Date de publication : 01/10/1996
Le développement des systèmes de paiement sur Internet freiné par des luttes d'influence
Il y a deux ans, Bill Gates, qui avait des fonds
importants à affecter, chérissait un rêve étonnant : créer ex nihilo une banque qui
serait présente sur tous les continents. Il suffisait pour cela d'obtenir les
autorisations nécessaires et de mettre en place un réseau électronique mondial. Et le
président de Microsoft ne manquait pas d'atouts, ayant placé ses pions au coeur même de
80 % des micro-ordinateurs dans le monde. Tout était réuni pour que cela marche. Las, ce
projet a été remisé au fond du tiroir « projets mort-nés ». Il est vrai que de
traiter ses futurs collègues - les banquiers - de dinosaures n'était pas forcément
malin. Car s'il y a sans doute une part de vérité dans cette affirmation, il ne faut pas
sous-estimer les capacités d'action de ses futurs concurrents. Un peu plus tard, Bill
Gates a revu sa stratégie. Terminé, la banque à vocation mondiale. Il a renommé son
projet pour passer inaperçu : « système de paiement sécurisé ». Ou comment engranger
des commissions sur chaque petit paiement effectué sur le réseau, au risque de rompre
l'équilibre financier du projet. Car tout le monde ne peut pas gagner de l'argent sur ces
paiements et les dinosaures estimaient qu'ils devaient être, naturellement, les
bénéficiaires de ces commissions. Exit donc Bill Gates, qui est retourné jouer sur son
terrain habituel...
Plus près de nous, la Compagnie Bancaire a choisi d'assumer les risques liés à
l'innovation. Elle voulait, elle aussi, créer un système de paiement sur un grand
réseau ouvert comme Internet. Mais en pays gaulois, il fallait ménager l'institut
d'émission, les autres banques et le GIE Cartes Bancaires, qui estime être en charge du
« contrôle » de la monétique. Tout cela n'est pas simple. D'une part, la Banque de
France souhaitait que les règles prudentielles soient respectées ; d'autre part, les
grandes banques à réseau ne voulaient ni d'un nouveau centre de coûts (dans un cas) ni
d'une nouvelle forme de concurrence à laquelle elles devraient réagir rapidement (dans
l'autre cas). D'autant que ces établissements avaient d'autres chats à fouetter... leur
rentabilité étant un vif sujet de préoccupation. Certains établissements, ainsi que le
GIE, ont initialement pesé sur l'institut d'émission pour freiner ce projet. Bien tard,
mais sentant que le commerce électronique sur un réseau comme Internet est voué à une
forte expansion, la BNP et la Société Générale ont mis en place un dossier plus ou
moins concurrent. Ils n'ont gagné que des réprimandes du GIE Cartes Bancaires...
Un projet qui voit le jour
Pendant ce temps, envers et contre tout, la
Compagnie Bancaire a continué son bonhomme de chemin et le projet voit le jour, quelques
dizaines de millions d'investissements et quelques concessions plus tard. Elle a ainsi dû
assurer à ses concurrentes qu'elle ouvrirait le capital de la société anonyme créée
pour monter le projet si des demandes lui parvenaient. On ne sait jamais, si le projet
était une réussite, cela pourrait devenir intéressant. Si une ouverture de capital se
révélait compliquée, on pourrait autoriser et aider d'autres banques à mettre en place
un système équivalent.
Toutefois, aujourd'hui, c'est plutôt du côté de la Compagnie Bancaire que cela traîne.
Il lui faut changer le statut de la société anonyme en question. Des formalités longues
et coûteuses. En attendant, le client final ne peut pas disposer d'un véritable
porte-monnaie électronique virtuel. Seule une société financière peut gérer un moyen
de paiement...
Finalement, entre Bill Gates, la Compagnie Bancaire, ou ses concurrents (BNP, Société
Générale) et leur consortium (purement gaulois) pour la sécurité des paiements sur
Internet, il y a beaucoup de monde ayant des idées et des fonds pour les développer,
mais, malheureusement, les jeux de pouvoirs font qu'il est bien difficile de les mener à
bien. En attendant, les systèmes de paiement qui se profilent sur les réseaux ouverts se
font au détriment du consommateur et des marchands. Seules les position de l'OCDE ou de
certains au département du Trésor américain laissent entrevoir une lueur d'espoir.
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