BUREAU OVALE, LE 10 JANVIER AU SOIR
- Bilan des pertes messieurs ?
Le Président avait vraiment sa tête des mauvais jours. Il comprenait enfin quil avait, comme tout le monde, sous-estimé lorganisation contre laquelle il luttait.
William T. Anderson, le directeur de la C.I.A., se lança dans une trop longue liste de points critiques :
- Bien. Nous sommes devant une attaque en règle et nous sommes quasiment impuissants. Nous limitons la casse en tentant de répliquer au coup par coup quand nous arrivons avant les méchants sur le site visé. Nous avons sauvé deux avions, cinquante-cinq banques en Europe et ici, dix de nos ministères, aucun en Europe. Pardon, je rectifie, un en Allemagne. Nos marchés sont indemnes en termes de serveurs et de réseaux. En revanche, les acteurs sont comme des fous et nous vivons la crise la plus importante de tous les temps. Lindice général de New York qui avait déjà perdu 3000 points il y a quelques jours est retombé à 3500 points, un niveau dramatiquement bas qui nous a contraint à tout arrêter à nouveau. Deux tentatives pour remettre en route les marchés se sont soldées par de tristes échecs. Lindice a dégringolé à chaque fois. Au niveau des routeurs et des backbones, nous tentons de sauver ce qui peut lêtre. Nous avons fort bien réussi pour les backbones, chien échaudé craint leau froide, mais pas pour les routeurs.
Parmi les mauvaises nouvelles :
Quarante trois avions de ligne dans le monde se sont écrasés, faisant 6.534 morts.
Douze avions militaires sont également partis au tapis.
La plupart des aéroports sont fermés et les avions posés.
Cen est fini pour cent-huit banques qui ont perdu complètement leurs systèmes dinformation. Backup compris.
Cela joue aussi sur les marchés qui sont dépendants de lactivité des établissements financiers. Tout est lié
Au niveau gouvernemental, nous avons enregistré des milliers dattaques sur les serveurs non classés secret-défense. Un grand nombre ont réussi. Je dirais 49% selon les derniers chiffres. De ce total, nous pouvons imaginer que 30% des serveurs et 28% des réseaux auxquels ils sont liés sont morts. Une attaque réussie a eu lieu contre le SIRPNET, le réseau militaire secret sous I.P. Elle a touché notre centre de traitement et de dispatching des messages militaires. Cest très handicapant, mais nous faisons marcher le téléphone, le fax, et quelques autres vieilleries, comme au bon vieux temps. En Europe, la situation des réseaux gouvernementaux est terrifiante. Rien, ou presque, nétait sécurisé comme cela laurait dû. Ce sont des enfants
Les marchés plongent car les rumeurs négatives sur le modèle de I.M.G. ont explosé. Plus un seul chiffre de la FirstCorp nest crédible, ce qui complique encore les choses. Comme je vous le disais, les principales places qui étaient ouvertes sont fermées.
Enfin, au niveau du réseau, ce nest pas une réussite. Les backbones continuent de tenir contre les attaques, mais les routeurs nen font quà leur nouvelle - tête. Vous tapez www.barclays.co.uk et vous obtenez www.cybersex.com. tout est sens dessus dessous et Network Solutions a du mal à faire un point exact de la situation. En plus des effets néfastes des reconfigurations sauvages des routeurs, les informations concernant de nombreux domaines ont été modifiées dans leur base. En ce qui concerne les entreprises, nous estimons que 40% dentre elles avaient un système dinformation reposant trop, dune manière ou dune autre, sur Internet. Sur ce total, 99% sont littéralement perdues. Tout au moins auront-elles fait faillite dans un mois ou deux
Le Président se pencha en avant et dévisagea lassistance.
- Messieurs, je ne sais pas si vous êtes au courant, mais près dun tiers de léconomie de notre pays repose dune façon ou dune autre sur Internet. Et dire que jai contribué au développement de ce réseau qui est en train de nous pourrir la vie Bref, quoi quil en soit, comme je comprends assez clairement que nous ne pouvons que compter les points, je vous propose de tenter de lire lavenir dans une boule de cristal. Que faire pour sauver nos entreprises ? Je dis nos entreprises, mais je parle à léchelle de la planète. Nen doutez pas, ce qui est en train de se passer va avoir des conséquences dramatiques. Prenez simplement des boîtes comme Cisco ou Dell, qui réalisent une majeure partie de leur chiffre daffaires au travers dInternet, imaginez toutes les entreprises qui utilisent le réseau comme vecteur de leur système dinformation étendu Je pense là aux Extranets, Intranets et à lutilisation de le-mail qui sest généralisé dans la plupart des sociétés Cest un désastre ! Je vous le demande à nouveau, que pouvons-nous faire pour sauver ces entreprises ?
William T. Anderson, le directeur de la C.I.A., qui semblait tout à coup sortir dune phase de réflexion profonde, leva les yeux vers lassistance.
- Nous avons plusieurs options. Je vous propose dentrer dans une phase de destruction massive de tous les membres de lorganisation que nous avons pu identifier. Jen conviens, cela ne fait pas grand monde. Toutefois, nous savons où se trouve leur base du Pacifique grâce à lune de nos taupes et nous pouvons déclencher une recherche précise avec laide de la N.S.A. si nous pouvons organiser une nouvelle participation à une de leurs visioconférences.
Alan Jones sourit.
- Je crois, messieurs, que nous avons perdu et quil sagit dun échec et mat. Je crains, monsieur le Président, quil ny ait strictement rien à faire pour sauver les entreprises dont vous parlez. Et donc, notre système économique actuel. Les entreprises se sont mises elles-mêmes dans la situation où elles sont actuellement. Elles ont couru après des mirages. Des cabinets de consulting leur ont vendu des prédictions trouvées au fond dune boule de cristal et selon lesquelles Internet allait générer des milliards. Elles ont plongé et voilà le résultat. Pour quelques dollars de plus, elles se sont suicidées en ouvrant leurs systèmes dinformation au monde entier, sans se méfier Elles dépensaient des milliers de dollars toute lannée pour surveiller la presse et rien pour surveiller ce qui se disait à leur propos sur Internet Leurs services de communication, leurs services informatiques étaient incapables de sauver les meubles en cas de pépin Méritent-elles dêtres sauvées après tout ?
- Vous voilà bien philosophe et défaitiste, Alan, tenta le Président
- Je crois quil a raison, monsieur, répondit Michael Collin.
- Mais cest impossible, le système capitaliste est le meilleur, il a triomphé du communisme et la réduit en cendres ! LAmérique est la première puissance mondiale ! Le gendarme du monde ! baragouina Kevin Johnson, le regard perdu. Tout ça cest de la faute de ces informaticiens et de ces ordinateurs de malheur ! poursuivit-il à voix plus intelligible.
- Non Kevin, rétorqua Michael. Cest de la faute des utilisateurs. Nous avons créé des outils. Les utilisateurs en ont fait ce quils ont souhaité. Cest le libre arbitre. Na-t-on pas par exemple donné la Terre aux hommes ? Ils en font ce quils veulent. Et ce nest pas joli. Dailleurs ils se sont approprié la Terre. Comme ils se sont approprié le réseau. Or, le réseau na jamais été bâti pour faire du commerce électronique ou des échanges sécurisés ! De même que les atolls polynésiens nont jamais été créés pour y faire exploser des bombes atomiques ! Si vous faites du business sur des fondations non sécurisées, ne vous attendez pas à ce que votre business soit sûr !
Johnson sentait le sol sécrouler sous lui. Comme sil se retrouvait dun seul coup en apesanteur, sans repère. Son monde, celui quil avait idéalisé, sécroulait.
Le Président coupa court aux discussions philosophiques qui semblaient sengager :
- Bien, nous allons attendre et voir. Demain est un autre jour et peut-être que tout cela débouchera sur quelque chose de complètement différent que ce à quoi nous avons pensé jusquici Messieurs, la séance est levée. Je vous demande de me tenir au courant de la situation toutes les deux heures.
SIEGE DE GLOBAL MBATCHS, NEW YORK, LE 10 JANVIER FIN DE SOIREE, SALLE DU CONSEIL
Lambiance semblait tendue dans la grande salle de réunion. Global Mbatchs était une référence dans le milieu du consulting. Son activité allait du conseil juridique et financier de haut vol jusquà la mise en place de systèmes dinformation et daide à la décision. Les systèmes de back office en tout genre mais aussi le conseil en management navaient pas de secret pour les cadres de cette honorable entreprise. La panique déclenchée sur Internet par lorganisation semblait toutefois avoir pris de court les équipes informatiques.
George Hamilton, le Chief executive officer (CEO) de Global Mbatchs lança le débat :
- Messieurs, je veux un point précis de la situation. Dans lordre de parole, je veux entendre linformatique, avec en premier lieu, le DBA, le Sysadmin général, celui des serveurs Web, celui du Mail, les administrateurs du réseau interne et du réseau mondial ; je veux savoir limpact de la crise pour les forces de vente. Je dispose dun rapport précis mais qui a déjà 16 heures de retard. Messieurs, je vous écoute !
Le responsable des bases de données de la maison sentit un nud dans la gorge au moment de prendre la parole.
- Monsieur, nous avons noté que nos bases ont subi quelques modifications via un programme qui a été déposé il y a quelques mois sur le réseau. Pour faire simple, je peux le décrire de la manière suivante. Il communiquait, en utilisant un protocole très courant, avec des serveurs Web quelque part sur Intertnet et sy fournissait en instructions. Il a détruit le contenu de nos bases et la remplacé par dautres données téléchargées sur ce serveur. Notre procédure de sauvegardes automatiques a continué de fonctionner et, au bout de trois jours, nous avions effacé toutes nos sauvegardes de vraies données Bref, nous navons plus rien Je dois vous dire que nous ne pourrons restaurer lensemble de notre contenu initial. Seuls trois sites dans le monde disposent dune partie de notre contenu. Quatre bases de connaissances sur douze pourront être ainsi restaurées. Cest tout.
Ladministrateur système se dit quil ne pouvait pas annoncer quelque chose de pire et se lança sans trop dangoisses. Bien sûr, la situation nétait pas rose mais lui, au moins, pouvait remettre en état les systèmes dont il était responsable
- Le petit programme dont parle mon collègue avait également pour mission de détruire nos systèmes dexploitation par quelques commandes à une date précise. Ceci explique pourquoi vous navez pu allumer vos postes et pourquoi nos systèmes centraux ont été éteints pendant trois jours. Toutefois, nous avons pu remettre tout en place et tout fonctionne à nouveau à peu près. Notre sous-traitant qui travaille sur nos applications avec la filiale chargée de la création de programmes de gestion de back office a pu sauver la majeure partie des applications que nous utilisons. Et cest une chance. En effet, ledit programme nuisible avait pu enregistrer sniffer serait plus technique et correct - le nom dutilisateur et le mot de passe que la direction informatique utilise pour procéder aux mises à jour de logiciels à partir du réseau de ce sous-traitant, ce qui sest traduit par une tentative de destruction des données qui y sont stockées. La tentative a pratiquement totalement échoué.
Le responsable des serveurs Web regrettait fortement de navoir pas pu embaucher une équipe de spécialistes sécurité pour ses serveurs Un problème de budgets, lui avait-on dit à lépoque.
- Tous nos serveurs sont morts. Le contenu a disparu pour les mêmes raisons que celui des bases de données et nous ne pouvons plus rien faire. Il me plaît aujourdhui de vous remettre ma démission et de vous dire la chose suivante : vous avez refusé lembauche dune équipe sécurité alors que nous ouvrions notre réseau sur lextérieur. Vous avez fait des économies de bouts de chandelle, vous vous êtes crus plus malins que les autres, assumez-en les conséquences. Adieu messieurs
Il partit dun grand rire, se leva et tourna les talons
Même dans une situation plus que critique, les personnes présentes furent incapables de reconnaître leurs erreurs. Les mêmes qui avaient refusé la création des postes commentèrent le départ du responsable des serveurs Web en reportant la faute sur ce dernier :
- Quel lâche ! Il nest même pas capable de faire face aux problèmes Personne na vu cela dans son dossier au moment de lembauche ?
Le responsable des serveurs de mail, lapplication dInternet la plus usitée des salariés, se dit quil fallait bien y aller à un moment ou à un autre Bien sûr, il y avait mille entreprises qui lembaucheraient demain, mais il était toujours persuadé que Global Mbatchs était la meilleure entreprise au monde
- Je dois vous dire que le système de mail est mort également et que nos filiales sont coupées du centre. Même si nous avons loué des fax, il est vrai que, pour des raisons économiques, nous avions entamé une réduction massive de leur nombre, ce qui nous pose problème aujourdhui. Nous pouvons espérer remettre en route des serveurs de mail temporaires mais nous avons toujours un problème car nous sommes tributaires de la date de remise en route du réseau, des systèmes et, plus généralement, des postes clients des utilisateurs.
- Justement, quen est-il du réseau interne ? Et notre réseau privé virtuel mondial ? demanda, lair de plus en plus renfrogné, George Hamilton.
Le responsable du réseau privé virtuel mondial tenta une difficile vulgarisation pour expliquer comment les données de la société circulaient tantôt sur le réseau Internet, tantôt sur des câbles contrôlés par Global Mbatchs, comment les données étaient parfois cryptées et, parfois, circulaient en clair. Quoi quil en soit, il devait bien arriver à la même conclusion que ses petits camarades : sans utilisateurs, sans serveurs, sans systèmes dexploitation, il était difficile de remettre en route le réseau. Ses équipes travaillaient à la remise en route des routeurs quelles avaient pu identifier. Mais il faudrait plusieurs jours avant que les premiers messages puissent être échangés de manière sûre entre New York et Paris, Londres ou Francfort.
Le patron des commerciaux était un homme étrange. Son apparence extérieure aurait pu laisser croire, au premier regard, à la présence dun certain chic britannique. Mais il nen était rien. Cet homme dune cinquantaine dannées était capable dactions dune vulgarité sans égale. Mais plutôt lorsquil se croyait seul dans son bureau. La porte ouverte pouvait aisément laisser échapper un reniflement gras et profond ponctué de gargarismes douteux. Et le costume Prince de Galles ne suffisait pas à effacer ce manque de tact.
Lhomme savait mener une discussion et amener son interlocuteur là où il lentendait. Paradoxalement, il était incapable découte. Une explication technique ne pouvait retenir son attention plus de quelques secondes. Il était donc capable dasséner une incongruité technique à un client comme sil sagissait dune vérité indiscutable. Heureusement, lentreprise comptait quelques consultants à peu près bons, pour rattraper par la suite ce genre de dérapages.
Enfin, il était sans doute capable de se mettre tout nu et de danser la danse de la pluie sur le bureau de la salle du conseil si le grand patron le lui demandait, vues les compromissions quil faisait à longueur dannée avec ses supérieurs afin de sauver sa peau. Cependant, il savait être condescendant et désagréable à souhait avec ses subordonnés. Comme si cela faisait partie de son travail. En fait, cela devait être naturel chez lui.
Son tour venait et il ne parvenait pas à cacher son émotion. Ses deux dents centrales supérieures apparaissaient sous ses lèvres qui remontaient dans un mouvement incontrôlé et récurrent. Une sorte de grimace étrange qui lui donnait un air de lapin proche du stade terminal de la myxomatose.
- Messieurs, jai personnellement joint tous nos grands comptes pour les tenir au courant de la situation et les rassurer sur lavenir. Je leur ai dit que nous allions contrôler la situation dici à trois jours. Certains sinquiètent car des rumeurs sur les marchés laissent entendre que la comptabilité externalisée dune bonne partie de nos clients aurait été détruite ou serait entre les mains dun groupe de pirates du Web. Mais mon action personnalisée a porté ses fruits et nos gros clients sont désormais rassurés. Il ne faudrait toutefois pas que nous ne puissions leur annoncer une reprise des opérations dans trois jours. Je compte sur mes collègues de linformatique pour faire le maximum dans ce sens.
George Hamilton nétait pas complètement idiot et il posa une question :
- Monsieur Hammer, quel est le manque à gagner de vos équipes depuis le début de la crise ?
- Heu. Nos calculs ne sont pas tout à fait sûrs, mais je crois que nous pouvons avancer le chiffre provisoire de 150 millions de dollars de chiffre daffaires perdu.
- Cest ce que nous vous demandions, précisa George Hamilton
- Il nous faut maintenant prévoir lavenir. Quels sont les délais raisonnables pour que nous puissions atteindre 50% de nos capacités initiales ?
Les responsables informatiques avaient prévu la question et lun dentre eux, désigné à lavance répondit pour les autres :
- Il faudra au moins un mois pour cela, monsieur.
Un silence traversa la salle
- Monsieur, jai le regret de vous annoncer quil est très peu probable que nous survivions à cette crise, avança le responsable du département audit interne. Il avait procédé à des extrapolations et ses courbes montraient que lentreprise tiendrait le coup si elle pouvait conserver 46% de sa clientèle et reprendre des opérations à 50% des capacités avant vingt et un jours.
- Que cela soit clair donc Si nous ne parvenons pas à remettre la machine en marche à 50% de ses capacités dici à dix-huit jours, vous pointerez tous au chômage ! lança le " vieil hibou ", comme aimaient à lappeler ses secrétaires
Tout était dit. Mais il y avait peu de chances pour que cela permette déviter le pire
Global Mbatchs était une entreprise à la pointe en matière de reporting, et linformatique navait rien à voir avec cela. Bien avant la généralisation au niveau mondial des logiciels permettant aux salariés de remonter en temps réel, vers leur hiérarchie, létat de leurs quarts dheure de travail, la société avait instauré un reporting manuel et, toutes les nuits, un " closing " était fait, permettant de savoir qui avait fait quoi au cours de la journée précédente. Le jour de la panne informatique, après une heure de problèmes variés, le service informatique avait lancé le mot dordre : tout le monde basculait en manuel pour le reporting. Les secrétariats de tous les chefs de divisions avaient été mis au courant en moins dune heure. Ce basculement et cette habitude de toute lentreprise avait permis au responsable du service audit interne de réaliser les prévisions qui allaient peut-être aider à surmonter cette crise majeure. Tout au moins Global Mbatchs savait-elle où elle allait, ce qui nétait vraiment pas le cas des autres entreprises dans son cas.
UNE DU WALL STREET JOURNAL, LE 11 JANVIER
Les autorités de marchés sont dépassées et lon se demande aujourdhui ce que sont devenus les milliards de dollars dépensés pour prévenir les effets dune cyber-guerre. Car le mot nest sans doute pas déplacé. Selon nos informations, une organisation terroriste aurait décidé de faire plier les Etats-Unis en utilisant les réseaux informatiques comme terrain militaire. LArmée et les agences de la communauté du renseignement ont plaidé ces dernières années pour obtenir des budgets chaque fois plus importants afin de prévenir un " Pearl Harbor électronique ". Il semble que les budgets aient été mal employés.
Toujours selon nos sources, le plongeon actuel des marchés financiers serait le résultat du désordre que connaît Internet. Le réseau des réseaux est en effet devenu fou et il est désormais pratiquement impossible de joindre une grande entreprise sur le World Wide Web.
Certains hackers, membres de la communauté underground du réseau, ont indiqué à nos reporters que les principales bases de données qui permettent de trouver son chemin sur Internet ont été altérées. Ce qui a été démenti par les entreprises responsables de ces bases. Reste que les hackers en question sont actuellement en train de réfléchir à une action pour sortir de limpasse.
Pour sa part, la Maison-Blanche aurait réuni un comité de crise qui serait en alerte vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Toutes les tentatives de la presse pour obtenir des informations de la part des autorités sont restées vaines. Une consigne présidentielle de silence absolu aurait été donnée.
Le silence est un refuge bien peu courageux. Dautant que la Maison-Blanche avait promis il y a déjà quelque temps larrestation dune bande de malfaiteurs qui tentaient de déstabiliser nos entreprises et les marchés financiers. Sagit-il des mêmes malfrats ? [ ]
SIEGE DE LA S.E.C., LE 11 JANVIER EN MILIEU DE MATINEE
Alan Meredith, le Président de la S.E.C., ne semblait pas dans son meilleur jour. Il était très pâle.
- Messieurs, je crois que nous sommes dans une situation critique. Je nai jamais vécu un tel drame et jimagine que seul 29 peut être une crise comparable. Toutes nos tentatives pour rouvrir les marchés ont échoué. Lindice sécroule à chaque fois. Des marchés gris sorganisent et de nombreuses entreprises annoncent déjà la cessation de leur activité. Limportance prise par Internet pour la bonne marche dun très grand nombre dentreprises les empêche dimaginer poursuivre leur activité sans un rétablissement immédiat de la situation. Ce qui est totalement impossible. La Maison-Blanche me tient au courant du travail de nos agences, mais il semble que nous ne puissions que tenter de sauver les meubles ; la maison, quant à elle, sécroule. Jattends vos suggestions.
Aucun des collègues dAlan Meredith ne put apporter une solution valable au problème soulevé par la soudaine folie vendeuse des opérateurs.
En revanche, la discussion dura toute laprès-midi et il fallut apporter des sandwichs. Les rois de la finance présents autour de la table ne connaissaient pas grand-chose à Internet sur un plan technique. Ce nétait dailleurs pas ce quon leur demandait. Mais ils ne purent sempêcher de se lancer dans des explications techniques aberrantes de ce qui se passait sur le réseau. Leurs propos étaient techniquement incohérents, mais ils étaient tellement sûrs deux que cela pouvait sembler tout à fait vrai à quiconque nétait pas un spécialiste. Un peu comme dans les dîners en ville où chacun souhaite expliquer quil a surfé sur le Web avec Internet, le fournisseur daccès dAOL, tout en recevant un e-mail grâce au réseau. Tout ça, avec la dernière version dInternet que lon a trouvée dans le CD-Rom de son magazine préféré.
Mais toutes ces discussions ne pouvaient résoudre un problème insoluble : Internet était devenu fou, les entreprises avaient trop misé sur le réseau pour travailler (e-business, messagerie, Extranet, Intranet, sites Web ) et elles étaient en train de mourir. Les marchés étaient comme fous et, dès quune nouvelle cotation était tentée, les indices partaient en chute libre. La presse ne faisait que relayer linquiétude des opérateurs.
Le message crypté fut reçu en début de matinée par le responsable de léquipe D. Il en prit connaissance avec un flegme étonnant. Celui dun tueur professionnel sans doute.
Le message émanait de son autorité suprême et il devait appliquer les ordres dans les quatre jours qui suivaient au plus.
Il prit ses dispositions et léquipe se mit en branle. Les hommes qui la composaient se virent attribuer des cibles. Il fut convenu quils se retrouveraient tous à New York, dans un appartement désigné par leur autorité suprême quatre jours plus tard.
PAYS DE LEST, LE 11 JANVIER EN MILIEU DAPRES MIDI
Jack regardait son écran. Il était plongé dans le compte-rendu des derniers événements sur le serveur informationnel @news. Il savourait son triomphe. Son visage silluminait au fur et à mesure de sa lecture. Le journaliste avait en effet tenté dexpliquer le délire ambiant sur Internet. Ses spéculations amusaient Jack qui savait combien elles étaient loin de la vérité.
Le journaliste arrivait même à citer un membre du Pentagone selon lequel tous ces problèmes enregistrés sur le réseau des réseaux seraient luvre de pirates informatiques chinois.
Jack se tourna vers Joe, qui en était déjà à la moitié de la bouteille de vodka posée sur le bureau devant lui.
Tu vois, ils sont toujours aussi perdus. Nous sommes les meilleurs. Impossible de nous trouver, impossible de comprendre. Nous avons semé la panique, mais, surtout, le doute dans leurs esprits. Dici quelque temps, nous pourrons nous attaquer à toutes sortes dautres pays que les Etats-Unis.
Da, rétorqua Joe qui commençait à avoir lil vitreux.
A cet instant, un homme cagoulé entra dans le bureau. Un rayon vert passa en moins dune seconde du front de Jack au cur de Joe.
Les deux anciens du K.G.B. et du S.V.R. seffondrèrent comme de lourds paquets de patates sur leur bureau respectif. Le sang commença à se répandre. Personne ne viendrait les aider dans ce bureau reculé qui naccueillait jamais personne dautre queux Ils seraient sans doute découverts dici à quelques semaines en raison de lodeur ou parce quils nauraient pas payé le loyer
Lhomme de léquipe D séclipsa comme il était venu. Cest-à-dire sans un mot, sans un bruit. Arrivé dans le hall de limmeuble, il tira sur une cordelette qui dépassait de son col. Sa combinaison noire se transforma en chiffon et laissa apparaître des habits de ville. Il se fondit dans la foule et jeta sa combinaison dans une poubelle. Une heure plus tard, il était dans un autre bureau, pour une autre mission, plus discrète, mais tout aussi mortelle
UNE DE PLUSIEURS JOURNAUX PARTOUT DANS LE MONDE, LES 11, 12, 13 ET 14 JANVIER
Meurtre sanglant du président de la Soco, Corp.
Le président de la première entreprise agro-alimentaire du pays a reçu une balle en pleine tête alors quil présidait le conseil dadministration. Selon les premiers éléments de lenquête, la balle a été tirée depuis un immeuble en construction, distant de près dun kilomètre. Il sagirait donc de luvre dun professionnel [ ]
Un mafieux présumé meurt dans un grand restaurant
Alors quil venait davaler la dernière goutte de son café, J.K. a été foudroyé et sest écroulé sur la table du restaurant " Au gai Paris ", connu pour lexcellence de ses mets. Depuis des années, la police tentait, en vain, de rassembler des preuves contre celui quelle considérait comme un ponte de la Mafia. J.K. disposait de revenus très importants dont lorigine était incertaine. Mais la loi [ ]
Le colis mortel foudroie un Lord !
Deux minutes après avoir reçu un banal colis via Federal Express, un Lord a été frappé dapoplexie. La police soupçonne la présence dun terrible poison sur le carton du colis. Lobjet a été transféré au siège de la police scientifique [ ]
En quatre jours, ce sont un peu plus dune centaine darticles ou de brèves de ce type qui émaillèrent les journaux à travers le monde.
PARIS, SIEGE DE LA FINANCE, LE 15 JANVIER
Subject: What do YOU think you know?
Date: Mon, 15 Jan 2000 09:38:04 +0100
From: Bill Clinton bclinton@whitehouse.gov
To: pmartinie@lafinance.fr
Cher Pierre,
Toutes les pistes sont en train de se refermer et je doute que quelquun puisse un jour comprendre, à part vous peut-être, ce qui sest passé ces derniers mois. La guerre est finie par abandon unilatéral de la part des méchants.
A bientôt
Bill
Pierre tenta de comprendre le message de Bill. Mais il lui était impossible de déchiffrer ce charabia. Les autres fois, il avait généralement pu deviner ce que son mystérieux interlocuteur tentait de lui faire comprendre. Mais là, il restait interdit devant son écran.
Le mal de tête risquant de le gagner, Pierre décida de saérer lesprit en lisant le journal qui était posé sur le bureau de son voisin.
A la rubrique Monde, son regard passa sur une brève :
Colis mortel
Un Lord britannique a été tué grâce à une méthode que naurait pas reniée Agatha Christie. Un poison mortel avait été déposé sur le contenu du colis quil avait reçu par la poste quelques minutes plus tôt.
Quelques secondes plus tard, il poussa un juron qui fit sursauter son voisin.
- Merde ! ! !
- Eh bien ? Quest-ce qui tarrive ?
- Là ! Là ! Dans le journal, la réponse au mail ! Les cartes sont effacées !
- Oulalalala Tu ne vas pas mieux, toi Moi, à ta place, je sortirais un peu dInternet. Dabord ça te prend la tête et, en plus, tu ne fous plus rien. Selon ce que je me suis laissé dire, le rédacchef va te convoquer pour savoir où tu en es de ton enquête du siècle
- Ouais, ouais
Pierre venait de comprendre le contenu du mail de Bill. Les membres de lorganisation étaient en train dêtre tués. Il se rua sur les archives en ligne du même journal et fit une recherche sur les morts récents. Il put rapidement dresser une liste importante. En quelques minutes, limprimante cracha toutes les pages qui permettraient à Pierre de démontrer sa théorie aux autres
Une heure plus tard, Pierre était dans un café avec les membres de la D.S.T., Dominique et Gérard da Silva, Neil Mulder et André. Les représentants du ministère de lIntérieur étaient, comme toujours, relativement paumés et faisaient gentiment du suivisme. Neil écouta la théorie de Pierre.
- Penses-tu que ta source est une tête au-dessus des deux têtes quil nous avait indiquées ? Quil est en train de faire le vide avant de disparaître ?
- Je ne sais pas, Neil. Honnêtement, je suis un peu paumé là. Jétais sûr jusquici que ma source était en dehors de tout ça. Javais même fini par croire quil faisait partie de lentourage de ton président ou du mien. Mais là
- Attendez, attendez, vous voulez dire que si tout disparaît, il sera impossible de trouver des coupables à mettre en prison, que lon ne pourra pas récupérer les milliards détournés par ces opérations de déstabilisation ? Mais que va dire le public ?
- Gérard, taisez-vous un instant sil vous plaît, demanda fermement Neil. Je vais demander confirmation à Washington pour toutes ces disparitions violentes. Le Lord anglais est bien celui que nous avions identifié avec la liste de Juan Contreras. Il y a peu de chances pour que ce ne soit pas ce que tu dis Pierre. Cest la merde Je dois aussi massurer que Jim a pu quitter rapidement la base du Pacifique. Je sais que les marines doivent y débarquer aujourdhui ou demain, la C.I.A. et lArmée ayant obtenu le feu vert du Président. Cétait dans mon courrier de ce matin. "
Tout le monde se sépara, sauf Pierre et André qui firent un bout de chemin ensemble.
- André, tu crois que cest fini ?
- Ben Si cest fini, tout commence. Les marchés sont comme fous, les boîtes sécroulent les unes après les autres Jai entendu dire ce matin que le mastodonte nouvellement créé dans le secteur bancaire fermait boutique. Il y a la queue devant les agences. Regarde, là, celle-ci
Effectivement, une cinquantaine de personnes attendaient devant la porte de la banque. Mais celle-ci continuait de garder portes closes.
- Tout commence ?
- Ben oui, que veux-tu, cela va être le chaos. Mais pas celui qui plaît aux hackers. Alors ils vont lutter. Ceux qui vont tenter de prendre le pouvoir vont se faire allumer. On verra bien
- Je me demande qui est Bill.
- Oui, moi aussi. Pourtant, je crois que cela na plus dimportance.
- Nempêche. Je suis patient. Je trouverai.
PARIS, SIEGE DE LA D.S.T., LE 15 JANVIER AU SOIR
Neil savança dans le bureau de Gérard. Ce dernier tentait toujours de faire des projections, danalyser la situation, mais surtout danticiper. Car cétait bien ce que lui demandait sa hiérarchie. Anticiper.
Il en était pourtant totalement incapable en létat actuel des choses. Il savait bien depuis le matin que tout partait en couilles. Mais que dire dautre ? Etait-il possible de donner des noms ? Qui étaient les mystérieux responsables de tout ce bordel ? Comment récupérer les milliards mis de côté par cette maléfique et trop secrète organisation ? Gérard eut un flash. Limage du responsable du S.P.E.C.T.R.E. caressant son chat dans James Bond lui traversa lesprit.
Neil nota son air ahuri
- Well, Whats up man ? Tu rêves à quoi ? lui dit-il avec son fort accent américain.
- Heuu rien, je tente de rédiger le rapport pour le ministre. Je dois lui remettre ça demain. Tu as des nouvelles ?
- Je rentre à Washington. Il ny a plus grand-chose à faire. La C.I.A. a dressé une liste des morts grâce à Pierre. Mais les agents sur place, dans les pays où ces hommes et femmes ont été tués ne parviennent pas à récolter dinfos. Cest terrible. Même les banques de ces morts ne les connaissaient pas. Parfois Parce que, dautres fois, ce sont tous les documents qui ont été vidés des coffres. Des trucs incroyables Les caméras de surveillance ont été brouillées avec des techniques extrêmement sophistiquées. Tout ça est normalement accessible pour nos agents ou ceux de la Russie. Mais je ne vois pas où une organisation privée aurait pu trouver tout ça Cest ennuyeux parce que la C.I.A. est persuadée que des agents du S.V.R. sont impliqués. Elle fait pression sur le gouvernement pour quil y ait une intervention au niveau des Etats. Jespère que lon ne va pas avoir une guerre avec la Russie maintenant. Il ne manquerait plus que ça
- Tu ten vas alors Mais Cela veut dire que vos services tirent un trait sur tout ça ? On reste en contact quand même. Je veux dire que si tu trouves des choses, tu me files linfo ?
- Bien sûr Mais je te rassure. Nous ne tirons pas un trait sur toute cette affaire, loin de là. Nous allons tout faire pour comprendre ce qui sest passé, comment cela a pu arriver et qui est derrière tout ça.
- Bon. OK. Ben on peut peut-être aller boire un coup au café avec Dominique si tu veux, pour ton départ ?
- OK, on fait ça ce soir.
Neil se dit que les Français buvaient sûrement autant que les Américains. Mais des alcools plus forts. Aux USA, la bière était, comme dans la plupart des pays anglo-saxons, la boisson nationale. Tandis quen France le pastis ou le whisky coulaient à flots à lheure de lapéritif.
NEW YORK, LE 15 JANVIER AU SOIR
Léquipe D était enfin au complet dans lappartement. Les hommes sétaient placés autour de leur responsable des opérations. Celui-ci était devant le téléphone.
Une sonnerie retentit.
Il décrocha.
Après avoir échangé quelques mots avec son interlocuteur, il se tourna vers ses hommes. Au moment où il allait leur dire quelque chose, une violente explosion souffla tout lappartement.
Il avait à peine eu le temps douvrir sa mâchoire.
Elle ne servirait plus jamais.
Les vitres avaient été soufflées dans un rayon de 900 mètres.
UNE DE LA FINANCE, LE 16 JANVIER AU MATIN
LA CRISE !
En capitales sur toute la largeur du journal et sur la moitié en hauteur, le titre venait barrer la Une de La Finance. Larticle qui suivait était clair. Léconomie française subissait le contrecoup de la fermeture des marchés mondiaux. Les problèmes dInternet démontraient que le réseau nétait pas sûr. Le journaliste en tirait une conclusion pathétique. Il découvrait soudain que les start-up du secteur des nouvelles technologies de linformation et de la communication avaient été surévaluées. Léditorialiste prévoyait un dur réveil pour toutes ces entreprises lors de la reprise des cotations.
Il soulignait cependant que la Société des bourses françaises (S.B.F.) avait fait une conférence de presse pour indiquer quaucune date navait été fixée pour un retour à la normale sur les marchés mondiaux. En clair, le bordel était incontrôlable et la réouverture des marchés était repoussée sine die.
Perspicace, La Finance estimait que de grosses entreprises comme BIBEEMEU Inc, reine du business électronique allait subir le contrecoup de son engagement dans ce domaine ces deux dernières années. De même, reprenant lavis de plusieurs de ses confrères, le journaliste du quotidien financier estimait que la première entreprise mondiale éditrice de logiciels allait pâtir de son manque de sérieux en matière de sécurité. Depuis des années, les hackers du monde entier publiaient articles sur articles pour dénoncer des trous de sécurité et apporter des réponses que la société elle-même ne semblait vouloir apporter. Jusquici, la portée de cette négligence sur les ventes était nulle. Mais cette fois, pronostiquait le journaliste, il était clair que les événements changeaient la donne
Quelques encadrés permettaient de comprendre létendue du drame financier qui se jouait dans le monde. Leffet domino craint depuis des années par le monde de la finance était en train de prendre vie. Depuis bien longtemps, cette théorie permettait aux autorités de renflouer des banques en faillite sur le compte du budget de lEtat sans que personne ny trouve grand-chose à redire. Leffet domino était lidée selon laquelle toutes les banques et toutes les entreprises sont liées entre elles. Les unes et les autres se prêtent et se doivent mutuellement des sommes colossales. Dès lors, si lune des principales banques mondiales faisait véritablement faillite et que personne ne venait à son secours, il était probable que dautres suivent, par effet domino. Tout le secteur financier courant ainsi à sa perte.
Bilan, lorsquune banque fait faillite, on observe généralement une union sacrée.
Cette fois, lune des premières banques françaises fermait ses portes. Le gouvernement devait faire une déclaration à ce sujet le lendemain
Plusieurs sociétés de Bourses annonçaient déjà de grandes vagues de licenciements. Le secteur avait déjà été durement touché au cours des années précédentes. Mais là, cela promettait de saigner
SIEGE DE LA C.I.A., LE 17 JANVIER
Wiliam T. Anderson était dépité. Il voyait son mandat présidentiel sévaporer au fur et à mesure que le chaos économique grandissait. Il se sentait, paradoxalement, de plus en plus et de moins en moins impliqué par les événements.
Dun côté, il se disait que tout était perdu et que ce nétait même plus la peine de tenter de mettre un terme aux agissements de lorganisation.
De lautre, il savait quen élucidant toute cette affaire il pouvait encore espérer se présenter à des élections dans un pays qui ressemblerait à un pays
Le responsable de lagence en charge des pays de lEst fit irruption dans la salle qui servait de centre de commande vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Il savança vers le directeur et lui tendit un papier.
Anderson releva les yeux et lui dit :
- Pourriez-vous être plus précis ?
- Monsieur, deux représentants de commerce russes ont été tués en Bulgarie où ils avaient monté une vague entreprise dimport-export qui nétait semble-t-il quun paravent. La société na jamais fait la moindre affaire. Le bureau était tellement discret que leur mort aurait pu passer inaperçue pendant quelques semaines. Cest le chien dun voisin, qui a bizarrement hurlé à la mort devant leur porte jusquà ce que le gardien ouvre, qui a permis de mettre au jour leur décès il y a quelques jours. Les légistes sont sur place, nous navons pas encore reçu le détail de lhistoire.
Ce qui nous intrigue est leur ancienne appartenance aux services russes (K.G.B. puis S.V.R.) et quils ont toujours travaillé en binôme. Or, dans cette affaire, nous avons longtemps cherché un binôme de ce type.
Il est possible que nous layons trouvé. Leur mort est une mise en scène. La police bulgare penche pour un règlement de comptes mafieux. Nous nen croyons pas un mot. En effet, il est clair que le travail est celui dun grand professionnel. Plutôt un membre ou ex-membre de services spéciaux quun boucher recruté dans une banlieue défavorisée par la Mafia. Une seule balle par personne pour donner la mort. Puis un chargeur vidé nimporte comment dans les corps pour tenter de faire croire à un carnage. Pour nous, cest gros comme une maison. Ce nest pas un règlement de comptes
- Bien, faites passer linformation à Neil Mulder au F.B.I.. Il faut quil soit au courant au plus tôt.
Le directeur de lagence se tourna vers son secrétaire particulier.
- Faites réveiller Olmes. Je veux que ses services aient fini le scénario dopération psychologique à destination de la population sous 24 heures. Nous devons rétablir la confiance. Les marchés doivent rouvrir au plus tôt !
- Oui monsieur
Le Président américain avait réuni à nouveau tous les protagonistes de laffaire.
- Alors messieurs ? Où en sommes-nous ?
Anderson prit la parole, suivi par Neil qui put confirmer son discours. Tout semblait perdu à moins que le service des PsyOps puisse fignoler quelque chose qui marche. Mais il y avait peu de chances pour que les opérateurs de marché cessent leurs réactions irrationnelles du jour au lendemain. De plus, privés de chiffres sûrs, ils ne risquaient pas de reprendre confiance
- La Firstcorp ne semble pas être en mesure de rouvrir la vanne des chiffres avant quelques jours. La société était censée avoir un plan de continuité pour ce genre de problèmes, cest-à-dire davoir un système dinformation en double, prêt à démarrer en cas de problème. Mais il semble que ce système nait jamais été testé. Et lors de la tentative de lancement, cela a planté. Lidée qui est désormais retenue est de simplement réinstaller tous les systèmes sur lancien réseau et reprendre les données contenues dans le système de sauvegarde. La migration de ces données sera certes compliquée, mais au moins, la probabilité de réussite est forte, indiqua le patron de la N.S.A., John Irving.
Les responsables de la communauté du renseignement purent par ailleurs confirmer que de nombreuses personnes avaient été tuées dans le monde et quil y avait sans doute un lien avec cette organisation.
- Peut-être la guerre allait-elle prendre fin, faute de combattants ? hasarda Kevin Johnson, lagent en charge des délits financiers de la N.S.A.
Le Président se tourna vers lagent.
- Cest très probable en effet monsieur Johnson. Toutefois, je souhaiterais que vous preniez en compte une ou deux variables Notre économie est pratiquement à genoux, celles des autres pays développés également. Tous les marchés financiers sont clos depuis des jours, ce qui nétait jamais arrivé. Il est peu probable quils rouvrent dans les jours qui viennent. Vous qui êtes un financier M. Johnson, comment voyez-vous lavenir, même si la guerre sarrête ?
Johnson devint tout rouge. Chercha un regard de soutien autour de la table, mais ne lobtint pas.
Michael Collin se demandait sil devait parler de lidée qui lui trottait dans la tête. Sil lui fallait faire part de son analyse dans cette pièce où la moitié des gens ne pouvaient faire la différence entre HTTP et SMTP Il décida que, désormais, il allait redonner une plus grande part à son activité underground. Fini le codage de petits utilitaires pratiques. Fini, le côté bien lisse du hacker qui apporte des outils de protection gratuitement à la communauté. Il reprenait ses habits de chapeau gris (ni pirate, ni hacker) car lavenir et les événements le lui imposaient.
Bill Clinton prit la mesure du désastre. Léconomie risquait bien de sécrouler totalement. Certains avancèrent que le système capitaliste, léconomie de marché avait déjà subi de nombreuses crises et quil survivrait forcément à celle-ci. Ce nétait quune question de temps. Le Président leva les yeux au ciel. " Forcément ", comme si cela lui importait. Il voulait savoir quand et comment. De plus, il navait pas le temps dattendre. Et il craignait bien de rester dans lhistoire comme le Président qui navait pas pu faire face à ce drame informatico-informationnel.
Neil Mulder hasarda une idée :
- Monsieur, il semble en effet évident que les méchants aient mis un terme à leur entreprise de destruction de nos économies. Pour une raison qui, je le rappelle ici à tout le monde, nous échappe. Dautant que nous savons maintenant de manière à peu près certaine que les deux hommes que nous soupçonnions dêtre à la tête de lorganisation ne létaient pas Bref, quoi quil en soit, la guerre étant finie, je pense, monsieur le Président, que notre problème majeur est de redonner confiance aux marchés financiers et aux débiles qui travaillent sur ces marchés sans visiblement avoir les nerfs assez solides. Ma proposition est la suivante : organisez une conférence de presse, soyez mélodramatique, comme en temps de guerre. Appelez-en au sens de la nation, de la planète, du marché, de la finance, de ce qui vous semble utile, pour rallier les opérateurs, les banquiers, la finance à votre panache Il faudrait quils vous suivent comme un guide dans la tourmente. Cela permettrait de calmer les esprits et de redonner confiance.
Dereck Olmes, le patron du service des opérations psychologiques de la C.I.A. sembla sortir dhibernation. Lui qui était si pâle ces dernières heures venait de virer au rose vif. Ses joues étaient désormais très colorées.
- Mais cest justement ce que nous vous proposons dans le plan de reprise en main des opinions qui est devant vous, monsieur le Président, dit-il en lançant un regard noir à Mulder.
- Messieurs, je naurai pas trop de la nuit pour lire ce dossier et préparer mon intervention de demain au cours dune conférence de presse exceptionnelle que vous allez convoquer. Je veux toute la presse, je veux que les journalistes soient appelés un par un et quon leur dise que je vais faire des déclarations très importantes. Faites leur le coup du super scoop quils risquent de manquer. Je veux que toutes les télévisions réservent leur début de soirée pour moi. Cest très important !
Tout le monde avait compris. Les hommes et les femmes présents dans la salle sortirent en silence et de petits groupes se formèrent dans les couloirs de la Maison-Blanche.
BUREAU DE PRESSE, MAISON-BLANCHE, LE 18 JANVIER
Le Président sétait imprégné du dossier fourni par Dereck Olmes. Toutefois, le discours proposé ne lavait pas ravi et il avait apporté son grain de sel. Bill Clinton avait toutefois retenu la leçon de son dernier passage devant les caméras sous couvert des conseils éclairés des équipes de Dereck Olmes. Il savait quil lui fallait avoir un air détendu et enjôler les journalistes. Cette fois, les choses étaient un peu plus complexes car il fallait également avoir lair de ne pas prendre à la légère la catastrophe économique provoquée par lorganisation.
Bill Clinton entra dans la salle 12 minutes avant le début de la conférence. Le service de presse de la Maison-Blanche avait bien travaillé. Toute la presse était là. Même les correspondants étrangers.
Bill Clinton tenta de paraître aussi détendu quil avait pu lêtre lors de précédentes conférences de presse. Il répondit à bien plus de questions quil ne le faisait dhabitude. Mais la presse ne sy trompa pas. Le Président était angoissé et navait pas de réponse définitive au problème que les pays développés rencontraient. De nombreux journalistes étaient déjà persuadés que les entreprises avaient donné trop dimportance au canal de vente que pouvait constituer Internet. Après avoir, pendant des années, reproché aux mêmes sociétés de ne pas se lancer avec suffisamment de volonté dans le commerce électronique, ils titraient désormais sur le mode " laveuglement du monde développé ". Les consultants et leurs études, si souvent citées à longueur darticles, étaient désormais pointés du doigt par la presse qui leur reprochait un trop grand optimisme dans ce domaine.
Dans la même veine, certains media reprochaient au président et à son vice-président davoir trop milité pour le développement dInternet. Et son manque dannonces au cours de la conférence de presse, notamment sur larrestation dun quelconque cyber-bandit, ne militait pas en sa faveur. Les articles allaient être mauvais et les responsables du service de presse lavaient senti. Quant à Dereck Olmes, il avait compris que le travail de son équipe avait été, au moins partiellement, vain.
Au cours de la conférence de presse, Bill Clinton navait pas pu annoncer grand-chose, à part la fin des problèmes connus ces derniers temps sur les réseaux électroniques. Il avait expliqué que les services secrets du pays avaient démantelé une organisation terroriste ayant des ramifications partout dans le monde. Il ne put cependant donner aucun détail sur les personnes éventuellement arrêtées comme lavaient réclamé les représentants de la presse. Mais il assura tout le monde de la fin de ce qui aurait pu être un cyber-conflit mondial. Il félicita les représentants des agences de renseignement et rappela que son Administration avait été à linitiative de la création de nombreuses officines chargées de lutter contre le cyber-terrorisme. Ces officines avaient été dune grande aide au cours des mois qui venaient de sécouler, souligna-t-il. Mais la presse aime le concret. Elle aime aussi pouvoir livrer à ses lecteurs des coupables clairement identifiés ou identifiables. Le discours navait donc pas remporté un franc succès.
Dautant que, dans les heures qui suivirent, des petits malins qui surfaient sur le climat actuel et qui avaient tiré les enseignements des actes de lorganisation tentèrent quelques actions de déstabilisation qui achevèrent de convaincre la presse de linefficacité des pouvoirs publics. Les marchés nétaient pas près de rouvrir leurs portes
SIEGE DE LA N.S.A., LE 19 JANVIER, BUREAU DE MICHAEL COLLIN
Michael regardait fixement son écran depuis déjà une heure et demie. Pourtant, il ny avait rien à y voir à part un logiciel client permettant de se connecter à lIRC. Il navait jamais déclenché de connexion à lIRC depuis cette machine. Cela sexpliquait de plusieurs manières. La première était que, selon les critères imposés par lAgence, personne ne pouvait se connecter à lIRC avec un ordinateur relié au réseau interne. De fait, la batterie de firewall empêchait ce genre dactivité La deuxième était que Michael préférait apparaître sur lIRC avec son nom de hacker sans quy soit accolé un panneau affichant comme adresse quelque_chose.nsa.gov La troisième et dernière, était quil lui suffisait de se connecter depuis son portable qui était posé sur le bureau à côté de lordinateur officiel
Son esprit bouillonnait. Le modèle capitaliste était-il véritablement en train de seffondrer ? Michael avait plusieurs fois eu des discussions sur ce thème avec des petits camarades du monde underground. Fallait-il faire la guerre aux entreprises non citoyennes, fallait-il couler, via les réseaux, des sociétés qui se permettaient de ruiner la vie de dizaines de milliers de salariés soudain mis à la porte sous de fallacieux prétextes de rentabilité ? Le système capitaliste allait-il un jour aller dans le mur comme le système communiste avait pu le faire ? Bref, Michael, en bon jeune homme américain, avait été " gauchiste " sans le savoir
Il devait désormais tirer les conclusions de ce quil observait depuis quelques mois en témoin privilégié. Un ordre des choses sécroulait. Quallait-il apparaître en lieu et place ? Pouvait-il et devait-il devenir acteur ? Jusquici, il avait suivi les ordres, remonté des pistes, confronté des chiffres, des théories. Mais pouvait-il entamer lui-même, aidé de certains amis, une action contre lorganisation ou ce quelle avait engendré ?
Il se connecta au réseau.
En quelques instants, il avait réuni une grosse quinzaine de personnes dans un canal de discussion créé pour loccasion. Tous lui posaient la même question :
- Tu as rooté une machine de la N.S.A. ?
Il ne répondit pas immédiatement et lança un caillou dans la mare. Il se demandait sil allait réussir là où tous avaient échoué. Unir pour plus de quelques jours autant de personnalités disparates :
<P1nT0r> Le temps est venu où vous devez choisir entre une union de nos forces et le chaos. Je dispose de tous les éléments pour vous prouver quun nouvel ordre va se mettre en place et que, sans une union, nous serons balayés.
La discussion fut longue
Mais lunion était réalisée.
Il fallait maintenant quelle dure
BUREAU DU REDACCHEF, SIEGE DE LA FINANCE, LE 20 JANVIER
Pierre avait bien dû répondre à lappel lancé de manière définitive par son rédacchef. Cela faisait deux fois quil trouvait des prétextes pour ne pas se rendre aux rendez-vous que celui-ci lui avait fixés. Il ny avait plus vraiment déchappatoire.
- Salut Pierre. Assieds-toi.
- Merci Chef.
Lodeur de cigare froid prit Pierre à la gorge. Trop tôt le matin, pensa-t-il
- Bon, Pierre, tu as intérêt à avoir quelque chose de chaud, parce que cela fait des mois que tu ne fous plus rien, que tu nas pas pondu une ligne et que tu fais une pseudo-enquête sur un truc fumeux de sociétés de données financières qui seraient infiltrées par le Département de la Défense américain. Vas-y, dis quelque chose dintelligent, parce que je ne te cache pas que tes collègues commencent à jaser et que moi, en plus de me mettre dans une situation difficile, cela me fait chier.
- Jai une histoire Mais tu ne la croirais pas. Alors, ce que je vais faire, cest que je vais te filer ma démission, et puis, je vais aller faire autre chose. Ecrire un livre sans doute. Un livre sur une guerre terrible qui vient davoir lieu. Mais vous ne lavez même pas vue
- Mais quest-ce que tu me racontes ?
- Chef Quest-ce que vous nous racontez là, cétait la question que me posaient les responsables de certaines boîtes financières quand je leur disais il y a un moment quils négligeaient la sécurité de leurs systèmes dinformation. Et ils ajoutaient généralement, ce nest pas vrai. Aujourdhui, la plupart comptent leurs abatis.
Pierre eut une courte conversation avec le rédacteur en chef qui ne put que se lamenter sur le départ de son journaliste. Il ne comprenait pas ce qui le poussait à partir. A part, sans doute, le temps nécessaire à lécriture dun bouquin