pièce pour cet homme-là. Le bip émis par sa montre le tira de ses réflexions. Il fallait encore qu’il aille prendre une douche, se raser de près, faire une petite valise, prévenir deux gros bras et qu’il arrive à temps pour l’avion.

Il lança un programme permettant de se connecter à l’IRC sur l’un des micros, se connecta sur la conférence #protons sous le pseudo " Zeus ", vérifia que " John_Doe " était présent, écrivit " je suis ici ", sauta dans la conférence #fuckem sous le pseudo " Apollon " et écrivit " aujourd’hui 0800p ". John Doe comprit que José serait là à 20 heures pour se faire payer et composa un numéro de téléphone pour prévenir celui qui allait devoir payer. Son rôle s’arrêtait là. Comme José, il savait qu’aucun policier au monde ne pourrait avoir surpris ces messages. Encore moins en comprendre le sens.


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