EL PELOTAZO

 

PARIS, SIEGE DE LA FINANCE, LE 15 DECEMBRE AU MATIN

 

Pierre avait un mal de crâne conséquent. La lueur de son écran de si bon matin lui était presque insupportable. De plus, il subodorait que des tonnes de problèmes allaient lui tomber sur le coin de la figure dans la matinée. Un petit autocollant de couleur collé sur son écran lui avait en effet indiqué dès son arrivée qu’il était convoqué chez le grand chef dans la matinée. Il se dit en ouvrant son logiciel de messagerie que le Rédac’chef pourrait se mettre un jour à l’e-mail et laisser tomber les Post-It… Ou alors, changer de secrétaire ? Le sujet de son premier mail lui était désormais familier.

Subject: What do YOU think you know?
Date: Sun, 15 Dec 1999 13:26:02 +0100
From: Bill Clinton bclinton@whitehouse.gov
To: pmartinie@lafinance.fr

Bonjour et merci de me lire…, comme toujours.

Vraiment, ce n’est pas très aimable. Vous avez fait preuve d’une grande habileté, ce dont je vous félicite. Toutefois, en " sauvant " le serveur du Nasdaq d’un naufrage, vous m’avez empêché de gagner une somme conséquente.

Mais je ne peux vous en vouloir. D’ailleurs, quelques millions de plus ou de moins… Cela ne fait plus aucune différence.

Bravo donc pour vos réussites. Et vos conneries monumentales. Je vous avais pourtant mis en garde. Vous avez coupé les bras de l’hydre, mais sa tête (Etes-vous féru de mythologie grecque ? Appelons cette tête Janus…) est toujours très bien accrochée. Elle va bientôt relancer tous les membres de l’organisation pour recréer des bras. Ils vous frapperont à nouveau…

Bonne nouvelle toutefois, il me semble que votre taupe sera bientôt contactée.

Sur ce, je vous laisse à votre méditation.

Bien amicalement,

Bill.

La tête dans les nuages, imaginant Neil et Dominique à Amsterdam en train de courir derrière Jim, Pierre entra dans le bureau du Rédacteur en chef de La Finance.

Il se félicita d’avoir avalé deux aspirines une demi-heure plus tôt.

Le Rédac’chef avait la fâcheuse habitude de fumer cigare sur cigare. De bons cigares, mais des cigares tout de même. Et le matin, Pierre avait du mal à en supporter l’odeur.

- Assieds-toi Pierre.

- Dis-moi, où en es-tu de ton enquête sur la FirstCorp ?

- Beeennnn…

- Et bien quoi ?

- Tu sais, je suis tombé sur un truc assez incroyable. Tous nos soupçons ont été confirmés par mes sources. La FirstCorp est une émanation du Pentagone. Disons que l’on peut dire cela même s’il s’agit d’une entreprise privée. Pour être très précis, je dirais une excroissance du Pentagone. Mais le problème c’est que jusqu’ici, on ne peut pas leur reprocher grand chose. Ils sont clean. Je peux donc écrire un article, mais, au pire, on risque un procès pour diffamation… Au mieux, ce sont les lecteurs qui ne comprendront pas pourquoi on leur pond un papier sur ce sujet.

- Tu es en train de me dire qu’en un mois tu n’as rien trouvé de plus. Merde, je te paye pour quoi faire Pierre ?

- Eh, oh, chef, j’ai trouvé des trucs, je te dis que j’ai confirmé tous mes soupçons. Pour quelqu’un comme toi ou moi, cela veut dire quelque chose. Pour un lecteur lambda, cela n’a pas de sens. Disons qu’en fouillant encore un peu, je trouverai peut-être quelque chose. J’ai une piste sur la filiale française, la Saadaf. Il se pourrait qu’ils aient pondu des études pour une officine américaine et…

- Bon, sois clair ! Tu es en train d’essayer de m’enfumer ! Je te connais Pierre. Tu veux quoi ?

- Je voudrais que tu me laisses un peu de champ. Disons encore un mois de tranquillité pour poursuivre cette enquête.

- Il y a quelque chose derrière tout ça et tu ne veux pas m’en parler…

- Non, je t’assure. Qu’est-ce qui te fait penser ça ?

- A propos d’articles, tu ne nous fais pas un papier avec ces histoires d’attaques informatiques aux US ?

- Ben, je n’ai pas le temps. Mais je peux quand même essayer de te faire un papier pour dans une semaine. Ca irait ? Ce qui m’étonne quand même c’est que ce genre de sujet te botte. Ce n’est pas tellement ton genre…

- On change… Dis moi, pour finir, justement…, ces attaques informatiques, elles n’ont pas touché FirstCorp au début ?

- Si, il paraît.

- Mmmmmhhh… Allez, sors d’ici avant que je ne change d’avis. Et je te veux dans mon bureau avec quelque chose le 15 janvier au plus tard !

- Oui chef…

 

SALLE DE PRESSE DE LA MAISON-BLANCHE LE 15 DECEMBRE

 

Bill Clinton avait l’air détendu des bons jours. Sourire aux lèvres, blagueur. Tout allait bien.

Après avoir salué les représentants de la presse, il se lança dans un discours d’un quart d’heure pour expliquer que les Etats-Unis ne laisseraient pas un petit groupe de pirates informatiques jouer avec la santé des entreprises, mais également, que sauf son respect, la presse en faisait trop.

- Il n’y a pas de conjuration internationale, simplement quelques pirates qui ont décidé d’utiliser le réseau Internet pour tenter de nous affaiblir. Sans doute une organisation qui a inclus dans ses statuts une phrase du genre " nous détestons les Etats-Uni s ". Je vous assure qu’il n’y a pas grand chose de grave dans ces événements. Nous avons pris les dispositions nécessaires. Des arrestations ont eu lieu dans d’autres pays. Nous restons discrets afin, bien entendu, de ne pas compromettre les chances d’un succès total dans notre lutte contre cette organisation.

Un journaliste tenta de déstabiliser le président avec un question insidieuse sur l’explosion en pleine ville à Panama d’un immeuble. Selon des sources officielles contactées par le journaliste, cette explosion pourrait être le fruit du lancement d’un missile américain et…

- Monsieur, vous avez vos sources. Je vous conseille de vous assurer de leur fiabilité, c’est votre métier. Pour le reste je ne peux vous répondre qu’une chose. Si ce que vous avancez est vrai, vous comprendrez que je réserve la primeur de ce type d’informations aux membres concernés du Congrès. Toutes les opérations militaires de ce genre sont classées secret-défense.

Le Président avait lâché le morceau sans le faire trop ouvertement, la presse et Derek Olmes étaient contents.

 

AMSTERDAM, LE 16 DECEMBRE, CENTRE-VILLE, DANS UN CYBER CAFE

 

Jim commençait à se demander si l’organisation allait ou non reprendre contact avec lui. Il finissait même par imaginer le pire… Une balle dans la tête , comme toute son ancienne équipe.

La veille, il avait défini la stratégie avec Neil et Dominique. Chacun avait apporté sa pierre à l’édifice.

Jim traînerait sur les canaux ad hoc sur l’IRC en attendant que les vilains se manifestent. Il avait également pour mission de relever une boite aux lettres électronique qui avait été mise en place pour ce genre de cas par l’organisation. Mais Jim pensait que cela ne mènerait à rien en raison de l’hécatombe du 13 décembre et du bordel qui devait régner au sein de l’organisation.

Il fixait donc du regard son écran.

Soudain, sur la fenêtre de contrôle qui lui permettait de voir toutes les actions sur l’Undernet (le groupe de serveurs de l’IRC auquel il était connecté), il vit apparaître le message suivant en caractères rouges : *** TovaRich is on IRC.

Ses doigts se mirent à danser sur le clavier :

/whois Tovarich

les quatre lignes suivantes vinrent s’inscrire sur la fenêtre de contrôle,

Tovarich is godfather@hades.hell.se *

Tovarich on #ourhouz

Tovarich using NewBrunswick.NJ.US.Undernet.Org [204.127.145.17] AT&T WorldNet IRC Chat Service

Jim décodait mentalement : Tovarich est connecté à l’Undernet, il s’est dénommé lui-même Godfather et utilise le serveur hades du domaine hell en Suède.

Ses doigts reprirent leur course,

/dns Tovarich

la réponse s’inscrit immédiatement à l’écran

*** Looking up hades.hell.se

*** Resolved hades.hell.se to 195.100.21.2

Jim avait en quelques secondes vérifié l’adresse IP de celui qui avait pris le surnom de Tovarich. Il se connecta rapidement sur un serveur en Suède, histoire de vérifier si l’IP correspondait bien au nom du serveur.

C’était le cas. Il était bien en présence de Tovarich. Du moins, savait-il que celui avec qui il allait maintenant entrer en contact était bien celui à qui il voulait parler.

/msg Tovarich 0554669872AF547 Cela fait plus de 24 heures que je vous attends. Pourquoi ce massacre, pourquoi ce silence. Que dois-je faire ? Je crains pour ma vie.

Une fenêtre s’ouvrit immédiatement, apportant la réponse de Tovarich.

<Tovarich> Patientez Crack, nous vérifions votre identité

<Tovarich> Merci. Bonjour Crack.

<Crack> Bonjour. Répondez à mes questions, je ne peux rester longtemps dans le même lieu

<Tovarich> C’est exact. Dans l’ordre : nous vous cherchions, physiquement dans la ville, pas sur le réseau. Nous aurions dû y penser plus tôt. Le massacre n’est pas de notre fait. Un service occidental que nous identifions comme étant américain a lancé l’attaque sur les bases d’Amsterdam et de Panama. Vous allez prendre votre téléphone, joindre votre amie française. Organisez une rencontre avec son ami espagnol. Vous aurez besoin d’argent. Rendez-vous à l’agence ING de la Westerstraat, demandez votre chéquier, carte bancaire et un peu de liquide sur le compte 000 335 447 52 14. Partez pour Paris, puis pour Madrid. Faites vite.

<Crack> Et pour les papiers ? Je dois être recherché par la police après la fusillade ?

<Tovarich> Un homme vous fournira tout ce dont vous aurez besoin quelques instants avant que vous n’entriez dans la banque. Restez immobile, ne vous retournez pas quand il vous glissera une enveloppe dans la main.

<Crack> C’est compris.

Ils disparurent tous les deux aussi vite qu’ils étaient apparus sur l’Undernet.

 

MADRID, CASA LUCIO, LE 17 DECEMBRE A 3 : 00 PM

 

Il y a quelques années, il suffisait de faire partie de la " Gente guapa " de Madrid (littéralement " les gens mignons ") pour rapidement dépasser les rêves les plus fous en matière de fortune rapide. Dans le même genre, le rêve américain pouvait aller se rhabiller…

José Ascensor, Président de la banque Hispano-Nesto, mais surtout, du groupe de presse Apris, était un pur produit de ce que l’époque du Pelotazo avait pu produire. Parfait inconnu quinze ans plus tôt, il était désormais à la tête d’un grand groupe bancaire qui détenait une foule de participations industrielles dont l’imposant groupe de presse Apris.

Ce dernier regroupait le plus grand quotidien du matin, une chaîne de télévision et une bonne dizaine de magazines. Depuis quelques temps, le groupe de presse avait investi massivement dans les nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC) et avait mis en place une série de vingt serveurs Web dont 15 crachaient de l’info en continu et cinq de l’information à valeur ajoutée. Quelque deux cent quarante-huit journalistes avaient été embauchés pour donner vie à l’aventure du Web.

Depuis quelques temps, José Ascensor avait repris sa lutte contre le Système. Selon lui, le pouvoir espagnol était corrompu depuis des années. Il stigmatisait -pêle-mêle- dans des éditoriaux, le copinage, les intérêts personnels, le clanisme à l’espagnole qui, selon lui, paralysaient le développement du pays. Il criait aussi fort qu’il le pouvait que les tours-operators avaient saccagé le pays et qu’il était temps de changer tout cela, ainsi que de se lancer dans un vaste plan de rénovation du secteur touristique. Cela passait, selon José Ascensor, par une destruction de 85% des hôtels, villages de vacances et autres complexes touristiques.

Bref, en bon trublion, José Ascensor gênait le pouvoir en place, dénonçait les problèmes de société du pays, mettait en lumière les erreurs économiques des gouvernements et poussait les journalistes de son groupe à rechercher toutes les " histoires " possibles sur les hommes politiques. Il n’était ni de droite, ni de gauche, ni même au centre (pour la petite histoire, il y a eu un vrai centre en Espagne). Il était contre le système…

Pierre avait rencontré José quelques années auparavant à l’occasion d’une interview. José choisissait ses interlocuteurs et était soudainement peu prolixe lorsqu’il s’agissait d’accorder des interviews. Il préférait écrire lui même afin de ne pas voir sa pensée être trahie. Il écrivait généralement la nuit. Car il ne dormait que quatre heures. Le reste du temps, il travaillait, prenait des vacances ou faisait la fête comme seul un Espagnol sait le faire.

Pierre respectait cet homme. Bien qu’il présente un certain nombre de défauts, José était visionnaire, intelligent à un point qui défiait la raison, excessivement cultivé (un historien aurait pu passer pour un inculte à côté de lui) et surtout, il aimait énormément son pays. Avec chaleur, passion et néanmoins une certaine réserve. Comme un méditerranéen sans doute. En effet, s’il plaçait son pays au-dessus de tout, il n’oubliait jamais d’honorer un hôte comme aucun pays du Nord de l’Europe ne sait le faire. Il n’oubliait jamais de lui dire combien son pays était merveilleux… plus que l’Espagne. Il avait toujours une anecdote, un mot agréable sur le reste du monde, mettant en sommeil l’amour de son pays.

Mais ce que Pierre préférait chez cet homme, c’était son côté frondeur et déterminé. Pierre s’était souvent demandé comment José avait pu survivre au " Système ". A force d’attaquer ce dernier, José aurait dû recevoir de plein fouet une contre-attaque très violente et aurait dû disparaître de la circulation depuis longtemps. Il n’en était rien. Peut-être le " Système " avait-il besoin d’un contrepoids de ce genre et tolérait-il ce trublion ? José avait bien subi des attaques, mais jamais celles-ci n’avaient pu le déstabiliser sensiblement.

Quoi qu’il en soit, lorsque Pierre avait pris contact avec José et lui avait expliqué, au cours d’une conversation téléphonique de trois heures en pleine nuit, le rôle que les services secrets français et américains souhaitaient lui faire jouer, José avait accepté de bon cœur.

Aujourd’hui, il recevait Pierre dans le meilleur restaurant de Madrid. Alors que Casa Lucio vaut les meilleures tables françaises, José n’avait pas manqué d’accueillir Pierre avec un " désolé, cela ne vaut pas la cuisine française, mais c’est ce que l’on sait faire de mieux dans ce pays ".

Pierre avait fait remarquer qu’il n’avait jamais aussi bien mangé qu’ici depuis sa dernière visite, un an plus tôt.

Les deux hommes avaient souri.

- José, l’affaire que je vous ai décrite s’est nettement envenimée. Plus personne n’a le contrôle. Les américains ont mis en péril un homme à Amsterdam, les jeux de pouvoir entre agences américaines se font plus violents. Votre entrée dans le jeu peut comporter des risques importants.

- Racontez-moi où vous en êtes, mais je ne pense pas que j’aurais envie de quitter le navire après.

Pierre reprit dans le détail les événements des dernières semaines. Au mieux, José levait un sourcil de temps à autre.

A la fin de la discussion, alors que les deux hommes approchaient du dessert, José posa ses conditions :

- Je veux un papier signé des services français et américains qui précisent le cadre de mes agissements. Ils diront qu’ils sont au courant de mes relations avec cette organisation et qu’ils y sont favorables. Ils écriront également qu’ils ont averti leurs collègues espagnols même s’ils n’en feront rien. N’oubliez pas que je gravite assez haut ici et que je saurai ce qui a été dit ou non à mon gouvernement et à ses sbires. Faites comprendre ça à vos interlocuteurs. J’ai de quoi faire du bruit si on essaye de me doubler. Bref. Il faut également qu’ils mettent à ma disposition des outils pour sortir en toute discrétion l’argent que je devrais verser à l’organisation…

- Ne vous inquiétez pas pour l’argent José, le gouvernement américain est fort aise de pouvoir injecter des billets verts ayant été saisis dans des affaires de drogue et dont les numéros ont été relevés. On verra bien où ils ressortent. De même pour les fonds transférés par les banques. C’est un jeu agréable pour eux. Ils vous financeront. Cette technique est éprouvée. Elle a permis de démanteler des réseaux de financement occultes, les réseaux de la drogue…

- O.K.  Alors, je marche à fond. Mais n’oubliez pas mes demandes. Elles ne sont pas négociables.

Pierre savait qu’il aurait du mal à obtenir les papiers demandés par José. Les services n’aiment pas se mouiller. Lorsqu’ils le font, il faut vraiment qu’ils n’aient pas d’autre choix. Pierre se souvenait de la difficulté qu’il avait eue à obtenir un papier similaire alors que Dominique lui demandait ouvertement de " travailler " pour son interlocuteur russe.

Mais dans le cas précis, on demandait tout de même à un homme de risquer sa peau…

Les deux convives repassèrent le film des événements à venir.

José allait être contacté par mail, téléphone ou dans la rue par un homme. Il lui proposerait de rentrer dans l’organisation, d’apporter des fonds contre la promesse de rentrées importantes plus tard. Il allait devoir passer une sorte d’entretien d’embauche…

José devrait accepter tout en se montrant prudent et circonspect, comme à son habitude. Il ne fallait pas éveiller les soupçons en acceptant trop rapidement d’entrer dans le jeu.

Ensuite, il communiquerait par le biais d’un ami d’enfance de Pierre, qui allait, pour l’occasion séjourner près de José et faire des voyages fréquents à Paris. L’idée retenue par Pierre, Dominique et Neil, était de remettre au goût du jour le bon vieux système des boites aux lettres datant de l’époque de la guerre froide.

Puisque tout ce qui est électronique, du téléphone portable à l’e-mail, peut être écouté, il avait été convenu que José passerait des messages, par oral si nécessaire, à " Isaac ", un jeune homme bilingue français/espagnol et qui connaissait le pays aussi bien qu’un natif. Il prendrait un avion une fois par semaine pour Paris où il placerait le message sous forme papier dans un lieu incongru, mais connu de Pierre. Cinq " boites aux lettres " seraient ainsi ouvertes dans Paris. Une brique descellée dans un immeuble de la rue Notre-Dame-des-Victoires, le clapet d’accès au mécanisme d’un feu de signalisation rue des Petites Ecuries, une boite postale à la Poste de la rue du Louvre, un café de quartier et un banc public sur le quai sous la Concorde. Pierre passerait tous les vendredis faire le tour de ces cinq " boites ". Rien au monde ne pouvait laisser entendre que Pierre et Isaac étaient aussi liés. L’un et l’autre étaient toujours prêts à se rendre service. Il ne se voyaient que très rarement. Pierre était sédentaire à Paris depuis longtemps maintenant et Isaac n’avait passé que peu de temps dans sa vie dans la capitale française. Il avait beaucoup voyagé avant de se stabiliser dans une des îles Baléares où il avait ouvert un restaurant.

Isaac avait accepté de jouer ce rôle de messager sans poser de questions. Pierre l’avait prévenu des dangers. Dominique lui avait fait avoir un permis de port d’arme. Au cas où.

Après le déjeuner chez Lucio, Pierre passa l’après-midi à expliquer à José les subtilités de l’IRC afin qu’il puisse, le cas échéant, prendre contact rapidement avec l’équipe de Paris sans se faire repérer et conserver, si besoin était, les données concernant des personnes qui tenteraient d’en savoir plus sur lui.

Ils étaient justement connectés sur l’IRC lorsque André Marceau sous son pseudo " lepape " vint saluer Pierre :

- Jim a repris contact avec l’organisation, ils lui demandent de joindre Anne puis son ami espagnol. Je pense que José va avoir une visite virtuelle aujourd’hui même. Un mail sans doute…

- OK, répondit laconiquement Pierre, je reste ici jusqu’à la prise de contact

- Ça marche

Le soir même, José recevait un coup de fil d’Anne :

- José, tu as un mail dans ta boite. Je te laisse le lire.

Le message d’Anne était le suivant :

Bonsoir José,

Je te transmets le message suivant qui a été rédigé par l’un de mes amis :

Bonjour Monsieur Ascensor,

Un ami commun m’a parlé de vous et de votre lutte quotidienne contre le système. J’ai pu observer la pertinence de vos critiques dans vos éditoriaux. Votre pensée rejoint celle d’un groupe d’hommes qui, au travers de la planète, a décidé de ne plus subir ce système. Ils sont tous très puissants et leur fortune leur permet d’investir une modique somme, régulièrement, pour faire trembler le système.

Il y a Davos et son groupe " d’élus " et puis, il y a notre organisation, qui dans l’ombre entame une lutte, une résistance.

Le combat a été engagé il y a environ un mois et les résultats commencent à être encourageants.

Nous souhaiterions vous compter parmi nos membres.

Si cette offre vous intéresse, il vous suffit de répondre à ce mail en indiquant " OK " dans le corps du message. Sinon, ne répondez pas. Cette offre est valable 45 minutes à compter de l’heure indiquée sur ce message.

Bonne journée

Sous l’œil de Pierre, José répondit " OK "…

 

PAYS DE L’EST, LE 18 DECEMBRE

 

La bouteille de vodka était déjà bien entamée et Jack ressassait ses plans pour l’avenir proche.

Première étape, il fallait absolument recruter José. Cela permettrait notamment de détourner l’attention des autres membres qui demandaient la tenue d’une assemblée depuis quelques jours déjà. Le missile sur Panama et la tuerie d’Amsterdam n’étaient pas passés inaperçus…

Deuxième étape, lancer une nouvelle opération rapidement, toujours pour détourner l’attention des membres et leur montrer combien l’organisation restait puissante.

Troisième étape, remettre sur pied trois bases car celle qui venait de prendre le relais la veille était pour le moins " temporaire ". Située dans une île accueillante du Pacifique, elle ne comprenait pas beaucoup de matériel et seulement quelques hommes prêts à recevoir des ordres et à les exécuter, mais sans grande capacité d’initiative.

- Il faut récupérer Avercamp et le faire partir pour le Kazakhstan où va être installée la base principale. Il gère bien les hommes. Il l’a prouvé à Amsterdam. Il est toujours avec nos amis à Moscou ?

- Oui, répondit laconiquement Joe qui se tenait assis sous un portrait de Lénine bariolé.

- Jim est en train de recruter sur l’IRC. On devrait avoir une équipe dans quelques jours dans le Pacifique. Quant à Ascensor, il est en passe d’accepter. Il va falloir jouer serré. Je ne pense pas qu’il soit particulièrement intéressé par l’argent. Disons que ce ne sera sans doute pas son but premier s’il plonge avec nous. Qu’en penses-tu Joe ?

- Mmmm… Je pense que ce gars là est un gros poisson. Pour une fois nous faisons entrer un pur et dur. On ne lui a trouvé aucune casserole, il n’est pas corrompu, il n’est pas intéressé par l’argent. Qu’est-ce qu’il cherche alors ? Ca m’angoisse un peu les gens comme ça…

- Je pense que ce qui va l’intéresser c’est plus de pouvoir agir en sous-main sur la popularité d’un gouvernement, de pouvoir faire vaciller les institutions d’un pays. Il faudra que l’on monte quelques opérations pour le satisfaire. Disons que l’on va renouer avec ce que l’on a déjà fait pour le gouvernement américain. Les mettre en porte-à-faux et médiatiser leur position inconfortable.

Jack avait un regard étrange. Sans doute le souvenir d’opérations de déstabilisation menées à l’époque du K.G.B.. L’époque où l’on pouvait faire tomber un politicien " définitivement " en le " décrédibilisant " avec un simple faux document placé astucieusement quelque part dans son appartement.

- J’ai trouvé !

- Je crains le pire pour ta cible, lâcha Joe en souriant.

 

MADRID, LE 19 DECEMBRE, SIEGE DE APRIS

 

La tête de José Ascensor était renversée en arrière. Ses pieds reposaient sur son bureau. Ses yeux semblaient accrocher la photo dédicacée du roi. Mais en fait, son regard se perdait bien au delà de la pièce. José Ascensio venait d’avoir une conversation avec Jim. Les perspectives ouvertes par son adhésion à l’organisation étaient assez étonnantes. Le patron de presse et le banquier se demandaient au fond de lui pourquoi –mais surtout comment- il avait pu laisser passer une telle occasion. Il avait bien monté des serveurs Web d’information. Mais ça… Il y avait bien la presse caniveau. Alors… Pourquoi pas des serveurs caniveaux ? Non, ce n’est pas si simple, se dit-il tout en se remémorant les descriptions de Jim. Quoi qu’il en soit, il aurait pu penser à ça plus tôt. Pourquoi ce manque d’intuition ?

- C’est sans doute parce qu’au fond, je suis honnête. Oui, ça doit être ça. Et puis, je suis mieux dans ce bureau que dans une prison. C’est marrant tout de même. Le monde des affaires est un champ de bataille jonché de cadavres mais personne n’est inquiété pour ça. En revanche, la propagation de fausses nouvelles par le biais d’un medium comme la presse ou Internet est très mal perçue. Je me demande pourquoi on en veut tellement aux pirates informatiques qui vont piquer un programme en cours de développement ou s’introduire dans un réseau quelconque alors que celui qui copie un produit, qui lance des opérations de dénigrement grâce aux journalistes complaisants n’aura pas le quart de leurs emmerdes.

La perspective de pouvoir en quelques jours faire tomber le gouvernement avait provoqué en lui un sentiment étrange. Il en avait rêvé. Ses attaques au travers des media du groupe Apris n’avaient pas permis d’atteindre ce but. En effet, elles étaient " honnêtes ", directes. Et finalement peu efficaces. Tandis que là… Si ce que Jim disait était vrai… Mais il était honnête et en plus, il était là pour aider les autorités à faire tomber cette organisation. Pas pour en profiter. Enfin…

Pierre devant rentrer à Paris, José décida de le faire profiter quelques heures encore de la joie de vivre espagnole. Ils dînèrent dans un petit restaurant dont le décor aurait fait fuir n’importe quel touriste. Mais le lomo ibérico et le Jabugo y étaient particulièrement bons. Puis, il se rendirent dans un petit café où l’on pouvait écouter un chant flamenco qui n’avait décidément rien de commun avec les chansons des Gipsy Kings. Les deux hommes finirent autour d’une bouteille de liqueur de pomme dans un recoin du Pacha de Madrid. La musique était acceptable, mais ils convinrent que le Pacha d’Ibiza était tout de même plus agréable.

Alors qu’il tirait une dernière bouffée de son Montecristo n°3, Pierre se dit que la folie Madrilène était toujours la même. A croire que son intensité ne baisserait jamais…

Il avala son dernier verre de " pomme ". Les deux hommes décidèrent de rentrer à pieds jusqu’à l’hôtel de Pierre. Ce qui leur permettrait de parler un peu et d’aérer leurs esprits embrumés.

- Esto es la ostia. Como siempre… lâcha Pierre à l’attention de José. Tous deux regardaient droit devant eux.

- Ecoute, je crois que ça va marcher. Jusqu’ici je n’ai eu affaire qu’à des gens de notre bord, toi et Jim, mais je pense que je vais convaincre les membres de l’organisation. D’abord, ils ont besoin de moi. Ça, c’est clair et acquis. Ensuite, ce que m’a décrit Jim me plaît. Conceptuellement, bien sûr. C’est une arme incroyable. La munition, c’est l’information. Le pistolet, c’est un mélange d’Internet et de ses acteurs auxquels tu peux ajouter la presse traditionnelle. C’est assez simple. Je pense que je vais pouvoir laisser croire à ces messieurs de l’organisation en question que je suis intéressé par leur invention car elle déclenche en moi une certaine passion. Passion au sens d’intérêt bien entendu. Car ce ne sont pas les revenus de cette activité qui modifieront le montant de ma fortune. Sans vouloir être prétentieux, cela semble évident.

- José, je sais qui tu es et Dieu m’est témoin, je sais que tu n’es pas prétentieux. J’ai confiance en toi, je sais aussi que tu sauras convaincre ces messieurs de l’organisation, comme tu dis. Il t’accueilleront avec intérêt. Mais sois prudent. Ils ont zigouillé un membre de la Mafia dans un pays asiatique sans sourciller.

- Que ilusion ! C’est génial non ? Je vais faire partie d’un vrai polar, comme dans un James Bond…

- Esto no es un juego José.

- Bueno. No es un juego, pero no te fies Pierre, los négocios tampoco son un juego. Aqui, ha sido como en el Far West americano durante muchos años. Algunos se han quedado en algun sitio de la carretera. Pero nadie sabe exactamente donde.

- Je te crois. Pierre plongea son regard dans celui de José. Il ne pouvait distinguer la pupille de l’iris de cet homme. Les cheveux couleur de jais gominés en arrière de José et la lumière blafarde des réverbères qui coulait sur son manteau bleu marine laissaient croire à une apparition. Un ange de la mort quelconque tout droit sorti d’un film américain des années 50 sur la Mafia de Chicago. La lumière attira le regard de Pierre vers le réverbère.

- Je suis un allumeur de réverbère, dit-il dans un souffle.

- Quoi ?

- Rien.

Il étaient devant l’hôtel de Pierre.

 

PARIS, BUREAU DE LA DST, LE 20 DECEMBRE

 

- C’est Noël…

- Ecoute Pierre, tu as l’air bien guilleret alors que pour l’instant, c’est un peu le bordel, avança Dominique. Comme tout bon fonctionnaire de police, Dominique n’aimait pas le hasard. C’est un paramètre qui peut coûter une vie, une carrière ou d’autres choses encore.

- C’est le bordel. Tu l’as dit. Pierre se tourna vers Neil. Vous avez failli faire tuer notre deuxième carte. Neil, que se passe-t-il dans votre pays ? Il faut que nous soyons tous bien francs les uns avec les autres car sinon nous allons dans le mur. Je vous rappelle que j’ai engagé un ami dans l’affaire pour nous sortir du bordel dont parle Dominique. Je prendrais mal qu’on lui fasse un coup tordu. Par ailleurs, il est assez bien placé dans son pays pour embarquer tout le monde –vous y compris- dans une véritable merde. Je ne vous raconte pas le scandale si en ouverture du journal de sa chaîne de télévision, tous nos noms apparaissaient avec le détail de nos opérations.

- Je comprends votre malaise Pierre. Je suis moi-même assez déçu de l’action de la C.I.A. à Amsterdam. Ce n’est pas ce que j’avais souhaité et vous le savez. Mais je ne peux contrôler les décisions de certaines personnes. Le directeur de la C.I.A. est assez puissant, vous savez… Toutefois, ce que je peux vous dire, c’est que j’ai reçu un appui très direct du Président Clinton. Il a demandé à toutes les agences de la communauté du renseignement de nous laisser travailler en paix. J’ai toute latitude pour faire protéger Jim ou José par exemple. Je peux même choisir mes hommes.

Pierre jaugea Neil.

- OK. Bon, je dois vous dire que j’ai reçu un nouveau message de mon informateur. Il m’annonce de nouvelles catastrophes. Il dit également que nous avons coupé les bras, mais pas la tête. Je pense que je devrais dire les têtes. Il a dit quelque chose qui me fait penser que nous avons affaire à une organisation dirigée par deux hommes.

- Et alors ? avança Dominique qui commençait à manquer d’imagination.

- Et bien je vais transmettre cette information à nos services aux Etats-Unis pour qu’ils recherchent deux méchants du renseignement connus pour travailler ensemble. On verra bien ce que ça donnera.

- Et puis on va attendre la suite avec José. Je crois qu’il va nous aider fortement. Il devrait rapidement être au cœur de l’organisation. Croyez-moi, c’est quelqu’un dont l’intelligence s’impose aux autres. Je pense que dans quelques temps, nous disposerons d’une photo de l’une des têtes de l’organisation…

- Que veux-tu dire ? lança Dominique qui sentait enfin un biscuit à donner à ses chefs…

- Je pense simplement que José va être amené à rencontrer l’un des dirigeants de l’organisation en question lorsqu’il passera son examen d’entrée. De visu ou sur le réseau en visioconférence. Peu importe. L’essentiel est qu’il puisse déterminer la nationalité, le nom ou le lieu de résidence de ce type.

Pierre sentait la lassitude monter en lui. Il se demandait s’il avait vraiment bien fait d’être " patriote " en allant prévenir les services secrets de son pays et surtout, en embarquant José dans cette affaire. Les questions de Dominique ou les agissements de la C.I.A. démontraient une fois de plus que la recherche d’un " coup " passait avant la réussite globale d’une équipe.

Pierre avait souvent considéré que les entreprises travaillaient à court terme, courant ainsi à leur perte. En tentant des coups visant une rentabilité immédiate et en n’investissant pas (R&D par exemple), les sociétés n’ont aucune stratégie digne de ce nom et se préparent un avenir qui déchante, répétait Pierre à loisir dans ses articles. Sans succès d’ailleurs puisque les mêmes entreprises auxquelles il tentait d’adresser ce message continuaient de s’illustrer par leur manque de stratégie. Il avait eu cette discussion avec un ami, directeur général d’une entreprise. Celui-ci lui avait dit " vas-y, puisque tu as des idées, lance toi. Crée une boite, donne-lui une vraie stratégie. On verra si tu n’es pas rattrapé par la réalité économique… ". Pierre avait tenté de lui expliquer que son rôle de journaliste était de relever des comportement anormaux, de les mettre en lumière, voire de les analyser et d’apporter un commentaire. Mais en aucun cas de prendre la place des dirigeants d’entreprises. Il ne forçait par ailleurs personne à tenir compte de ses conseils. Mais les deux hommes ne pouvaient véritablement trouver de terrain d’entente sur ce sujet.

La réalité économique dans sa version espionnage était en train de le rattraper. Il comprenait doucement qu’il aurait sans doute mieux fait de conserver son rôle de journaliste, d’observer et de commenter plutôt que de devenir acteur et d’embarquer du monde avec lui dans cette galère.

- Mais qu’allait faire cet allumeur de réverbères dans cette galère, souffla-t-il.

- Pardon ? lancèrent conjointement Dominique et Neil.

- Rien.

De toute façon, ils n’auraient jamais compris, quand bien même Pierre aurait-il pris la peine de leur expliquer, combien le Jabugo est bon, quel plaisir il y a à le manger dans un petit café et ce que deux méditerranéens peuvent mettre derrière le mot amitié.

 

CYBER-ESPACE, LE 20 DECEMBRE

Jim, vous vous rendez à notre nouvelle base. Prévenez José qu’il assistera prochainement à une visioconférence au cours de laquelle il sera sans doute coopté. Nous souhaitons que vous prépariez un feu d’artifice pour Noël. Hendrick vous expliquera lorsque vous arriverez sur place.

Le message des responsables de l’organisation était clair. Jim.

- Les affaires reprennent, se dit-il.

 

PAYS DE L’EST, LE 21 DECEMBRE

 

Le bureau de Jack donnait toujours cette impression fantasmagorique étrange. Ces mélanges de décors années 70,  " James Bond pur jus ", et de technologie moderne dans une pénombre entretenue laissaient une sensation bizarre au visiteur.

Mais il y avait peu de visiteurs…

Jack était plongé depuis quelques jours dans un fatras de livres et journaux. Il pensait avoir trouvé la faille. Selon lui, il fallait proposer à José une manipulation politique pour le décider à adhérer à l’organisation. Il avait cherché. Son idée initiale était de compromettre le premier ministre actuel dans une histoire politico-sexuelle. L’équipe D avait même été mise à contribution. Sans résultat. Soudain, en lisant un livre écrit par José, l’illumination… José y évoquait le grand scandale espagnol des années socialistes. Le GAL, Groupe antiterroriste de libération. Ce groupe composé en partie d’anciens policiers et de mercenaires avait été recruté par des responsables de l’Etat espagnol pour porter des coups violents à l’organisation terroriste basque ETA. Réfugiés en France, l’ETA se servait de ce côté des Pyrénées comme d’un " sanctuaire ", d’une base arrière pour porter ses coups à l’Etat espagnol. Bilan, lassés de ne recevoir aucune aide française pour sa lutte antiterroriste, le gouvernement de Madrid avait décidé d’aller frapper (mortellement si possible) les terroristes dans leur sanctuaire, histoire de voir comment réagirait Paris à une migration du combat armé sur son sol…

Peu à peu l’aide parisienne était venue. A tel point que la presse espagnole qui s’était intéressée à ce scandale, avait retrouvé, par la suite, la trace de policiers français ayant aidé les membres du GAL.

- Jusqu’où est allée l’aide du gouvernement parisien ? s’était interrogé Jack. Laissant son imagination courir, il avait entrevu un gouvernement parisien heureux de coopérer avec Madrid dans la lutte antiterroriste, allant jusqu’à fournir aide logistique, armes, caches, pour le GAL sur son sol.

- Il doit bien rester des documents quelque part. Et d’ailleurs, même s’il n’y en a plus… On peut toujours les fabriquer. On a déjà donné avec des entreprises et cela à très bien fonctionné…

Jack était assez fier de son idée. Il comptait déstabiliser les gouvernements français et espagnol d’un seul coup, entraînant ainsi une chute des marchés dans des deux pays, si ce n’était en Europe. Il suffisait donc d’acheter quelques contrats avant et des titres pendant la chute pour améliorer l’ordinaire. Par la même occasion, il était persuadé de faire plonger José.

 

MATIGNON, LE 23 DECEMBRE

 

- Monsieur le Premier ministre, nous avons un problème étrange à passer en revue ce matin. Vous êtes au courant de la lutte mondiale que nous menons contre une organisation qui utilise les réseaux informatiques pour déstabiliser nos économies. Nos services ont noté une attaque cette nuit sur les réseaux du gouvernement. Rien de grave, mais la cible finale était étrange. Le conseiller du Premier ministre avait l’air compassé des mauvais jours.

Son patron le méprisait. Ce jour là comme les autres. Mais il lui avait été imposé. Il fallait bien un monsieur Internet auprès d’un Premier ministre qui se voulait populaire et ouvert sur l’avenir. Non ?

- Et bien. Expliquez-vous jeune homme. Le Premier ministre aimait appeler ce garçon " jeune homme ". Il savait que cela l’irritait.

- Voilà, un pirate informatique –semble-t-il- a utilisé un modem du ministère de l’Intérieur pour s’introduire sur le réseau interne. En bref, il a sans doute obtenu une liste des téléphones du ministère. Il y a relevé les numéros qui n’ont pas la même racine de 4 chiffres que les autres et en a déduit qu’il s’agit de lignes pour les modems et les fax. J’imagine qu’il a alors fait composer tous les numéros par un ordinateur. Il a ensuite pris possession d’un P.C. qui était resté allumé et dont le modem a répondu. Puis, il a cassé les niveaux de sécurité logicielle que nous avons mis en place. Il a ensuite fouillé les archives électroniques concernant les documents échangés entre Paris et Madrid pendant une certaine époque. Malheureusement, nous ne pouvons pas savoir quelle époque. Le pirate a effacé un certain nombre de logs –je veux dire de traces- sur son passage. Mais je ne comprends pas l’intérêt de sa cible. Nous n’avons sans doute jamais échangé quoi que ce soit de véritablement très important entre nos deux pays. Enfin… Je veux dire qu’il aurait pu s’attaquer à des archives plus intéressantes…

Le Premier ministre fixait le fond de l’œil de son jeune conseiller. Son regard devenait difficile à soutenir, ce qui avait poussé le dit conseiller à ne pas continuer plus avant dans sa brillante analyse de la situation.

- C’est peut-être parce que vous êtes jeune. Ou parce que vous passez vos journées plongé dans votre ordinateur. Lisez donc un peu plus les journaux. Même s’ils ne parviennent pas à tout savoir, ils lèvent parfois quelques lièvres. Le pirate a-t-il pu prendre quelque chose d’essentiel ? Que dit la DST ?

- Ils sont rassurants M. le Premier ministre. Le pirate n’a rien pu trouver dans ces archives d’essentiel ou de véritablement dangereux pour l’Etat.

- Bien. L’incident est donc clos. Veillez à ce que ce genre d’intrusion ne soit plus possible à l’avenir.

- Oui monsieur.

 

PAYS DE L’EST, LE 23 DECEMBRE

 

- Jim, qu’avez-vous trouvé d’intéressant ?

- Pas grand chose monsieur. Je suis pour l’instant à Paris où j’ai chapeauté l’opération dont nous avons parlé. Nous avons pu entrer sur le réseau et accéder à ce qui sert de GED au ministère. Ils ont sans doute fait le ménage. Il reste quelques documents qui peuvent nous servir pour notre opération. Disons que c’est un bon début, mais qu’il nous faudra… extrapoler… si vous voyez ce que je veux dire.

- Je vois. Cela ne me dérange pas. Nous avons les personnes pour faire ce genre de travail et vous le savez. Elles se tiennent d’ailleurs prêtes depuis quelques jours. Vous allez leur transmettre ces documents. Elles savent quoi en faire. Cette équipe reprendra contact avec vous dès que la matière sera prête à être diffusée. Restez à l’écoute. Par ailleurs, je vais prendre contact avec José Ascensor pour une visioconférence.

- Bien monsieur

 

CYBER-ESPACE, LE 24 DECEMBRE

 

Jack avait, sur les conseils de Joe, mis en place un timing fort serré. Il prenait d’abord contact avec José et, si celui-ci décidait de rejoindre l’association, alors, il le présentait en assemblée générale avec demande de vote pour sa cooptation. Jack lança son programme de visioconférence. Ses doigts parcouraient le clavier. Il écrivit l’adresse I.P. du correspondant qu’il souhaitait contacter :

128.24.65.15

------ connecting to 128.24.65.15 -------

L’application faisait son travail… Jack était toujours émerveillé, des années après l’avoir découvert, par ce petit programme de rien du tout, gratuit qui plus est et qui permettait de faire de la visioconférence pour le prix d’une communication locale, sans risque d’être écouté par qui que ce soit…

------ connected to 128.24.65.15 -------

- Bonjour M. Ascensor.

- Bonjour monsieur. Comment dois-je vous appeler ?

- Jack sera un bon prénom…

- Bien Jack. Je voudrais connaître les modalités d’entrée dans votre organisation, que peut-elle concrètement m’apporter et quel sera le prix de ma participation à ce groupe ?

- Vous êtes direct…

- Je suis un homme d’affaires.

- Ecoutez, nous avons un mode de fonctionnement assez simple : vous apportez des fonds lorsque l’assemblée générale, sur ma proposition, approuve un appel de fonds. Vous en retirez les bénéfices que vous souhaiterez faire en utilisant les mouvements que nous créons en manipulant l’information et l’opinion des pays que nous souhaitons secouer. Bien entendu, vous pouvez également contribuer à créer un événement en vous appuyant sur nos structures. Je m’explique, si vous voulez que nous fassions trembler tel ou tel gouvernement ou que nous fassions bouger tel ou tel titre en bourse, il vous suffit de convaincre une assemblée si le projet est important. Ou moi-même si le projet est mineur. Nous ne vous demandons que peu de choses. De ne pas quitter l’organisation. De ne pas la trahir et de respecter les décisions de l’assemblée. Et enfin, de ne jamais tenter de tirer une gloire quelconque de nos agissements. Nous travaillons dans l’ombre et comptons y rester. Nos méthodes pour conserver ce niveau de discrétion sont, disons… Expéditives.

- Cela me paraît correct. Seul détail, le montant des appels de fonds. Je ne veux pas être incapable de répondre sur ce point. Quelle est la fourchette ?

- Cela se compte en… Disons moins de 100 millions de dollars par personne. Les assemblées se tiennent à dates irrégulières. Une ou deux fois par an…

- C’est tout à fait correct.

- Pour votre entrée dans l’organisation, je suis à même de vous proposer une action étonnante. Je pense pouvoir faire tomber le gouvernement de votre pays, ainsi que le gouvernement français. Disons que l’organisation est entrée en possession de papiers qui sont un peu compromettants pour ces deux pays.

- Vraiment ?

- Oui, mais nous verrons cela plus tard. Il nous faut maintenant vous faire coopter par l’assemblée si vous souhaitez véritablement intégrer notre organisation.

- Je suis partant en effet.

- Bien. Vous allez maintenant établir une connexion avec le même logiciel de visioconférence, mais cette fois, avec notre réflecteur, c’est à dire, notre salle commune de discussion. L’adresse I.P. est : 135.46.8.5. Votre identifiant sera DonQ9/j^$zA et votre mot de passe 78rg8-j}+°grE’|a&²FdZb6. Bienvenu chez nous M. Ascensor. Je ne pense pas, en effet, que l’assemblée fasse de problème.

- Merci. A tout de suite.

José coupa la connexion. Un frisson parcourut son dos. Fugace, mais réel. Il se demandait s’il n’avait tout de même pas mis les pieds dans une histoire trop importante. Il appela sa secrétaire.

- Dolores, por favor, llama al responsable del equipo de seguridad, sabes, a Juan. Dile que se ponga en contacto con Isaac al que podra llamar al 456-56-89. Dile tambien que me busquen al mejor de los mejores, porque van a tratar de assesinarme dentro de poco. ¿Vale ?

La secrétaire tenta d’engager un dialogue. Elle était un peu contrariée par l’idée que quelqu’un veuille assassiner son patron.

José coupa court.

Elle s’exécuta donc en silence comme elle avait su le faire depuis si longtemps. Son salaire dépassait celui de plusieurs hauts responsables des entreprises de José. Mais cela évitait qu’elle puisse un jour être tentée de parler à quelqu’un des affaires de son patron. Ou même de démissionner pour aller mettre sa mémoire au service d’un concurrent…

José se connecta donc sur la salle de conférence virtuelle où il découvrit les principaux membres de l’organisation.

Après une " allocution " de Jack, une brève auto-présentation de José et quelques questions, les participants prirent part au vote. José fut coopté en moins de vingt minutes.

 

AEROPORT DE MADRID, LE 24 DECEMBRE AU SOIR

 

Isaac montait les marches de l’escalier menant à l’Airbus. Il jeta un regard au bâtiment principal de l’aéroport. Il portait un sac en plastique. Dedans, un douanier curieux aurait pu trouver quelques journaux et magazines qui laissaient croire à un quelconque intérêt pour l’actualité. Mais l’actualité d’Isaac était ailleurs. Il s’agissait de déposer au plus vite dans l’une des boites aux lettres parisiennes les cinq feuilles de papiers et la disquette remises par José qui se trouvaient dispersées au milieu des journaux. Des impressions des copies d’écran réalisées par José au cours de ses visioconférences ainsi que les fichiers informatiques originaux…

 

UNE ILE DU PACIFIQUE, LE 25 DECEMBRE

 

- Bonjour monsieur, je viens d’arriver ici. Cela se présente bien. Tout a été installé comme il le faut. Notre matériel est moins puissant que celui d’Amsterdam, mais nous bénéficions de plus de discrétion en raison de nos accords avec le gouvernement local. Je pense que nous allons pouvoir faire du bon travail. Cela nous permet également de continuer à être actifs tandis que nous mettons en place d’autres bases. Par ailleurs, j’ai pu voir le travail qui a été fait sur les documents trouvés au ministère de l’Intérieur français. C’est parfait. A mon sens, nous allons pouvoir agir dès la fin de la trêve des confiseurs. Il ne faut pas risquer de manquer la vague médiatique sous prétexte que nous lançons l’opération en même temps que la venue du père Noël ou que la période de digestion des mangeurs de dinde.

- Je vous laisse juge, en l’absence de Hendrick. Il est quelque par en Russie. Il ne tardera pas à vous rejoindre avant de repartir pour le Kazakhstan. N’hésitez pas à nous consulter si vous avez un doute sur quoi que ce soit. Et… Heu… Je peux également vous annoncer que l’ami espagnol a été coopté.

- Très bien.

Jim se disait qu’en fait, s’il n’avait pas changé de bord en cours de route, il se serait véritablement réjoui d’avoir atterri dans cette île. Les cocotiers, le lagon et le sable blanc n’avaient rien pour lui déplaire. Mais c’était surtout l’accord avec le gouvernement qui lui paraissait merveilleux. Il disposait désormais d’une connexion haut débit sur le Net et personne ne pourrait jamais savoir qu’elle existait. Car on ne pouvait trouver trace de cette ligne dans aucune base client d’aucune entreprise de télécommunication au monde. Les autorités locales étaient prêtes à assurer une discrétion totale si le prix payé pour cette discrétion était correct. Et il l’était.

 

BUREAU OVALE, LE 25 DECEMBRE AU SOIR

 

Bill Clinton avait posé ses pieds sur le célèbre bureau. Sa tête était renversée en arrière. Le fauteuil semblait plier sous son poids. Deux personnes étaient déjà arrivées et attendaient, assises dans les fauteuils en cuir, que le reste des petits camarades de jeux arrive. Ils avaient tous été convoqués par le Président pour onze heures du soir et il était onze heures moins deux, selon l’horloge qui donnait l’heure locale dans le bureau.

En moins de deux minutes, le bureau s’était rempli et le Président donna le signal de passer dans la salle de réunion.

Ils franchirent une porte.

Chacun pris sa place autour de la table. Seul Kevin Johnson semblait attendre benoîtement que quelqu’un lui désigne sa place. Michael Collins, toujours en jeans, débraillé et la barbe naissante, souriait doucement en le regardant s’empêtrer.

Il y avait autour de la table tous les acteurs américains de cette histoire incroyable, pensait Michael. Rien que le gratin.

Autour du Président, John Irving, Michael et Kevin, de la N.S.A., William Anderson, le puissant patron de la C.I.A., Dereck Olmes, directeur des Psyops, Alan Jones, directeur du F.B.I., John Sterling, responsable de l’INFOSEC et bien entendu, le DCI, Samuel Winkle.

Certains se demandaient ce que le Président pouvait bien leur vouloir un 25 décembre au soir. D’autres avaient traîné leurs guêtres suffisamment longtemps dans l’Administration pour savoir que, quoi que veuille le Président, cela n’était pas bien important et ne risquait pas trop de compromettre leur carrière. Les Présidents passent, les administratifs restent… Parfois.

Anderson était persuadé qu’il serait le prochain Président. Ou le suivant. Il ne se faisait donc aucun souci pour sa carrière. D’ailleurs, il pouvait à tout moment retourner dans le privé, d’où il venait et reprendre ses activités d’avocat d’affaires. Il y gagnerait bien mieux sa vie qu’en étant Directeur de la C.I.A.. Bien entendu, c’était moins amusant et être avocat d’affaire, même à son niveau, n’apportait pas autant de " billes " pour aider à une élection présidentielle. C’est à ce poste qu’il avait pu en apprendre autant sur les présidents des plus grandes entreprises du pays, leurs manies, leurs plaisirs, leur vie en général. De quoi les convaincre de cracher au bassinet pour une campagne…

Alan Jones détestait ce genre de réunions qui durent des heures alors qu’un bon petit mémo bien concis permettait de prendre connaissance en quelques instants de ce que les autres avaient réalisé ces dernières semaines.

Quand à Michael, il avait déjà mis les écouteurs de son lecteur de C.D. dans les oreilles et le son de ce groupe barcelonais découvert par hasard sur un serveur Web emplissait son esprit. B-Tribe s’était fait une spécialité de mélanger des sonorités très modernes avec du flamenco pur jus. Une belle réussite qui plaisait au hacker de la N.S.A..

- Bonsoir messieurs

Michael enleva doucement ses écouteurs.

- Bonsoir monsieur le Président. La phrase se répéta en faisant le tour de la table, comme un écho.

- Nous allons faire le bilan de cette histoire. Je veux savoir où nous en sommes. Où et quand les méchants vont frapper. Mais surtout, je veux savoir comment vous comptez vous y prendre pour mettre hors d’état de nuire les responsables de ce bordel mondial ! Alan, vous ouvrez le bal.

Le directeur du F.B.I. se pencha en avant.

- Je vais tenter de résumer la situation. Neil Mulder sera là dans quelques minutes si le timing de son avion est respecté. Il revient d’Europe pour participer à cette réunion. Normalement, nous devrions avoir de bonnes nouvelles. Nous gagnons des points de jour en jour. La deuxième carte, Jim, le responsable technique de l’ancienne base d’Amsterdam, a repris le travail - si l’on peut dire – depuis une île du Pacifique. L’organisation se prépare à une nouvelle frappe qui devrait atteindre des pays d’Europe. Nous n’en savons pas beaucoup plus pour l’instant. La France devrait être dans la ligne de mire car Jim a été chargé de faire une visite dans les archives électroniques du gouvernement de ce pays. Ce que nous avons du mal à identifier, c’est l’intérêt des zones où on lui a demandé de fouiller. Il est allé chercher des documents échangés entre la France et l’Espagne dans les années 80 et 90. Il avait ordre de rapatrier tout ce qu’il trouvait. Ce qu’il a fait. Ses supérieurs devaient lui en dire plus après cette cyber-visite dans les archives, mais il est parti pour le Pacifique avant de pouvoir nous communiquer ces informations. Nous attendons un contact d’ici peu. Par ailleurs, notre taupe a été cooptée par l’organisation. Nous entamons donc un mouvement de tenaille. Cet homme a pu nous faire passer des copies d’écran réalisées alors qu’il était en visioconférence avec tout le gratin de l’organisation. Nous attendons beaucoup de ces " clichés ". Ils devraient être récupérés dans les heures qui suivent si ce n’est déjà fait. Comme vous le voyez, jusqu’ici tout semble aller bien…

- Semble ? tonna le Président qui commençait à être vraiment de mauvaise humeur à chaque fois qu’il fallait parler de toute cette histoire. D’autant qu’il avait un peu l’impression d’être la marionnette de tous ces abrutis réunis autour de la table. Ils pataugeaient et l’envoyaient faire des conférences de presse pour calmer tout le monde, pensait-il.

- Je dis semble parce que rien ne dit qu’ils ne sont pas en train de nous préparer un coup tordu. Rien ne dit non plus qu’ils ne vont pas découvrir que nous avons retourné Jim ou que nous avons infiltré une taupe. Mais pour l’instant, nous engrangeons des réussites. S’il s’agissait d’une opération classique, je dirais que nous sommes à plus de 50% de gagner.

Le Président ne commenta même pas cette assertion. Il avait été habitué, ces derniers temps, à ce que des victoires cachent des catastrophes à venir.

- Et vous Anderson. Que pouvez-vous nous raconter pour nous mettre de bonne humeur ?

Anderson n’avait justement pas l’air de bonne humeur. Mais c’était le cas en permanence.

- J’ai exécuté vos ordres M. le Président. Nous avons passé au crible la liste de noms fournie par Juan Contreras. Il y a vingt-trois noms. De ce total, douze correspondent à des personnes qui existent véritablement. De ces douze, seulement trois sont susceptibles d’être des membres d’une organisation mafieuse. En effet, parmi les neuf autres, on trouve des grands-pères dans des bidonvilles, un vendeur de saucisses chaudes en Allemagne, un serveur dans un café Parisien, etc. Bref. Passons. Sur les trois restants, deux sont situés dans des républiques de l’ex-URSS où nous n’avons absolument aucun poids. Les menacer d’une ruine économique les feraient tordre de rire, vu l’état de leurs économies. Nous allons cependant tenter des exfiltrations comme pour Juan, si vous et mes collègues ici présents, le jugez utile. Enfin, le dernier est un ressortissant britannique. Membre de la Chambre des Lords et dont la famille est noble depuis plus de 750 ans. Cela n’est pas un gage d’honnêteté, je vous le concède. Nous avons donc demandé l’aide du MI 5 pour fouiller un peu ses activités… disons… financières. Tout est en train d’être passé au crible. Nous verrons bien ce que cela donnera. Quoi qu’il en soit, nous pourrons à tout moment, s’il s’agit bien d’un membre de l’organisation, nous en servir à son insu. Je pense par exemple à une mise sur écoute totale de son activité I.P, comme nous l’avons fait dans d’autres affaires. Cela permet de remonter toute la chaîne, peu à peu. Et peut-être, de remonter à la tête de l’organisation. Par ailleurs, je vous confirme, M. le Président, que l’option éradication des membres de l’organisation, quel que soit leur pays d’origine est envisagée. Nous avons les équipes pour.

- Je suis personnellement favorable à cette solution, avança Samuel Winkle qui avait gardé un silence total depuis le début de cette rencontre.

- J’aviserai, lâcha Bill Clinton.

Quelques regards se croisèrent.

Les Etats-Unis n’avaient pas pour habitude d’éliminer physiquement des empêcheurs de faire-du-commerce-dans-un-monde-capitaliste-parfait en rond. D’autres pays avaient tenté l’aventure du " œil pour œil, dent pour dent " comme Israël après les tristement célèbres Jeux Olympiques de Munich en 1972 lorsqu’un commando palestinien, Septembre Noir, avait assassiné onze athlètes israéliens. Le Premier ministre de l’époque, Mme Golda Meir, avait autorisé le Mossad à éliminer physiquement tous les membres du commando. Ce type de solution avait ses limites et il s’agissait d’un pays en guerre permanente. Surtout à cette époque là.

Samuel Winkle qui ne se faisait généralement pas remarquer par un côté va-t-en-guerre reprit la parole à la surprise générale. Généralement, personne ne relançait le Président lorsqu’il coupait la conversation avec un " j’aviserai ".

- Souvenez-vous M. le Président. Il y a un précédent. Nous avons un homme, un américain qui a passé des années en prison en isolement total dans l’attente d’un procès. Nous ne savons pas comment l’intégrer dans la société. Il est un danger pour notre système. Comme nous ne savons pas quoi en faire et que nous pensons qu’il récidivera s’il sort de prison, il est resté plus de quatre ans au secret. Vous avez sans doute entendu parler de lui, il est devenu l’égérie des hackers, c’est Kevin Mitnick. Il a bien fallu le libérer sous la pression des media. Mais dans l’absolu, comme nous ne pouvions prendre le risque de le laisser reprendre ses activités nous avons fait en sorte de le déconnecter de l’actualité de son domaine pendant un temps assez long pour qu’il soit dépassé. Eh bien il me semble qu’avec cette organisation, le danger est plus important encore et que nous devons prendre des mesures encore plus radicales.

- Je comprends ce que vous voulez nous dire Samuel. Au fond, je suis d’accord avec vous. D’ailleurs, j’ai donné mon aval pour quelques actions radicales ces derniers temps, n’est-ce pas ? Panama, Amsterdam, Jim et j’en passe. Alors, nous verrons le moment venu pour l’élimination des membres de cette organisation.

- Je souhaite pour ma part dire ici et maintenant que jamais, ni moi ni mes services, ne cautionneront l’éradication de Jim, lança Jones.

Le patron du F.B.I. avait pour réputation de toujours soutenir ceux qui aidaient la justice, quel que soit leur passé. Cette attitude était assez " neuve " au sein de la maison. Jusqu’ici, à part le programme de protection des témoins, il y avait quelques précédents célèbres de repris de justice qui avaient été utilisés en échange d’une remise de peine et qui, une fois les services rendus, n’avaient rien vu venir. Cela avait freiné les velléités potentielles. Jones avait appris des juges anti-Mafia de Palerme. Il savait le pouvoir que pouvait avoir le respect d’une parole donnée chez certains individus.

- Ne vous inquiétez pas Jones. Je veillerai personnellement à ce que ce garçon puisse intégrer une de nos équipes de spécialistes en informatique, trancha le Président.

Alan dut se contenter de cela pour l’instant.

Le Président se tourna vers John Irving.

- De votre côté John ?

- Je pense que je peux céder mon tour pour l’instant. Nous avons nos grandes oreilles à l’affût de toutes les communications qui nous intéressent, c’est-à-dire les téléphones, les portables, les lignes spécialisées sous IP depuis les fournisseurs d’accès et ceci jusque dans les pays de l’Est. Il n’en ressort rien de palpitant pour l’instant. C’est un travail de fourmi. Michael a fait quelques incursions sur des réseaux que nous soupçonnons d’appartenir à la Mafia russe. Tout ce que nous avons pu apprendre, c’est que le patron de la base d’Amsterdam a été hébergé quelque part dans les ex-républiques d’URSS… Rien de transcendant. Selon les informations que nous avons pu regrouper en provenance des réseaux des compagnies aériennes, il a quitté cette région du monde pour le Pacifique. Tout cela recoupe les renseignements d’Alan et nous avions déjà échangé tout cela.

- Bien. Je pense que je devrais dire que je suis content. Mais j’ai du mal. J’ai à nouveau l’impression désagréable que nous faisons du suivisme. Quand prendrons nous l’initiative ? lança le Président.

- C’est un peu tôt M. le Président, hasarda Dereck Olmes. Nous allons les encercler complètement avec nos deux infiltrés et nous allons les laisser agir, sans doute, sur une opération que nous considérons comme mineure, puis, alors qu’ils seront en confiance, nous les frapperons à la tête.

- Vous voulez dire, Olmes, que nous allons encore avoir de la casse ?

- Pas forcément nous. Disons que si nos informations sont solides, il semblerait que leur prochaine action soit dirigée contre les deux pays européens évoqués par Alan Jones. Nous pouvons donc les laisser agir en prévenant nos alliés. Afin qu’ils ne soient pas surpris et qu’ils puissent se prémunir d’effets trop… dévastateurs…

- Quel est votre avis là-dessus Jones ?

- Je pense qu’il est dangereux de ne pas jouer cartes sur table avec nos alliés. Les méchants partagent l’information, nous ne pouvons nous offrir le luxe de la retenir.

- Anderson ?

- Vous connaissez mon avis sur les pays européens monsieur. Ils sont bien petits à l’échelle du nôtre et nous devons faire passer nos objectifs avant les leurs. C’est le partage sélectif de l’information. Un peu comme lorsque nous nous attaquons à l’Irak. Par exemple…

Neil Mulder fit son entrée à cet instant.

Jones remercia le ciel. Son agent allait pouvoir donner à ces ronds de cuir un avis recueilli sur le terrain. Peut-être allait-on éviter une gaffe du type " Amsterdam " cette fois…

- Bonsoir messieurs. Excusez mon retard, mais le vol a été un peu retardé en raison de la neige.

- Prenez place agent Mulder, dit le Président avec un geste invitant Neil à s’asseoir sur un siège resté vide près de lui. Quelle est la température de notre affaire lorsque l’on a les mains plongées profond dedans, monsieur Mulder ? Le Président souriait intérieurement car il imaginait qu’il avait choqué au moins deux personnes dans la salle par ses propos non politiquement corrects.

- La température est en baisse monsieur. Nos méchants croient pouvoir se remettre doucement de nos dernières frappes. Nous avons introduit une nouvelle taupe dans l’organisation. Nous avons des visages. Pas ceux que nous aurions souhaité, mais quelques-uns. Les ordinateurs travaillent pour mettre des noms dessus. Reste que nous semblons être en face d’un nouveau type de criminels et il est possible que certains membres de l’organisation n’aient jamais été même soupçonnés par la police d’avoir cassé une patte à une mouche. Quoi qu’il en soit, notre taupe est entrée dans la sphère de décision, ce qui correspondrait à un conseil d’administration dans une entreprise classique. Nous attendons beaucoup de cette position pour engranger des informations capitales sur les lieux de résidence des membres par exemple. Nous savons déjà qu’une nouvelle base est opérationnelle dans le Pacifique. Elle va bientôt entrer en guerre contre les gouvernements espagnol et français. Une autre est en construction au Kazakhstan. Celle-ci devrait être plus importante en hommes et en moyens. Mais plus accessible pour nous. Quoi que… tout dépend des moyens employés. Un commando de Marines pourrait fort bien prendre le contrôle de la base dans le Pacifique et faire croire à l’organisation qu’elle est toujours opérationnelle. Quant à la base au Kazakhstan, si nous arrivons à convaincre les Kazakhs, nous pouvons faire une razzia. Reste la tête de l’organisation. Si nous ne la décapitons pas, d’autres bases refleuriront un jour. Il nous faut les deux hommes qui sont à la tête de cette organisation…

- Deux ? coupa le Président.

- … C’est du moins ce que nous pensons. Nous recherchons actuellement des informations sur des membres des anciens services secrets de l’Est qui auraient travaillé par paires. C’est un travail de fourmi car les paires en question étaient courantes. Il faut maintenant faire le tri. Mais cela avance.

- Nous évoquions l’idée, avant votre arrivée, d’une information partielle de nos alliés européens… De les laisser se dépatouiller avec les problèmes qui ne manqueront pas de se présenter dans les jours ou les semaines à venir. L’idée, que M. Olmes développait tout à l’heure, est de nous laisser un peu de marge, de laisser les méchants se croire à l’abri et de mieux les frapper par la suite. Je souhaite votre opinion sur ce sujet.

- Monsieur le Président, tout ce que je vous demande, c’est de ne pas nous aliéner des gouvernements qui nous aident énormément actuellement alors qu’ils ne sont pas encore frappés directement par cette guerre informationnelle. Ils sont de bonne composition et je souhaiterais que cela dure. Par ailleurs, il y a ce journaliste français qui nous donne des informations que nous n’aurions pas par d’autres voies. Je ne voudrais pas qu’il nous prenne en grippe.

- J’ai compris.

La moquette était trop moelleuse, les roulements à bille dans les roulettes des siège étaient de bien trop bonne qualité pour que l’on entende le moindre bruit lorsque tous les participants se levèrent. Ils quittèrent la pièce en fendant les volutes de cigare. La lumière bleuâtre qui faisait se refléter la fumée contribuait à imprimer un air étrange au lieu.

 

BUREAU DU DIRECTEUR DE LA REDACTION DU JOURNAL LE REPUBLICAIN, LE 27 DECEMBRE AU MATIN

 

Le directeur général du journal avait été " convoqué " par le directeur de la rédaction.

 

- De si bon matin et à une date pareille, que peut-il me vouloir ? pensait le responsable…

- Bonjour Alain, je t’ai fait venir parce que Georges, notre grand reporter préféré nous a ramené des documents incroyables. Nous devons maintenant prendre une décision importante. Est-ce que l’on continue l’enquête ? Vérifie-t-on un peu plus les documents ? Et puis, surtout, allons-nous les publier ?

- De quoi s’agit-il ?

- Disons que c’est un gros scandale qui va éclabousser plein de monde si la mayonnaise est suffisamment montée. Mais je vais laisser Georges t’expliquer.

- Voilà, j’ai reçu par une source que je considère comme fiable, des documents prouvant l’implication générale des gouvernements français et espagnol dans la mise en place du GAL, mais également dans le soutien à cette organisation et la mise au vert de quelques membres. Parmi ces documents, on trouve des factures qui prouvent très clairement que des policiers français ont fourni armes, logistique et toits aux membres du GAL à partir d’une certaine époque. Le tout avec l’appui et l’aval du ministre de l’Intérieur de l’époque. C’est à dire une des pointures du parti du Président actuel… Qui, je vous le rappelle, était Premier ministre à l’époque. Je sais qu’il a des casseroles aux fesses, mais là, il y a mort d’hommes. A plusieurs reprises. Il s’agit de terrorisme d’Etat. Ce que nous avons pu reprocher à de nombreux gouvernements, nous, patrie des droits de l’homme, nous l’avons fait sur notre propre sol avec un mouvement terroriste qui menaçait plus notre voisin que nous-mêmes. Si nous publions l’affaire, cela devrait faire pas mal de bruit…

- Je vois. Je vais consulter mes équipes, les juristes et le service de pub et je vous passe un coup de fil.

- O.K.

Le directeur général tourna les talons et partit lancer quelques simulations pour vérifier si oui ou non, une telle histoire ferait monter les ventes au numéro et la pub… Les deux journalistes restèrent seuls.

- Georges, tu peux vérifier encore ? Une seule source, même si tu as confiance, ça me paraît un peu court pour un truc comme ça.

- Il y a quelques numéros de téléphone pour les entreprises concernées et les personnes impliquées. Je peux appeler. Si ça répond et que c’est bien la boite qui est décrite dans les documents… Et puis, pour les individus, je peux poser quelques questions, me faire passer pour un responsable d’une de ces boites qui fouille dans les vieux papiers…

- Ce n’est pas forcément ce que nous apprend le code de déontologie, mais vas-y parce que je pense que l’on aura besoin de pas mal de biscuit…

- O.K.

 

LE 28 DECEMBRE, DANS UNE CAMIONNETTE AUX ALENTOURS DE HENDAYE

 

biiiiiip, biiiiiip, biiiiiip, biiiiiip,

 

- Ca sonne au numéro qu’on a attribué à …. Hechevarri. Tu as le profil à l’écran ?

- Oui, vas-y, connecte !

- Allo ?

- Bonjour, je suis bien chez monsieur Hechevarri ?

- Oui, c’est pour quoi ?

- Voilà je suis le nouveau comptable de la société Hendaye Import. Il y a quelques années, nous avons reçu une caisse en provenance de Bilbao. De chez vous en fait. Nous avons ici un document dans lequel il manque une information et cela me pose un problème pour ma comptabilité… A l’époque, mon prédécesseur a omis de définir le contenu de la caisse. Pourriez-vous m’aider à réparer cet oubli ?

- Heuu… Des jambons, j’exporte du jambon cru espagnol. Oui, c’est ça, du jambon !

- Ah, bien. Merci beaucoup monsieur, c’est parfait. Au revoir.

- Au revoir.

Le journaliste parisien était très satisfait de son coup de fil. Encore une ou deux arnaques de ce genre et il aurait son reportage à la " Une " du canard.

- Tu crois qu’il a plongé ?

- Je pense.

- C’est encore plus facile qu’à l’époque des bateaux au large de la Floride.

- Hé, hé, hé…

 

BUREAU OVALE, LE 30 DECEMBRE

- Bonjour Jacques, bonjour José-Maria, comment allez-vous depuis le dernier sommet ?

Le système de visioconférence du Président américain était nettement plus sophistiqué que celui de l’organisation contre laquelle il luttait. Les transmissions étaient codées, sous surveillance INFOSEC et permettaient de faire réellement du temps réel. Il faut dire que pour pouvoir parler avec ses homologues européens, le Président américain pouvait à tout moment demander un canal sur un satellite qui avait coûté plus d’un milliard de dollars.

- Bon, William, nous devons savoir à quoi nous attendre. Nos services nous disent que l’organisation va tenter de nous déstabiliser sur l’histoire du GAL. Que disent les vôtres ?

Le Président français était toujours aussi impétueux et un peu naïf. Il croyait parler d’égal à égal avec tous les présidents de la terre alors que la plupart d’entre eux le méprisaient cordialement.

- Bien, ne vous inquiétez pas trop Jacques, je peux vous dire que nos services ont classé ce risque tout en bas de l’échelle. Selon nous, l’organisation a été très affaiblie récemment par nos actions. Au pire, ils peuvent tenter de déclencher une campagne de presse contre les anciens gouvernements en place au moment de ces histoires du GAL. Mais dans ce cas, j’interviendrais pour dire publiquement que la C.I.A. et le F.B.I. ont découvert qu’il s’agit d’une entreprise de désinformation. Nous pourrions même avancer des documents arrangés prouvant nos dires. Nous savons faire cela. Et puis, l’idée générale est qu’il ne faut pas mettre la puce à l’oreille de l’organisation pour pouvoir la frapper plus durement. Nous devons toucher la tête sans quoi, rien ne sera réglé.

- Moi je veux bien, mais je vous signale que j’étais Premier ministre à l’époque où les GAL agissaient sur notre territoire…

- Et moi, je trouve que mon pays a déjà été assez durement marqué par ce scandale. Il ne faudrait pas qu’il reparte en flèche, car cela pourrait avoir un effet désastreux sur l’opinion publique.

- Je vous garantis que dans le cas où l’affaire prendrait des proportions importantes, les Etats-Unis viendraient à votre secours.

- Bon…

Le Président français n’était pas tout à fait rassuré…

- Bueno, ya veremos.

Son homologue espagnol n’était pas moins pâle…

 

PAYS DE L’EST, LE 2 JANVIER

 

- Je pense qu’il serait bon d’accompagner le lancement de notre petite affaire sur le GAL d’un gros pataquès sur le réseau. Qu’en dis-tu Joe ?

- Tu parles de cette affaire de changement des routes ?

- Oui, ou alors de mettre à exécution cette menace de ce groupe de hackers, L0pht, qui avait annoncé pouvoir faire tomber le réseau Internet en moins d’une demi-heure avec quelques ordinateurs portables et de la bande passante…

- Je pense que c’est peut-être un peu tôt…. Il faudrait aussi demander à Jim où en sont ses équipes sur ce sujet.

- Appelons-le.

Jack lança son client IRC.

Quelques instants plus tard, il communiquait avec Jim.

<Babe21> Mon associé et moi, nous voudrions savoir où en sont vos équipes sur les deux projets concernant les modifications massives des configs des routeurs sur le Net et celui des backbones, les quelques liens principaux qui soutiennent toute l’architecture du réseau ?

<girl_30_> Nous avançons. Le nombre de routeurs qui sont ouverts –mal protégés, si vous préférez- et que nous avons recensés comme pouvant être modifiés à tout instant est maintenant considérable. Toutefois, il ne nous semble pas que ce chiffre suffise à provoquer la panique sur le Net, telle que nous l’entendons. Nous préférerions attendre encore quelques semaines pour agir.

<Babe21> Et pour l’autre ?

<girl_30_> Disons que là, le projet est bien plus abouti. Simplement, nous aurions besoin d’une forte bande passante dont nous ne disposons pas. Quoi qu’il en soit, comme nous l’avions évoqué lors de nos discussions sur ce thème,

<girl_30_> nous ne pourrons pas agir très longtemps. Disons quelques heures au plus. Et par intermittence si nous ne voulons pas être repérés. Ou alors, il faudra abandonner la base très rapidement. Car avec un problème comme ça sur le réseau, il est probable

<girl_30_> que l’armée américaine qui l’utilise de plus en plus pour ses communications, nous envoie une équipe de dépannage. Si vous voyez ce que je veux dire. Et moi, j’ai déjà donné à Amsterdam…

<Babe21> Pas de problème. Nous souhaitons juste une petite panique. Je pense que la démonstration de la faillibilité importante du réseau devrait faire plonger de nombreuses sociétés en bourse. Je ne parle même pas des fabricants de routeurs ou des courtiers en ligne, ni des banques qui ont tout misé sur la banque à distance via Internet ou même des journaux en ligne…

<Babe21> Quand pourrions nous procéder à un test ?

<girl_30_> D’ici quelques jours pour le deuxième projet.

<Babe21> C’est bien…

 

PARIS, ELYSEE, LE 6 JANVIER

 

Les colères du Président français étaient légendaires. Il faisait rire tout le personnel de l’Elysée car personne ne réussissait à le prendre au sérieux. En dépit de ses efforts pour passer pour quelqu’un de sérieux, ce grand homme par la taille ne pouvait en aucun cas avoir l’air d’un grand homme d’Etat. Il y avait comme quelque chose d’indéfinissable qui donnait vraiment l’impression que ce grand type était un grand dadet. Voir même un bouffon…

Ce jour là non plus, personne n’avait pris au sérieux les cris du Président. Les doubles portes capitonnées (une spécialité républicaine) qui isolaient son bureau du couloir n’avaient pu étouffer ses hurlements. Pourtant, cette fois, le Président avait une bonne raison d’être en colère. Sur quatre pages, le Républicain accusait le gouvernement dont il avait été Premier ministre d’avoir apporté un véritable soutien logistique aux commandos du GAL. Des fac-similé de notes échangées entre l’ancien ministre de l’Intérieur et son homologue espagnol démontraient, s’il le fallait, que toute cette histoire touchait le sommet des deux Etats. Tout avait été fait en concertation pour mettre un terme, par les mêmes voies violentes, au terrorisme basque. Si un doute devait subsister, les notes étaient " signées " par les numéros d’identification du ministère. Le journal précisait que le ministère démentait l’existence de ces notes mais ne pouvait renier ces numéros d’identification qui existaient bien. Une forme d’aveu selon le journaliste.

Le téléphone était presque fumant tellement le Président avait passé de coups de fils.

- Qui est ce con de journaliste ? Je veux son rédacteur en chef au téléphone dans une heure au plus, lança le Président à son chef de cabinet qui venait d’arriver dans le bureau. La directrice de la communication s’était déjà fait descendre en flammes…

- Je ne pense pas que cela puisse nous aider. Tenter de faire pression sur un journal qui a décidé de se lancer dans ce type d’aventure est dangereux. Ils interpréteront cela comme un aveu. Ils ont décidé de publier parce qu’ils pensent que cela va augmenter les ventes et les revenus de la pub. Dès lors, ils croient dur comme fer dans ce qu’ils disent. C’est déjà devenu irrationnel. Peu importe que ce soit réaliste ou pas, ils sont forcés de croire à ce qu’ils disent. C’est un truc bien connu. Lorsque l’on commence à avoir un raisonnement faux, on s’enferre. Revenir en arrière serait avouer une erreur, ce qui est impossible dans ce schéma intellectuel. Je pense, M. le Président, qu’il vaut mieux tenter de jouer sur les autres journaux et de les faire adhérer à notre vision des choses au plus tôt dans le déroulement de cette crise, avança le chef de cabinet. Il n’était pas vraiment sûr que son impulsif de Président se rangerait à son opinion.

- Vraiment ? En attendant, on est dans une merde noire et je risque de sauter !

- Rien n’est moins sûr M. le Président, il reste le journal de référence qui doit chercher des infos pour son édition de cette après-midi, je vous propose d’appeler le directeur de la rédaction au plus vite…

- C’est une bonne idée. Et puis je le connais bien. On a dîné ensemble la semaine dernière…

Une heure plus tard, les deux hommes se félicitaient de cet entretien téléphonique qui, pensaient-ils, devait se solder par un article au ton dubitatif. Ils étaient persuadés d’avoir semé le doute dans l’affaire du GAL… version française.

Une fois seul, le Président décida d’appeler son homologue espagnol. Après tout, il allait bien falloir prendre la température de l’affaire de l’autre côté des Pyrénées avant de passer un coup de fil énervé à Bill Clinton.

- Bonjour José-Maria, c’est Jacques.

- Bonjour, lança le Président du gouvernement espagnol. Ce petit homme sans relief aucun parlait quelques langues, ce qui l’aidait, pensait-il, dans sa recherche d’une stature internationale. Si le Président Français tentait comme un beau diable de ressembler à un mélange de son prédécesseur et du général De Gaulle, José-Maria rêvait secrètement de bénéficier d’une stature internationale comme celle de son prédécesseur. Ce rêve lui posait de graves problèmes psychologiques puisque l’ancien président était d’un bord politique opposé. Il est paradoxal de vouloir ressembler à ce que l’on combat…

- Alors ça y est. Un article est paru dans la presse ici. Il y a quelque chose de ton côté ?

- Pour l’instant nous sommes tranquilles. Notre ambassade nous a transmis l’article ce matin tôt. Il n’y a pas de doute, la presse espagnole va relancer l’affaire du GAL et en plus elle a ses informateurs… Nous soupçonnons fortement un banquier d’avoir gagné l’amitié d’un ancien responsable des services secrets, le CESID. Ce dernier lui transmet des notes qu’il a conservées. On retrouve les informations dans les journaux du groupe de ce banquier. Le problème c’est que l’on a jamais pu prouver ce lien… Si l’affaire rebondit, il n’y a aucun doute, ce couple infernal va se remettre en branle et nous allons avoir des notes confidentielles dans toute la presse…

- Justement, ici, ce qui a été publié est un montage. Ce sont des faux. Nous n’avons pas gardé de notes de ce type. La collaboration sur ce thème entre nos deux pays a bien eu lieu. Mais nous n’avons pas produit ces notes. Ce qui veut dire que l’organisation est bien renseignée. Car les numéros d’identification qui sont cités par le journaliste sont vrais. Il va falloir réagir. Je vais appeler Bill Clinton pour qu’il fasse ce qu’il a dit l’autre jour. Je veux qu’il fasse démentir par ses services !

- Ce serait bien. Mais je crains que ce ne soit pas suffisant. Ce qui est déprimant, c’est que nous n’avons pas l’avantage avec les media. La presse est manipulée par l’organisation que nous combattons, mais nous n’arrivons pas à la manipuler… C’est paradoxal, on a reproché aux gouvernements de museler la presse pendant des années. Maintenant que nous n’avons plus aucun pouvoir sur elle, personne ne songe à lancer un débat de même ampleur sur la mainmise des grands groupes industriels sur les organes de presse !

- Eh oui… Je me souviens de l’époque où le gouvernement faisait le sommaire du journal télévisé.

- Ce n’est pas mieux aujourd’hui…

- Bien, on se tient au courant.

- Oui.

- Adios.

- Au revoir Jacques.

Le président français était assez remonté et comptait bien obtenir beaucoup de son homologue américain. Il faut dire qu’il était déjà dans le collimateur de nombreux juges pour de vieilles histoires liées à son passage à la Mairie de la capitale française… Il ne manquait plus que cette vieille affaire du GAL. Pourquoi ne pas ressortir l’histoire des otages au Liban libérés entre les deux tours des élections présidentielles tant que l’on y était ? Là aussi il avait bien fallu faire des concessions… Rien n’est jamais aussi simple que ce que ces imbéciles de journalistes imaginent, pensa le Président. Ils n’ont qu’à prendre notre place s’ils sont si " purs ", estima-t-il au moment de décrocher son téléphone.

- Bill ! It’s me Jacques !

Il était encore un peu tôt pour le président américain mais le Français n’y avait même pas pensé…

- Hello Jacques, what’s up ?

- Ca y est, la presse française a ressorti l’affaire du GAL en expliquant que nous avons collaboré avec Madrid pour soutenir ce groupe terroriste créé par les services secrets espagnols.

- Je sais, je viens de recevoir un mémo de dix lignes de la C.I.A.… Ne t’inquiète pas, je vais demander à nos services de créer les documents nécessaires pour valider la thèse de la désinformation. Ce sera dans le Wall Street Journal demain.

- O.K.

 

" UNE " DU WALL STREET JOURNAL, LE 7 JANVIER

 

En Europe, l’affaire du GAL, ce groupe terroriste monté de toutes pièces par le gouvernement de Madrid afin de lutter contre le terrorisme des basques de l’ETA a rebondi cette semaine. Des documents ont été publié par la presse française, mettant en cause le gouvernement français qui aurait collaboré avec l’Espagne dans cette guerre sale.

Toutefois, selon les informations dont dispose le Wall Street Journal, ces documents seraient faux. Ils auraient été créés par d’anciens membres des services secrets espagnols qui, écartés de leurs postes pour malversations et pratiques douteuses, souhaitent se venger de leurs anciens employeurs. Ils auraient choisi de relancer l’affaire du GAL via la France afin d’être plus discrets. Le Wall Street Journal est en possession de documents qui prouvent l’implication dans cette opération de désinformation d’un ancien haut dirigeant du CESID, l’équivalent espagnol de la C.I.A.. L’ancien général Juan P. serait allié dans cette entreprise avec un homme d’affaires en vue à Madrid.

Les services de renseignement américains s’interrogent toujours sur le but recherché. Il est toutefois probable qu’il s’agisse d’une tentative de déstabilisation des gouvernements européens. Dans le contexte actuel de création d’une défense européenne, l’apparition de ces informations ne […]

Un fac-similé du document évoqué par le journal américain était reproduit en légende du papier. Il permettait de laisser croire à qui le souhaitait que la C.I.A. validait la thèse du complot informationnel. Tout le monde était content. Madrid pouvait accuser indirectement le général P. et son ami " homme d’affaires ", Washington venait en aide à ses alliés européens à peu de frais et le président français allait peut-être cesser d’appeler Clinton à 5 heures du matin…

 

MADRID, SIEGE DE APRIS, LE 8 JANVIER

 

José Ascensor avait réuni tout les rédacteurs en chef de son groupe de presse. Il fallait bien agir… Si son groupe de presse ne rebondissait pas sur les informations diffusées par la presse française, ses lecteurs et auditeurs risquaient de ne pas comprendre. En effet, les supports du groupe Apris avaient toujours été en avance d’un scoop sur ce sujet. Depuis des mois, plus rien ne se passait sur le front du GAL, les gouvernement de gauche comme de droite ayant décidé d’enterrer toute cette affaire le plus profond possible.

José jouait sur un terrain difficile. Il était à la fois acteur de la désinformation menée par l’organisation à laquelle il venait d’adhérer et à la fois aux commandes d’un groupe de presse qui pouvait faire office de caisse de résonance pour ces informations travesties. Sa conscience lui dictait de ne pas reprendre ces informations, mais il avait là le moyen de déstabiliser ce gouvernement qu’il méprisait. De plus, s’il ne reprenait pas ces informations, l’organisation risquait d’avoir quelques doutes.

- Messieurs, je vous ai réunis car vous n’êtes pas sans savoir qu’un rebondissement important est intervenu dans l’affaire du GAL. Comme par le passé, je dispose sur ce sujet de quelques informations qui peuvent vous être utiles. Je vais donc vous les communiquer maintenant par oral, comme à l’accoutumée. Vous pouvez prendre des notes, mais vous n’êtes pas autorisés à procéder à un enregistrement. Comme cela a été évoqué par un journal français, les gouvernements français et espagnol ont mis en place de manière concertée toute une infrastructure permettant au groupe terroriste GAL de se cacher et d’agir depuis la France. Cette mise en place a reçu l’aval, en France, du président actuel. De ce côté des Pyrénées les choses sont un peu plus complexes. Comme vous le savez, il est courant que le chef du gouvernement interroge le Roi et prévienne le leader de l’opposition lorsqu’il va prendre une décision essentielle pour l’avenir du pays. A l’époque des faits, tout semblait avoir été tenté pour mettre un terme à la guerre menée par l’ETA. Les attentats aveugles comme celui perpétré dans un sous-sol de supermarché à Barcelone avaient rallié l’opinion publique à l’idée selon laquelle tous les moyens étaient bons pour faire taire le terrorisme. Mais je ne vais pas vous raconter des choses que vous savez déjà. Sachez simplement que lorsque le GAL a été mis en place, l’opposition a été prévenue. De même, lorsque le réseau de soutien en France a été créé, l’actuel chef du gouvernement a été mis au courant. Cela n’a pas semblé le contrarier. Nous ne sommes pas là pour juger ces décisions prises au sommet de l’Etat et de la classe politique en général. En revanche, nous sommes là pour informer le public. Je vais donc faire circuler parmi vous –et vous en garderez une copie- un document qui prouve indéniablement que l’actuel chef du gouvernement était parfaitement au courant de toute cette affaire. Il s’agit d’une note rédigée par l’ancien chef du gouvernement et transmise à son ministre de l’Intérieur. Elle rend compte de sa conversation avec son successeur. Je suis à la disposition de vos reporters tous les jours entre 9 heures et 9 heures 30 du matin au numéro de téléphone suivant : 567 00 56. Des questions ?

Personne ne doutait de la fiabilité des information de José… Après tout, c’était lui le patron…

 

UNE DE YOUPLAHOO.COM, LE 9 JANVIER AU MATIN

Youplahoo.com, " le portail des portails " comme l’avaient surnommé la presse et les analystes financiers avait mis en place depuis quelques mois une section " news " pour satisfaire ses visiteurs. Ni la presse ni les analystes financiers ne s’étaient demandé s’il était logique qu’un bête moteur de recherche se lance dans la diffusion d’informations. Il faut dire que Youplahoo était rapidement devenu incontournable et incritiquable en raison de sa capitalisation boursière et de ses résultats financiers hors du commun pour une société du secteur des NTIC. Ce matin-là, les journalistes de Youlahoo.com avaient décidé de publier un article sur la base d’un document fourni par une source estimée comme " sure " et selon lequel une grande banque européenne était proche de la faillite.

Encore une, se dit le technicien qui valida la mise à jour sur le serveur.

"   Selon nos informations, la banque I.M.G., véritable conglomérat financier (maison-mère de plusieurs banques, assurances, sociétés de bourse, fonds d’investissements dispersés dans le monde) serait sur le point de déposer son bilan. Des positions hasardeuses sur certains marchés de produits dérivés auraient fortement plombé les comptes de l’établissement l’an dernier. Les autorités de tutelle de la banque comme leurs homologues américaines seraient en train de préparer un plan de sauvetage. Aucune des entités mentionnées n’ont souhaité nous répondre. Une telle faillite, qui ferait suite à celle de la Barings en Grande-Bretagne, à celle du Crédit Lyonnais en France et à bien d’autres encore laisserait planer un doute sur le système financier européen et ses méthodes de contrôle. De plus, il va sans dire qu’un dépôt de bilan de la I.M.G. serait le prélude à une multitude de faillites bancaires mais aussi industrielles. Les marchés financiers seraient rapidement frappés très durement. Le président de la S.E.C. devrait faire une déclaration dans la journée. "

 

SIEGE DE LA S.E.C., LE 9 JANVIER A 11 : 00 AM

Dans la salle de presse du gendarme de la Bourse américaine, la tension était à son paroxysme et en dépit d’une parfaite climatisation, les membre de l’auguste commission étaient un peu rouges de visage. Dans la matinée, l’indice général avait perdu 3000 points. Une véritable catastrophe. Les marchés européens n’avaient pas encore ouvert. Il restait la nuit (européenne) pour tenter de mettre un terme à cette rumeur. Alan Meredith, le patron de la S.E.C. prit la parole devant un parterre de journalistes inhabituellement fourni.

- Bonjour mesdames, bonjour messieurs, merci d’être venus en nombre. Je tiens à vous préciser avant d’entamer cette conférence que les marchés comptent sur l’aide des media pour enrayer une spirale négative déclenchée par une rumeur sans fondement. La S.E.C., mais également ses homologues européennes concernées tiennent à affirmer que ni la banque I.M.G. ni aucune de ses filiales dans quelque secteur que ce soit ne sont au bord du dépôt de bilan. Les informations diffusées par le site Internet Youplahoo.com ne sont qu’un vaste tissu de mensonges et il est très probable qu’elles fassent partie d’un complot informationnel visant à déstabiliser les marchés. La S.E.C. a ouvert une enquête pour trouver les responsables de cette catastrophe. Les marchés financiers ont dû être fermés en attendant que le calme ne revienne et que nous puissions nous exprimer sur cette affaire. Il n’en reste pas moins que l’indice général a perdu 3000 points. Ce n’est pas négligeable. Je veux dire ici que nous allons faire tout notre possible pour trouver et châtier les responsables de ce désordre. Cette affaire nous rappelle que le monde financier, au delà des frontières est très réactif à l’information. Il revient donc aux media dans leur ensemble de prendre la mesure de la portée de ce qu’ils diffusent. Je tiens à rappeler ici que la plupart des journaux, télévisions et radios qui se trouvent représentés dans cette salle ont repris l’information de Youplahoo.com. Le conditionnel utilisé ici ou là n’est en rien une excuse. Vous avez tous votre part de responsabilité dans une catastrophe boursière qui se traduira inévitablement par des suppressions d’emplois dans les mois à venir. Les entreprises cotées qui travaillent de près ou de loin avec I.M.G. ont vu leurs cours s’effondrer. Leur volume d’affaires va se réduire fortement dans un avenir proche et elles devront dégraisser. Encore une fois, les informations publiées par la presse sur le groupe I.M.G. sont fausses. L’établissement financier fera une déclaration dans les heures qui suivent, comme nous en sommes convenus. Je laisse le soin aux dirigeants d’I.M.G. d’annoncer eux-mêmes les suites juridiques qu’ils donneront à cette affaire. Les marchés financiers devraient rouvrir dans quelques heures. Je suis maintenant disposé à répondre à vos questions.

Le correspondant permanent de CFI, la chaîne française d’information financière continue ouvrit le feu.

- Bonjour monsieur. Vous affirmez que ces informations sont fausses. Pourtant, de nombreuses bases de données financières et d’informations financières ont permis aux journalistes de corroborer cette nouvelle. De plus, un panel d’analystes qui est –je vous le rappelle- repris sur le serveur informationnel du Nasdaq destiné aux entreprises cotées- a montré de très fortes réserves sur les entreprises du groupe I.M.G.. Or il me semble que les analystes financiers ont accès à bien plus d’informations que la presse, même financière. Comment expliquez-vous ces chiffres, ces prises de position de la profession ?

- Nous apportons actuellement notre aide à une enquête du F.B.I.. Nous soupçonnons une modification frauduleuse des bases de données dont vous parlez. Les analystes, se basant sur ces chiffres ont produit des recommandations négatives.

Le journaliste de la chaîne info n’en croyait pas ses oreilles. Cela voulait donc dire que des pirates informatiques pouvaient pirater autre chose que des pages d’accueil de sites Web ? Ils pouvaient donc s’introduire dans des bases de données financières ? Le piratage de pages sur des serveurs était un sujet qui le faisait facilement rire. Il avait d’ailleurs demandé à des pirates d’opérer en direct devant sa caméra. Etrange démarche journalistique puisqu’il ne lui serait jamais venu à l’esprit de demander à un braqueur de s’en prendre à une agence bancaire, juste pour voir si cela était possible… Mais il trouvait soudain que le piratage de ces bases était comme… une intrusion dans son monde. Ces " sauvageons " étaient donc capables de choses terribles pouvant même aboutir à une catastrophe économique ! Il se sentait soudain faible, vulnérable. Il n’avait pourtant pas d’action dans ces sociétés d’information financière…

Lorsque le reportage de CFI fut diffusé, Pierre ne put étouffer un rire franc. Ils ont remis ça, se dit-il.

- Et ils ont fait les choses en grand.

 

N.S.A., LE 9 JANVIER A 13 HEURES

 

Le directeur de l’agence, John Irving, avait réuni dans son bureau l’ancien hacker Michael Collin et le responsable des délits financiers, Kevin Johnson. L’ambiance était tendue. Une fois de plus, il semblait bien que les gentils couraient derrière les méchants…

- Je veux des explications !

Michael laissa venir son camarade Johnson…

- Monsieur, tous nos hommes sont sur le pont, il ne fait aucun doute…

- Si, justement, il y a plein de doutes partout, notamment sur votre efficacité ! Michael, que s’est il passé avec les backbones ? lança Irving.

- Et bien voilà… En fait, comme vous le savez, si Internet est prévu pour résister à n’importe quoi, y compris des explosions nucléaires qui endommageraient une partie du réseau, cela ne veut pas dire que tout ça marcherait aussi bien dans le cas d’une explosion de ce type. Dans le cas précis qui nous intéresse, l’organisation a joué sur plusieurs plans. Premier plan, elle a lancé une fausse information sur I.M.G., ceci étant appuyé par une modification dans les bases de la FirstCorp, par le même procédé que la dernière fois. Sachant que les bases de la FirstCorp font appel à un fonds informationnel commun, il est probable qu’ils n’aient pas eu beaucoup de modifications à faire. Second plan, une fois la panique déclenchée, ils ont eu l’idée de l’augmenter en faisant planter le réseau. Ils ont fait tomber plusieurs backbones, ces centres nerveux, les tuyaux principaux du Net. Bilan, les investisseurs qui utilisent des comptes via des brokers ou des discount brokers sur le Net, n’ont pas pu passer leurs ordres, ou très difficilement. Nous avons donc assisté à un mouvement de panique. Les investisseurs se sont alors tournés vers les plates-formes téléphoniques classiques. Mais ces courtiers avaient fortement réduit le personnel en raison du succès de leurs serveurs Web. Bilan, une nouvelle saturation et une nouvelle panique qui a précipité la tendance vendeuse. Certains courtiers bien connus ont également subi des attaques classiques dites D.O.S. (Denial Of Service) qui consistent à saturer les serveurs de demandes bidons jusqu’à ce qu’ils tombent en panne. Bref, une merdouille généralisée… D’autant que des pages Web de serveurs comme celui de F-Trade ou Y-Tech Online ont été modifiées : les conseils des analystes étaient foireux et recommandaient la vente de I.M.G. et ses filiales. On avait prévenu ces deux entreprises de l’état dramatique de leur réseau, mais ils n’ont pas réparé…

- Comment se fait-il que nous n’ayons pas pu anticiper ? Putain, je vais encore assister à une colère monumentale du Président. On continue de faire du suivisme ! ! 

- Monsieur , il semble qu’ils aient cloisonné. La désinformation était bien prévue, nous avions été mis au courant. La simultanéité de l’attaque sur les backbones n’a été décidée qu’en fin de course. Au dernier moment…

Kevin Johnson tenta quelque chose pour ne pas passer pour un pot de fleurs.

- Nos meilleurs agents sont en train de passer en revue la sécurité des serveurs de tous les brokers en ligne ainsi que des marchés " gris " comme Minstinet. Nous pourrons éviter une nouvelle catastrophe car nous allons les forcer à mettre leur sécurité à niveau.

- Croyez-vous vraiment que cela suffira à éviter des intrusions, Johnson ? demanda goguenard le patron de la N.S.A.…

- Je ne sais pas monsieur, je l’espère en tous cas.

Michael esquissa un sourire. Lui, il savait…

- De toutes façons, cela vient un peu tard… trancha Irving.

 

PAYS DE L’EST, LE 10 JANVIER

 

Jack regarda Joe dans les yeux. Les deux hommes étaient marqués par l’alcool mais avaient toujours un regard de fer dont devaient encore se souvenir quelques survivants parmi les " invités " de la Lubianka.

- On y va, on se fait la totale ? Tu es sûr que le moment est venu ? Moi je ferais quand même une réunion des membres pour voter.

- Non, répondit Joe. Il faut leur imposer cela. Ils sont trop idiots et incultes pour savoir si cela est une bonne ou une mauvaise décision. Nous leur dirons simplement de vendre tranquillement maintenant et d’acheter à la baisse. Nous leur parlerons d’une opération d’envergure. D’ailleurs, rien ne dit que ce soit la dernière et la plus importante… L’avenir est l’avenir. Nous ne pouvons pas savoir ce qu’il sera.

- Bien. Je passe le message à Jim.

Jack se connecta sur l’IRC

DCC Chat Session Start: Jan 10 02:22:36 1999

<hum> Bonjour

<hum_> Bonjour monsieur, que puis-je pour vous ? Il fait toujours aussi beau ici. Et chez vous, toujours aussi mauvais ?

<hum> Nous allons lancer nos petites opérations de manière simultanée. Je souhaiterai que vous déclenchiez les phases " Avion ", " banque ", " gouv ", " bourse " et le bouquet final " routers ".

<hum_> Je ne suis pas sûr que nous soyons prêts pour tout cela monsieur. Et nous manquons de puissance, je veux dire de bande passante principalement.

<hum> Ces décisions sont applicables immédiatement et tout doit être fini demain en fin de journée. Comme toujours, rien ne doit filtrer.

<hum_> Comme vous voudrez. Ce ne sera pas faute de vous avoir prévenu. Le résultat risque de ne pas être à la hauteur de vos attentes.

<hum> Nous ne souhaitons plus discuter de cela. Exécution !

<hum_> Bien.

DCC Chat Session End: Jan 10 02:26:67 1999

 

UNE ILE DU PACIFIQUE, LE 10 JANVIER

 

Quelques instants plus tard, Jim entrait en contact avec Neil

DCC Chat Session Start: Jan 10 02:35:48 1999

<Hax0rz> Ils veulent déclencher une vaste opération qui touchera les aéroports, les banques, les gouvernements, les marchés et les routeurs. Des milliers de sites vont être inaccessibles. Nous allons " dévier " la route qui conduit aux serveurs. Ca commence maintenant. Et cela finit demain. Je vous conseille de déclencher le plan rouge de chez rouge !

<Dady> Aïe. Nous ne sommes pas prêts. Les marchés sont encore très fragiles après l’histoire de l’I.M.G. et…

<Hax0rz> Je sais, il semble bien que tout ce que vous avez fait n’a servi à rien… Je ne peux que vous envoyer une liste des routeurs et des serveurs qui seront touchés. Mais vous ne pourrez parer à tout. Quand aux entreprises que nous allons déstabiliser…

<Dady> Je n’arrive pas à croire que l’on va encore se faire allumer par l’organisation alors que l’on a deux infiltrés…

<Hax0rz> Hum… bon, voilà le fichier, il passe via DCC, vous avez tous les noms et toutes les adresses I.P.

<Dady> Merci Jim. Un conseil, évacuez dès demain, après l’opération. Rentrez en Europe, rejoignez notre correspondant à Sydney, il vous exfiltrera.

<Hax0rz> Compris.

 

QUELQUE PART DANS LE CYBERESPACE, LE 10 JANVIER

 

Jack ouvrit la réunion virtuelle en téléconférence en annonçant une opération d’envergure qui commençait juste au moment où il parlait. Il demanda aux membres de commencer à vendre doucement.

Il y eu peu de réactions de la part des membres de l’organisation qui auraient pourtant pu s’indigner d’être prévenus alors que l’opération débutait. Mais ils étaient tellement contents à l’idée de pouvoir gagner à nouveau quelques millions tout en blanchissant quelque argent sale, qu’ils se contentèrent de quelques questions pratiques.

La séance fut rapidement levée.

José se demandait quelle logique il pouvait y avoir entre l’opération contre les gouvernements espagnol et français et ce qui allait se passer dans les heures à venir. Aucune se dit-il alors qu’il décrochait sa ligne sécurisée. Quoique… Affaiblir… Chaque jour un peu plus… Il entendit la voix de Pierre…

 

PARIS, SIEGE DE LA FINANCE, LE 10 JANVIER

 

Pierre était devant son écran, perdu dans un abîme de réflexion quand il avait décroché le téléphone…

Sur son écran, il pouvait lire ce message énigmatique :

Subject: What do YOU think you know?
Date: Thu, 10 Jan, 2000 11:26:02 +0100
From: Bill Clinton bclinton@whitehouse.gov
To: pmartinie@lafinance.fr

Bonjour Pierre,

Les portes du cimetière s’ouvrent.

Vous pourriez savoir qui va y entrer en demandant la liste à votre ami Neil.

Mais il est trop tard.

Vous avez perdu. Rien ne peut plus sauver ce côté du monde.

Deux nouveaux blocs vont s’opposer.

Jusqu’ici, l’économie telle que vous la connaissez régnait, faisait appliquer ses règles. " Votre " monde vivait sans trop se méfier de celui des méchants trafiquants en tous genres. Le deuxième monde… Il va gagner demain son combat contre le votre. Tant pis. C’est ainsi. Je vous avais aiguillé. C’était plus équitable et pour le jeu, c’était plus agréable.

Après-demain, le monde des méchants sera harcelé par celui des hackers qui auront sans doute sa peau… A terme. Lorsque ces hommes ne supporteront plus la nouvelle loi. Et ils sont les seuls à pouvoir s’opposer. Votre monde ne s’est pas rendu compte de ce qu’il a créé. Internet, le nouvel Eldorado des entreprises et des gouvernements, est devenu leur caveau. Ils n’ont même pas compris ce qu’ils faisaient, l’affaiblissement quotidien de leurs défenses… Les seuls à pouvoir se battre sur ce terrain sont les hackers. Et encore, s’ils arrivaient à s’unir, ce qui est peu probable. On verra par la suite. Par ailleurs, je ne doute pas que des restes du système capitaliste tenteront de regagner leur place. En vain, pour quelques temps au moins…

Bref…

Le jeu est terminé.

Vous avez perdu.

A bientôt peut-être ?

Bill

- Ils ont lancé une opération d’envergure ! Tu dois prévenir tout le monde très vite dit José

- Je sais…

- Ah ?

- Je viens de recevoir un e-mail de ma source qui prédit beaucoup de choses désagréables…  Neil est au courant aussi, il se chargera sans doute de prévenir tout le monde. Mets toi au vert José, planque-toi et garde quelqu’un en armes près de toi. Je sens une étrange ambiance de fin du monde autour de nous…

- Pues tio, como ves las cosas…

- Je suis sérieux. On a été manipulés depuis le début par ma source et son dernier e-mail est assez tendance fin du monde…

- Bon, comme tu veux. Je pars maintenant avec la famille dans une hacienda que j’ai achetée en Andalousie sous un prête-nom. J’avais prévu depuis le début d’avoir en permanence près de moi quelqu’un qui est le meilleur dans le domaine de la protection rapprochée. Ne t’inquiète pas pour nous.

- D’accord. A bientôt.


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