LA CHUTE DE ZEUS

 

SIEGE DE LA DEA LE 24 NOVEMBRE

 

Pierce Donovan, agent de la Drug Enforcement Agency, lisait l’un des fax qui se trouvaient sur son bureau. Il étouffa un cri.

- Merde, il vient à New York !

Il prit son téléphone et commença à monter sa souricière.

Le soir même, sur la base des renseignements que lui avait transmis l’agent de Cali (il n’y a pas que les caïds des cartels qui peuvent soudoyer des hommes), il arrêtait José Ibañez en flagrant délit, chez l’un des gros dealers de la ville. Les deux gros bras qui accompagnaient José avaient chacun un petit trou dans le front et une grosse flaque rouge jonchait le sol autour de leurs têtes. Ils ne voyageraient plus.

Dans l’heure qui suivait, José se retrouvait dans une ferme en lointaine banlieue. Devant lui, une table et un téléphone branché à une série d’appareils. Sur sa tempe, le canon froid d’un revolver.

- Maintenant, tu vas gentiment appeler ton patron ou tu rejoins tes camarades dans l’au-delà. Tu comprends bien ce que je te dis, demanda une nouvelle fois Pierce Donovan qui parlait un espagnol courant. Il pouvait à loisir prendre l’accent bolivien, argentin, colombien... Pendant tout le trajet en voiture, derrière les vitres teintées, il avait patiemment et d’une voix aussi calme que déterminée, expliqué à José ce que lui et ses agents attendaient de lui.

José s’exécuta et composa le numéro du portable protégé. Sur l’écran du portable, Juan put lire le numéro de téléphone appelant. Il s’agissait du bon. José avait obéi aux hommes de la DEA quand ils lui avaient demandé depuis quel numéro il devait contacter son patron. Les machines connectées au téléphone avaient fait le reste.

- Señor, j’ai notre paquet, je serai là demain soir comme prévu.

Quelques secondes après, il raccrocha. Les agents qui retenaient leurs souffles se relâchèrent.

- Bien, maintenant, je vais t’expliquer ce qui t’attend, avança Pierce qui priait encore intérieurement pour que José n’ait pas donné un signal quelconque à son patron.

- Nous voulons tout savoir sur la comptabilité de Juan Contreras et les moyens que tu connais qui sont mis en place par le Cartel pour blanchir les fonds. Il nous faut aussi les rythmes et volumes de vos importations. Si tu ne dis rien, tu seras transféré dans la prison qui héberge les colombiens tombés entre nos mains. Je pense qu’ils recevront un message de notre part comme quoi tu as parlé. Tu piges ce qui t’attend ? Si tu es gentil et que ce que tu nous racontes nous intéresse, tu change de nom, de tête et tu disparais avec assez d’argent pour vivre tranquillement où tu veux. C’est ça l’Amérique mec.

Un ange passa.

Les neurones de José firent un tour assez rapide dans son cerveau.

- Ce que j’ai à dire dépasse votre imagination. Nous sommes bien au delà du trafic de drogue et de toutes les filières de blanchiment. Je ne parlerai que devant votre DCI. Au pire, devant le patron de la C.I.A.

- Rien que ça ! hurla Pierce.

Il se leva, changea de pièce et passa trois coups de téléphone. Le DCI serait là dans quatre heures.

 

FERME DE LA DEA, LE 24 NOVEMBRE DANS LA NUIT

 

- Bonjour M. Ibañez, je suis Samuel Winkle, voici mes papiers d’identité. Vous avez souhaité me parler. Me voici. J’espère que ce que vous voulez nous raconter vaut la peine que je me soit déplacé de Washington...

- Je le pense. Je veux que vous signiez un papier me garantissant la liberté, une nouvelle tête, une nouvelle identité et 100.000 dollars par an pour vivre. Ensuite, M. Winkle, je vais vous dévoiler les tenants et aboutissants de ce qui va devenir le couronnement de votre carrière.

- Vous me semblez un peu présomptueux M. Ibañez.

- Je ne crois pas. Je vais vous parler d’une organisation mondiale qui regroupe tout ce qui compte dans ce qui peut s’apparenter à ce que vous appelez la Mafia. Et cette organisation prépare ce qui va être la fin des pays développés tels que vous les connaissez.

José s’étonna lui-même de l’assurance de sa voix.

- Voici le papier qui vous fait entrer dans le programme de protection des témoins M. Ibañez. Il était déjà signé. Mais je ne déclencherai la procédure que lorsque vous aurez fini votre histoire. Vous devez me faire confiance...

- Bien.

Une demi-heure plus tard, un agent de la DEA faisait office de " greffier " et tapotait sur son ordinateur tout ce qui était dit. Par ailleurs, plusieurs appareils enregistraient les conversations.

José se cala sur sa chaise, finit d’un trait sa canette de Coca-Cola, et alluma une cigarette.

- Je travaille comme comptable de Juan Contreras depuis environ dix ans. Je détaillerai plus tard sa comptabilité et ses activités de trafiquant de drogue. Avant tout, je veux témoigner sur un péril qui menace les pays développés et en premier lieu, les Etats-Unis. Il y a quatre ans, quatre hommes sont venu passer cinq jours dans l’hacienda de Juan Contreras. Ils ont installé deux ordinateurs et ont fait de nombreuses démonstrations de leurs capacités de pirates informatiques à mon patron. Il s’agissait sans doute d’une petite semaine de formation aux nouvelles technologies de l’information. En effet, je dois dire que mon employeur est ressorti de ces cinq jours enchanté par les perspectives ouvertes par une alliance avec ces hommes ou l’organisation qu’ils représentaient. Le temps passant, j’ai appris à connaître l’organisation en question. Il m’est rapidement apparu que nous n’en étions pas les seuls bailleurs de fonds. Un peu partout dans le monde, notamment aux Etats-Unis, en Amérique du Sud, en Asie, en Europe et en Europe de l’Est plus particulièrement, tout ce qui compte dans ce que les autorités de tous les pays appellent la Mafia a été approché pour financer des activités qui ne devaient porter leurs fruits que six ou sept ans plus tard. C’est du moins le planning qui était évoqué à l’époque. Visiblement, le développement inattendu d’Internet et son ouverture massive au grand public ont accéléré le processus. Pour ma part, je peux évaluer à 180 millions de dollars les sommes versées par Juan Contreras. Dont une bonne partie en liquide. Peut-être un tiers. L’organisation qui communique par messages électroniques cryptés est structurée comme une entreprise cotée. En fait, les actionnaires ont un droit de parole dans des conseils en proportion de leur participation à l’investissement. Les conseils se tiennent en visioconférence sur le réseau. En échange des investissements, l’organisation apporte principalement deux choses. Une formation continue pour contourner les forces de l’ordre grâce au réseau. De fait, nous ne communiquons plus par téléphone ou fax avec les dealers, mais en utilisant les canaux de l’IRC. En fait, il s’agit de conférences ouvertes en permanence dans lesquelles nous pouvons entrer avec un pseudonyme et parler en temps réel au travers d’un clavier d’ordinateur avec les autres personnes qui y sont connectées. La chose intéressante est que nous pouvons sauter d’une conférence à une autre en changeant de pseudonyme en l’espace d’une seconde. Ainsi, je peux dire je serai là dans une conférence, à 10h00 PM dans une deuxième et enfin, après demain dans une troisième. Aucun policier ne peut suivre le rythme, puisqu’il ne sait pas dans quelle conférence je vais apparaître. La méthode était considérée infaillible jusqu’à ce que je me fasse arrêter...

José ne savait pas que la plupart du temps, les méthodes policières qui donnaient le plus de résultats concrets étaient celles qui faisaient appel à l’être humain. En fin de course dans ce genre d’activité, l’information humaine est souvent plus fiable que toutes les machines perfectionnées.

- La deuxième chose est un retour sur investissement... Les hommes qui étaient venu convaincre mon employeur préparent - et cela, je l’ai su très récemment - une série d’attaques informatiques sur les Etats-Unis. Je pense que vous avez repéré la chose ces derniers temps. Il s’agit de faire plonger des entreprises en Bourse et d’acheter au plus bas pour faire de grosses plus-values.

Je ne sais pas comment cela finira, mais j’ai entendu Juan en parler. Il s’agit d’une série d’opération qui doivent faire plier les gouvernements des plus grands pays du monde. Vous pouvez signer votre papier M. le DCI. En tout cas si vous voulez savoir le reste de ce que je sais...

Samuel Winkle ne jeta même pas un regard aux agents. Il signa le papier en question, passa quelques coups de fil et se leva.

- Je rentre à Washington Des hommes de la C.I.A. vont venir vous chercher dans quelques heures M. Ibañez. Surtout... ne vous arrêtez pas de parler. Oui, en fait... j’ai oublié un détail, nous pouvons déchirer ce papier à tout moment...

Il sortit de la pièce, glissa un mot à Pierce et sortit. Une demi-heure plus tard, son jet privé décollait pour la capitale. Direction le bureau ovale.

 

BUREAU OVALE, 25 NOVEMBRE

 

- Bonjour messieurs. Premier point, prenez en compte qu’il n’y a désormais plus de jours fériés, plus de jour ou de nuit. Organisez-vous comme vous le voulez, mais nous sommes en face d’un problème trop grave pour que quelqu’un de nos services puisse dormir pendant que les méchants travaillent. Je laisse la parole à Samuel Winkle qui m’a tenu au courant, dans la nuit, des derniers événements, lança le président à l’assistance.

Les hommes se regardèrent sans un mot.

- Bien. Messieurs, nous nous trouvons devant une organisation dont nous ne soupçonnions même pas l’existence il y a encore quelques heures. Pour faire simple, des dizaines - ou des centaines, nous n’en savons rien pour l’instant - de gros bonnets ont été réuni par un groupe d’hommes il y a quelques années. En échange de fonds importants, ils ont monté une structure qui utilise les nouvelles technologies de l’information pour simplifier la vie des trafiquants, terroristes et autres joyeux drilles. Par ailleurs, et c’est le point qui nous intéresse aujourd’hui, ils ont décidé de mettre à genoux financièrement et plus largement économiquement notre pays, puis - sans doute - d’autres. La technique passe par des manipulations de cours. Comme vous le savez, nous en avons eu quelques démonstrations. Je passe sur la déstabilisation politique.

Il semble clair que la structure éclatée de cette organisation nous oblige à une plus grande coopération avec les services des pays amis si nous voulons arriver à un quelconque résultat. D’autant qu’il n’est pas dit que les pays amis ne sont pas dans le collimateur des méchants.

Monsieur le Président, à ce stade, il me faut vous poser une question : voulez-vous écarter toute tentative de négociation avec les méchants ?

- Nous devons écarter cette possibilité M. Winkle. Nous allons leur botter le train. Toutefois, je note que nos services, ou ceux des pays amis sont passé complètement à côté de la mise en place de cette nouvelle organisation.

Le patron de la C.I.A. en profita pour lancer une petite pique. Le moment était bien choisi. Il détournait ainsi les pensées du Président sur un autre problème. Et au passage, sur un autre service que le sien.

- M. Irving, avons nous des nouvelles en provenance de votre petit génie de l’informatique et de sa tentative d’identification de l’expéditeur du message qui a fait plonger les deux entreprises informatiques ?

Le patron de la N.S.A. nota consciencieusement l’attaque d’Anderson dans un coin de sa mémoire. Pour plus tard.

- Notre petit génie, comme vous dites, a fini par tomber sur un os. Si vous voulez des détails techniques, je peux vous les donner, mais cela risque d’être un peu long et obscur pour vous. Nous avons simplement confirmé que le message est sans doute venu d’Europe du Nord. On hésite entre les Pays-Bas et le Danemark. Comme nous le soupçonnions et comme vous l’avez confirmé de votre côté, ces gens là ont de très gros moyens. Mais, je vous rassure, sans doute pas autant que nous.

Le téléphone portable posé devant le Président sonna à cet instant. Enfin... Portable est sans doute un terme un peu réducteur. Cette ligne ne se trouvait pas chez n’importe quel opérateur de téléphonie mobile. Elle était protégée. Le niveau de cryptage était si important qu’aucune batterie d’ordinateurs, quels qu’ils soient, n’aurait pu décrypter les conversations transitant sur cette ligne (ce qui d’ailleurs, n’aurait - la plupart du temps - eu aucun intérêt) tant le niveau de cryptage était important.

Le Président décrocha.

- Allô ?

La voix à l’autre bout du fil était neutre. Militaire…

- M. le Président, on nous annonce à l’instant le déraillement dans le Minnesota d’un train contenant des gaz toxiques destinés à l’armée. L’Etat est bloqué. Personne ne peut en sortir ou y rentrer. Toutes les mesures d’urgences prévues dans la cas d’accidents de ce genre ont été prises. Toutefois, si l’on s’en tient à la nature du chargement, au lieu de l’accident et à la population de la région de la catastrophe, on peut tabler sur au moins 50.000 morts.

Le Président se contenta d’un " tenez-moi au courant au travers du système de visioconférence ".

Il raccrocha.

- Messieurs, une nouvelle catastrophe vient de se produire. James, allumez les écrans. Je veux CNN, une ou deux télés locales du Minnesota et notre système interne de visioconférence d’urgence. Nous ne pouvons affirmer qu’il s’agit d’une nouvelle attaque de nos méchants. Mais nous ne pouvons l’écarter non plus. Cette fois on a un vrai paquet de morts sur les bras.

Alan Jones, prudent, comme à son habitude, ne dit rien. Son intuition lui disait bien que cette nouvelle catastrophe était le fait des méchants. Mais il n’en avait pour l’instant aucune preuve. Il se souvint simplement de la mise en garde de l’agent Mulder contre une attaque de ce genre et de l’avoir portée à la connaissance de cette même assemblée. Ces pensées ne suffirent pas à le réconforter. Il vomissait la suffisance des hommes qui se croient puissants. La puissance, c’est comme une roue, cela tourne, pensait-il souvent.

William Anderson prit la parole.

- M. le Président, je vais avoir besoin de votre autorisation pour une opération à l’étranger. Nous souhaitons rendre une petite visite à Juan Contreras.

- M. Anderson, vous m’exposerez en privé les détails que je dois connaître de cette expédition. Nous verrons cela ensemble et vous ferez une note de synthèse aux autres membres de cette assemblée. Messieurs, je vous le répète, je souhaite une totale transparence entre les services dans cette affaire. Dans le cas contraire, je prendrai des mesures… Radicales.

Au travers des écrans, les personnes réunies autour de la table prenaient peu à peu la mesure du carnage. Selon le correspondant de C.N.N., une défaillance informatique aurait été à l’origine du déraillement, un aiguillage n’ayant pas fonctionné...

Les visages des responsables de la défense du pays le plus puissant au monde se fermaient au fur et à mesure que les images défilaient. Tout d’un coup, le triomphalisme américain n’était plus ce qu’il était. Les méchants avaient marqué un point. Et dire que quelques heures auparavant, le Président et ses hommes se réjouissaient de la chute de Zeus (alias José Ibañez)...

 

PARIS, LE 26 NOVEMBRE, SIEGE DE TECHNONET

 

Pierre avait pris l’initiative de réunir Dominique et André. Ce dernier avait refusé l’invitation au bar d’un grand hôtel et avait préféré une petite réunion intime au siège de l’entreprise qu’il avait fondée. Pierre avait trouvé l’idée assez bonne. Ils pourraient bénéficier des moyens de TechnoNet pour voir un peu quelle était la tendance sur Internet après la catastrophe du Minnesota.

Pierre se tourna vers Dominique qui étalait des fiches devant lui.

- Dominique, comme tu le sais, nous nous voyons ici car nous avons peut-être - et je dis bien peut-être - repéré l’un des méchants qui ennuient les Etats-Unis. Par ailleurs, je tiens à vous mettre au courant d’un fait particulier. Je dispose, depuis le début de cette histoire de fous, d’un informateur privilégié. Je ne sais pas qui il est, où il est, s’il est fiable et pourquoi il m’a choisi. Toutefois, il semble si bien au courant de ce qui se passe outre-Atlantique que j’accorde foi à ses messages. L’avant-dernier E-mail que j’ai reçu de lui m’a appris qu’une bande de mafieux s’attaque actuellement aux Etats-Unis avant de passer au reste des pays du G-7. Ca, c’était le 23 novembre. Dans la nuit, j’ai reçu un message me disant que le Président américain avait donné son accord pour une mission d’infiltration d’hommes de la C.I.A. en Colombie. Plus précisément à Cali. Il s’agit de prendre le contrôle d’un hacienda détenue par l’un des membres du Cartel. Comme les Etats-Unis sont actuellement bien loin d’être focalisés par la lutte anti-drogue, mais plutôt par des petits problèmes informatiques, je fais un lien avec cette histoire de Mafia. Dominique, je te laisse plancher là-dessus.

Bien revenons à notre méchant qu’André croit avoir repéré. C’est un jeune prodige de l’informatique, il réside actuellement à Amsterdam et il a flashé sur une amie d’André. Le coup de foudre n’est pas du tout réciproque, mais cela pourrait nous servir pour ne pas perdre le contact avec lui. La copine d’André confirme que l’on peut prendre au sérieux l’histoire de ce type. Il lui a expliqué qu’il pouvait détruire les réseaux informatiques de la C.I.A.... André et moi pensons que si l’on veut se préparer efficacement à ce qui va nous tomber sur le coin de la gueule dès que les méchants auront fini de s’occuper des Etats-Unis, il serait bon de vérifier si ce type fait bien partie de la bande des méchants. Et dans ce cas, de le neutraliser et de le retourner. Qu’en penses-tu Dominique ?

- Bien... messieurs, avant tout, nous ne sommes pas dans un James Bond. Sur le fond, je suis d’accord avec vous. Mais sur la forme, aller s’occuper d’un gars dans un pays étranger - même ami - ce n’est pas si simple. Il me faut un certain nombre d’autorisations et...

- Dites-moi Dominique, lança André, avez-vous une idée précise de ce que je pourrais faire avec quelques ordinateurs si je n’étais pas un bon gars rangé ? Savez-vous que je peux assez facilement aller planter le réseau informatique de la DST si vite et si bien que vous ne saurez même pas d’où ça vient ? Savez-vous qu’avec une connerie de ce genre, les Américains viennent de perdre plus de 50.000 de leurs compatriotes ? Que direz-vous à vos supérieurs le jour où un truc comme ça arrivera en France ? Que vous aviez une piste, mais pas les autorisations nécessaires pour allez planquer un mec à Amsterdam ?

- Ne nous énervons pas André, répliqua Dominique. Je réfléchis tout haut. OK. Reprenons. Votre méchant présumé, il a une faiblesse ? Femmes, alcool, argent ?

- Visiblement, il a un penchant pour la boisson, dit Pierre. A chaque fois que la copine d’André l’a revu, il a nettement abusé. Ça le fait parler. Un peu. Il semble bien qu’il ait un problème de reconnaissance. En ce sens qu’il aime bien se vanter. Ses capacités ne doivent pas être suffisamment reconnues dans sa boite et il veut qu’on le prenne au sérieux.

- OK. On peut donc essayer de le faire délirer un peu. Je vous propose la chose suivante. Votre copine va lui tendre un piège en l’invitant à un pseudo week-end en amoureux à la campagne. Nous, on se chargera de le faire parler en mélangeant quelques petits produits. Ca ira plus vite que de le faire rêver à un super job dans lequel il serait reconnu. D’autant que si l’on a affaire à une quelconque Mafia, il doit avoir été briefé sur ce qui lui arriverait s’il quittait la structure pour laquelle il travaille actuellement.

- Bon. Ca ne me parait pas mal. On fait quoi nous ? demanda Pierre dont l’expérience d’espion était, somme toute, assez limitée.

- Tu fais tes bagages. Toi, André, tu demandes à ta copine d’inviter ce garçon dans une maison dont je te donnerai les coordonnées cet après-midi par téléphone. On va s’occuper de ça. Il ne faut pas qu’ils puissent remonter l’information et savoir qui est le locataire de la maison. Nous, on sera là-bas pour réceptionner les " amoureux ".

- C’est parti, lança Pierre à André.

 

REUNION VIRTUELLE EN VISIOCONFERENCE QUELQUE PART AU TRAVERS D’INTERNET

 

L’écran de Jack était subdivisé en trois parties. La première comptait une quinzaine de petits écrans vidéo retransmettant les visages des " actionnaires ", la seconde lui permettait d’écrire son texte à destination de chacun des connectés et la troisième lui permettait de faire apparaître ou disparaître les écrans vidéo de la liste des personnes présentes. En tout, 139 personnes étaient connectées en même temps sur ce serveur.

Le texte défilait sur l’écran de Jack.

.....

Contreras : je crois que le coup du train les a fait flipper !

Jack : messieurs, je vois que vous ne perdez pas votre calme et c’est l’essentiel. Notre plan marche à merveille, nous avons récolté un sacré montant en termes de plus-values et ce n’est pas fini. dès que Wall Street atteint le niveau souhaité, je vous préviens par mail pour déclencher les ordres d’achat. N’hésitez pas à stopper vos achats si l’indice Dow Jones regagne plus de 10%. Nous le ferons replonger immédiatement.

Sergueï Molotov : Avez-vous besoin de fonds supplémentaires et pouvez-vous nous assurer que personne n’est encore remonté jusqu’à vous ou jusqu’à Amsterdam?

Joe : Messieurs, nous sommes tous dans la même barque. Il est évident que si l’un d’entre vous ou l’un d’entre nous avait la moindre information sur les agissements de la cellule qui entoure le président américain, il la communiquerait aux autres...

Sergueï Molotov : vous le savez, nous avons des moyens " physiques " pour riposter. Les armes conventionnelles peuvent également être efficaces....

Jack : Sergueï, ils n’attendent que cela. Quelque chose qui leur permette de mettre la main sur l’un de nos hommes.

Sergueï Molotov : vous savez, je peux faire recruter des gens qui n’auront aucune information sur nous.

Joe : Non. Sergueï, gardez votre calme s’il vous plaît. Nous aurons sans doute besoin de fonds d’ici quelques jours. Nous comptons mettre en place une troisième voie. Au cas ou Amsterdam tomberait. On ne peut pas exclure qu’ils trouvent la deuxième base à la suite d’une action contre Amsterdam. Merci de verser les sommes qui vous correspondent par les voies habituelles. Les plus-values seront quant à elles versées sur vos comptes dans quelques jours.

Li Wang Too : Messieurs, je crois que je vais me retirer de notre assemblée. Il me semble que vous avez trop fortement provoqué les Etats-Unis. Ils ne resteront pas les bras croisés.

Jack : Vous savez bien que nos accords excluent une sortie d’un membre avant la fin des opérations. Nous non plus, nous ne resterions pas les bras croisés si l’un d’entre nous quittait l’assemblée... Quoi qu’il en soit, je vous invite à retrouver votre calme. Ils n’ont aucune piste. Nous avons un indicateur à la C.I.A. et il nous a confirmé qu’ils n’avaient rien. Pas le début d’une piste.

Joe : Messieurs, nous allons procéder au vote : poursuite des opérations et délégation à Jack et à moi-même pour les mener. Ceux qui sont pour, votent " oui ".

Une série de " oui " en face du nom de chacun des connectés vint s’afficher à l’écran. Pas un ne fit défaut. Jack tapota la phrase suivante sur son clavier : Messieurs, pariez tous très fort sur une hausse des taux américains. Choisissez vos marchés avec soin, vous allez gagner beaucoup d’argent dans les jours à venir. Tous choisirent dans le menu la fonction " Quit " et en quelques instants, il ne restait plus rien de la réunion virtuelle.

Jack se tourna vers Joe.

- Qu’en penses-tu ?

- Ils sont pépères. L’idée d’engranger les sommes récoltées sur les marchés pendant la phase de test du dispositif les intéresse trop pour qu’ils nous quittent maintenant. En revanche, je souhaiterais que l’équipe Destruction fasse un saut chez l’ami Li. Qu’on le mette sous surveillance totale. Cartes de crédit, lignes téléphoniques, ordinateurs et entourage. Il ne faut pas qu’il se mette à parler ou qu’il nous quitte. Si cela lui passait par la tête, au moindre doute de l’un des membres de l’équipe D, qu’ils agissent. Pas une seule trace. OK ?

- C’est parti.

Jack lança un petit logiciel lui permettant de se connecter sur un Buletin Board System situé aux Etats-Unis. Il écrivit un message pour " BigDildoo ". Le texte était assez anodin pour ne pas susciter l’éventuelle curiosité d’un sysop :

Li est fatigué. Il faudrait que toute la famille soit à son chevet pendant les trois semaines qui viennent. Le docteur lui a prescrit une cure de repos total. Si son état devait empirer, il doit être évacué sur un hôpital sérieux. Tout le monde souhaite qu’il s’agisse d’une fausse alerte.

 

CALI, 26 NOVEMBRE, HACIENDA DE JUAN CONTRERAS

 

Juan avait ceci de particulier qu’en dépit de son teint mat, il ne pouvait cacher sa colère. Ce 26 novembre, dans son bureau, il était vraiment rouge de rage, sa bouche était relativement déformée par la colère et ses yeux étaient injectés de sang. Peut-être en raison de la fatigue ? Juan ne dormait plus depuis vingt-quatre heures.

- Javier, ven aqui idiota

- Si señor, aqui estoy

- Como es eso que no podemos encontrar à Ibañez ? Donde esta este cabron ?

- Monsieur, nous n’avons aucune nouvelle des deux hommes qui l’accompagnaient. Nous avons lancé quelques messages par la voie habituelle pour tenter de prendre contact avec le dealer qu’il devait rencontrer. L’intermédiaire qui reçoit nos messages a accusé réception, mais depuis, pas de nouvelles.

- Hijo putas ! Americanos cabrones ! Continue imbécile ! Trouvez-le moi ! Demande à un de nos hommes de se rendre sur place !

A cet instant le téléphone portable de Juan sonna.

- Señor, c’est José. Nous avons un problème.

- Où es tu, enfoiré, imbécile, trou du cul ? Cela fait vingt-quatre heures que je te cherche ! J’ai dû faire bonne figure pendant le Conseil. Je ne savais pas où tu étais. Ils ont demandé si l’un d’entre nous savait si les Américains ont remonté une piste. Cabron, avec toi dans la nature, sans savoir si tu avais été arrêté, je devais dire quoi à ton avis ? Mon comptable est dans la nature, je ne sais pas où ?! Où es-tu nom de dieu ?

- Je suis dans un Motel en dehors de la ville. Après que l’on ait récupéré le paquet, des hommes de la D.E.A. ont fait une décente chez notre dealer. J’imagine que c’est cela qui est arrivé puisque quelques heures plus tard, on y avait droit aussi. J’étais au bar. Lorsque je suis remonté, je suis tombé sur la Police et un attroupement à l’étage. En questionnant les gens, j’ai appris que nos deux hommes étaient morts. J’ai pu fuir, mais je pense que mon portrait robot doit être affiché dans tous les aéroports, les gares et les ports. Il faut donc que je trouve un moyen de rentrer avec le paquet.

- Santa madre de Dios ! Jolines ! Bon écoute trouduc, tu vas louer le premier avion privé que tu trouves pour rentrer ici avec la pasta. Compris ?

- Monsieur, ce n’est pas si simple. Je suis aux Etats-Unis ici. Et, visiblement, ils en ont contre moi. Je vais commencer par acheter une voiture d’occasion ou prendre le bus pour rejoindre la frontière avec le Mexique. Ensuite, je reprendrai contact avec vous. Si j’étais arrêté, je détruirai mon portable afin qu’ils ne puissent pas vous retrouver. Ne m’appelez pas non plus Señor. Ce ne serait pas prudent. Je serai là d’ici une dizaine de jours au plus.

- Bueno. Tu fais comme tu veux pourvu que tu ne te retrouves pas dans les mains de la DEA. Et si c’était le cas... no abras la boca, que te mato. Tu choisis, le silence et de l’argent, ou tu parles et c’est la mort. Compris ?

- Señor, cela fait bien trop longtemps que je travaille pour vous. Je ne ferai jamais d’erreurs. Soyez-en sûr !

- Hasta luego.

- Hasta pronto.

 

AMSTERDAM, LE 27 NOVEMBRE

 

- Allo, Jim, c’est Annie.

- Ah, bonjour Annie, ça va ?

- Très bien. dites, cela vous plairait de passer le week-end à la campagne ? Je devais partir avec une amie, mais elle me laisse tomber. Un copain de mon amie nous prête sa maison. C’est génial…, piscine, jacuzzi, salle video. Bref, c’est chez les riches, quoi...

- Euuhhh. Ecoutez, je ne sais pas si je peux quitter Amsterdam ce week-end. Je me renseigne... Enfin, je veux dire, je tente d’arranger le coup et je vous rappelle. OK ?

- Avec plaisir. J’attends votre coup de fil. A plus tard.

- A plus tard.

Une demi-heure plus tard, Jim rappelait Annie et lui annonçait que c’était avec une grande joie qu’il viendrait. Jim s’imaginait déjà dans le jacuzzi, nu aux côtés de cette belle française. Ses fantasmes prenaient corps dans son esprit. Il lui... A cet instant, Hendrick Avercamp fit irruption dans son bureau.

- Jim, vous rêvez... Bien, nous avons besoin de retourner chez nos amis de la FirstCorp. Cette fois, il faut se préparer à modifier quelques chiffres et deux études.

- Pas de problème. Nous sommes prêts. Nous pouvons faire cela en quelques heures.

- Attention à être aussi prudent - et même plus- que la dernière fois. Ils nous attendent cette fois-ci. Par ailleurs, je veux que vous planchiez sur la mise en place d’une infrastructure de secours. Au cas où nous serions obligés de quitter les locaux de la Velde.

- Il me faut quelques machines et quelques heures pour transférer toutes les applications. Vous le savez, tout cela n’est qu’une question de moyens financiers. Un bureau, une chaise et quelques ordinateurs et le tour est joué...

- Bien. nous allons donc lancer la mise en place d’une nouvelle infrastructure. Pour les moyens, pas de problème. Faites-moi un devis. Quant à FirstCorp, vous allez vous intéresser à un producteur de machines-outils cotée à Wall Street, à une start-up cotée sur le Nasdaq et à un producteur de véhicules coté sur plusieurs places dans le monde. Vous mettez en place une procédure de désinformation classique et vous faites en sorte que les chiffres les concernant chez FirstCorp soient modifiés dans toutes les bases dès la première requête les concernant. Par ailleurs, vous vous occupez des études pondues sur le premier et le dernier par E&F Analysis. Dernier point, nous allons avoir besoin de jouer plus serré. Il va s’agir de créer un mouvement de panique sur les taux. Il va falloir toucher des valeurs du Trésor américain. Mais j’ai ma petite idée là-dessus. Réfléchissez de votre côté. Nous en reparlerons.

- Bien monsieur.

 

QUELQUE PART AU PANAMA, LE 28 NOVEMBRE, DEBUT DE SOIREE

 

Les deux hélicoptères décollèrent. Chose amusante, la peinture grise - tirant vers le noir - qui recouvrait les deux appareils était développée et commercialisée par un fabricant d’avions français. Elle était à la fois sombre, ce dont les hommes qui se trouvaient à l’intérieur avaient besoin, et très pratique pour éviter d’être repéré par les radars. De fait, cette peinture réfléchissait les ondes radar.

A l’intérieur de chaque hélicoptère, cinq hommes vêtus de tenues commando regardaient l’horizon. Les lunettes qui leur permettaient de voir la nuit posées sur leurs têtes leur donnaient un aspect assez diabolique.

Chacun repassait en mémoire les détails de l’opération. Ils avaient pu mémoriser toutes les défenses et les systèmes de sécurité de l’hacienda. Les plans fournis par José Ibañez aux agents de la DEA avaient été d’une grande utilité. Par ailleurs, la maison et les alentours avaient été pris en photo par des satellites. La définition était assez bonne pour lire " Peligro : electricidad " sur des plaques accrochées à la clôture. De très belles photos, véritablement. Réalisées par Springfield, filiale de FirstCorp. Mais ça, aucun des hommes présents dans les appareils ne le savait. D’ailleurs, ils n’en avaient strictement rien à foutre.

On imagine souvent, après avoir vu un quelconque film d’action que ces hommes ne connaissent pas la peur. Ce qui est relativement faux. Ceux qui oublient ce sentiment risquent un jour de ne pas revenir. Plus que ceux qui n’oublient pas les risques de leurs missions.

Et cette fois, ces hommes se dirigeaient vers une ville où ils n’auraient pas pu se faire un seul ami. Même s’ils étaient venus en touristes. Tous avaient compté sur le fait que l’hacienda était assez éloignée de la ville pour que les milliers de petits tueurs du dimanche que l’on peut recruter à Cali pour quelques dollars ne se ruent pas vers la maison à la moindre lueur inhabituelle. " Les silencieux ne peuvent pas masquer la lueur de la détonation ", pensait l’un des hommes.

L’attaque simulée en réalité virtuelle sur ordinateur avait planté la première fois. Mais une fois le problème rencontré réglé, toutes les autres tentatives de prise de possession de la demeure avaient réussi. Sans aucune perte humaine du côté des gentils. Ils avaient même réussi à garder en vie le propriétaire... C’est dire que tout fonctionnait comme sur des roulettes... virtuellement tout au moins.

Une lumière verte clignota. Puis une rouge. A cet instant, toute source lumineuse dans les hélicoptères disparut.

Quelques instants plus tard, les hommes étaient débarqués au pied de la colline où se trouvait l’hacienda. Les hélicoptères, pratiquement silencieux se perdirent dans la nuit.

Il n’aurait pas fallu plus de dix minutes à un enfant pour gravir la petite colline sur laquelle était construite l’hacienda de Juan Contreras. Il fallu plus d’une heure aux hommes du commando de la C.I.A. pour parvenir au mur d’enceinte. Ils ne souhaitaient pas prendre le moindre risque. Et s’ils étaient équipés d’appareils de vision nocturne, ils savaient également qu’une partie des gardes disposés un peu partout sur la colline l’était également.

Un à un, ils avaient rendu " aveugles " les systèmes de sécurité. Les caméras de surveillance avaient chacune reçu leur petit miroir qui permettait de laisser croire à la personne assise devant les moniteurs de contrôle que tout était en ordre de marche et... calme. Les systèmes d’alarme à infrarouges avaient été contournés avec la plus grande prudence.

Au pied du mur, les hommes avaient chacun disposé leurs charges explosives pour créer une diversion si cela devait s’avérer nécessaire.

Une fois à l’intérieur, les chiens avaient reçu leur petite piqûre-dodo. Les viseurs laser accompagnés des appareils de vision nocturne et des leurres olfactifs avaient fait merveille. L’un des hommes se jura d’aller féliciter le labo qui avait mis au point ce truc qui développait une odeur amicale pour les chiens.

- Ce pourrait être utile pour les facteurs, pensa-t-il.

Une fois les derniers problèmes techniques liés aux alarmes diverses résolus, il fallu dix minutes aux hommes du commando pour prendre possession de l’hacienda. Toute résistance avait été sanctionnée par une balle de calibre 22. Des armes spécialement adaptées à ce genre d’opérations. Seul Juan Contreras qui - à priori - n’avait pas l’air de vouloir se laisser faire avait été gratifié d’une piqûre-dodo. Il dormait bien paisiblement sur un sofa, un serre-joint en plastique autour des poignets, ligotés dans le dos. Une position inconfortable qui n’avait pas l’air de perturber son sommeil forcé.

Deux heures plus tard, il ne restait plus une trace de l’attaque. Tout avait été " nettoyé ". Trois heures après le premier coup de feu, les moyens de communication apportés par le commando fonctionnaient. Deux heures après le premier contact avec le siège de la C.I.A., il ne restait plus que trois hommes sur les dix. Les autres étaient dans les hélicoptères, de retour.

Juan ouvrit les yeux et sa première vision fut un trou sombre. La pointe d’un canon de revolver. Une poigne d’acier lui serrait le cou.

Dans un espagnol parfait, accent colombien compris, il entendit :

- Tu vas être bien sage. Règle n°1, je suis le patron. Règle n°2, tu ne suis pas une des règles, tu es mort. Règle n°3, tu obéis à tout ce que te demande le patron. Règle n°4, si tu poses une question sans avoir demandé la permission, mon revolver te répond. Compris ?

Juan était un homme impulsif. Mais l’impulsivité à ses limites que la raison connaît bien. Il opina. Même s’il avait voulu parler, un gros sparadrap lui barrait le visage...

Les trois hommes se retrouvèrent dans une chambre.

- Aucun ordinateur.

- Rien pour moi.

- Ils doivent bien être quelque part !

Juan perdit deux doigts dans l’histoire. Des coups de feu partis trop vite... Sur ses conseils, les trois hommes trouvèrent la chambre forte et les ordinateurs qu’ils cherchaient. Leur contenu partit rapidement par liaison satellite - le tout crypté - vers les Etats-Unis. Les hommes qui avaient débarqué chez Juan avaient reçu l’ordre de le faire parler afin de ne pas éveiller ses soupçons. S’ils s ‘étaient dirigés directement vers la salle des ordinateurs, Juan aurait immédiatement conclu que son comptable était tombé aux mains des autorités américaines.

Aux Etats-Unis justement, un groupe de personnes composé de membres de la C.I.A., de la N.S.A. et de l’Infosec était en train de prendre possession des machines de Juan Contreras. En quelques heures, ils avaient réussi à créer un leurre sur le réseau. Désormais, tous les messages destinés à Juan Contreras viendraient se loger sur les ordinateurs des autorités américaines. " America’s the best " pensa l’un d’entre eux. Il allait rapidement se rendre compte que ce n’était pas toujours vrai...

Les trois hommes du commando réalisèrent un moulage du visage de Juan, nettoyèrent soigneusement à leur façon la maison afin de ne laisser aucune trace. Enfin... Aucune des leurs. Les fichiers de la C.I.A., du F.B.I. et de la DEA leur avait permis d’emmener avec eux des copies de certaines empreintes digitales sous forme de film plastique. En quelques minutes, ils eurent déposé à quelques endroits stratégiques la signature des crimes commis dans l’hacienda. Ils disposèrent à nouveau les corps des hommes de mains de Juan un peu partout dans la maison. Un petit texte écrit avec le sang d’un des cadavres acheva de peaufiner l’histoire. L’un des trois hommes pensa à la subtilité de cette mise en scène. Ils récupéraient Juan Contreras, le faisaient passer pour mort (enlevé tout au moins) et ils déclenchaient une guerre au sein des cartels de la drogue. Que de bénéfices. C’était trop beau.

Quelques heures plus tard, ils étaient à leur tour avec Juan dans l’un des hélicoptères.

Aucun des hommes placés sur la colline n’avait la moindre idée de ce qui s’était joué cette nuit là dans l’hacienda qu’ils étaient censés surveiller.

 

SIEGE DE LA VELDE, B.V. LE 29 NOVEMBRE

 

Hendrick Avercamp entra dans la " salle des machines " l’air concentré. Il allait jouer serré pour faire plonger les obligations du Trésor américain. Son plan était simple. Ce qui ne voulait pas dire qu’il allait marcher. Il comptait faire plonger dans le rouge une grande banque américaine qui portait un volume très important de ce type de valeurs et jouer sur les effets systémiques.

- Jim, vous êtes prêt ?

- Oui monsieur, tout tourne au poil.

- Bien, entamez le processus de virements.

- Bien.

Jim lança ses programmes, les connexions se firent. Il utilisa les mots de passe si chèrement payés à l’un des collaborateurs de la banque. En quelques secondes les chiffres commencèrent à défiler.

- Pour combien de temps en a-t-on ?

- Entre une heure et une heure et demi si l’on veut être vraiment efficaces.

- On a des risques d’être découverts ? Même après ?

- Je ne pense pas. Nous allons laisser beaucoup de traces à l’intérieur des systèmes de la banque, mais il est peu probable que les autorités ou les experts de la banque puissent remonter au delà du serveur utilisé pour accéder à leur système informatique. Serveur que je vais d’ailleurs détruire. Au mieux, tout peut planter au milieu s’ils ont mis en place un système de protection pour éviter ce genre d’action qui, s’il était intelligent, le système devrait refuser. En une heure, pratiquement toutes les liquidités de la banque vont migrer vers des comptes extérieurs. Si j’étais le patron des systèmes de l’établissement, je m’arrangerais pour éviter ce genre de choses. Mais ils sont tellement persuadés que personne ne pourra entrer et faire ce genre de choses qu’ils n’estiment pas utile de mettre en place ce type de protection.

- Bien, faites moi signe dès que c’est fini.

- Oui monsieur. Je vous rappelle par ailleurs que je suis à la campagne ce week-end. Mais vous pouvez me joindre sur le portable si nécessaire. En tout état de cause, mes assistants peuvent prendre le relais sur n’importe quel problème.

- Bien sur, pas de problème Jim.

Une heure et dix minutes plus tard, la banque était vidée de ses liquidités et ne pourrait plus faire face à la moindre demande. Tout avait été viré sur des comptes qui ne serviraient jamais à personne. L’argent dormirait par paquet de 100 millions de dollars. Personne ne le réclamerait jamais. Et les banques qui hébergeaient ces fonds avaient été choisies pour leurs réputations. Elles ne chercheraient jamais à savoir pourquoi ces fonds avaient atterri là et à qui ils appartenaient. Encore moins pourquoi il n’y avait aucun mouvement sur ces comptes. Quand bien même elles le feraient, quand bien même quelqu’un trouverait qu’il s’agissait des fonds disparus, il serait bien trop tard pour renverser la situation et poser le moindre problème aux associés de la Velde B.V..

 

MAISON-BLANCHE, 29 NOVEMBRE AU SOIR

 

Le président de la première puissance mondiale, tant sur le plan économique que militaire, était allongé sur son lit, le regard perdu dans le vague. Comme si le plafond de la chambre était transparent et qu’il donnait sur un ciel étoilé. Le président cherchait sans doute l’étoile du berger...

Il se remémorait les rapports des différents groupes travaillant sur le problème. Aucune piste sérieuse à part Juan Contreras. Il avait été difficile à convaincre - de toutes façons, le président ne voulait pas savoir comment il avait été décidé et par qui - mais il avait fini par se mettre à table. Quoi qu’il en soit, cela ne donnait pas grand chose de plus que ce qui avait été collecté avec l’aide de José Ibañez, son comptable.

Le président sentait par ailleurs tout le poids de sa fonction. Cela ne résidait pas tant dans ses responsabilités vis-à-vis de ses concitoyens que dans les concessions et les courbettes qu’il fallait savoir faire à tous les groupes de pression. Et ils étaient nombreux. Ces dernières heures, Bill Clinton avait reçu le Speaker de la Chambre des représentants, le patron du Sénat et quelques généraux. Les premiers cherchaient à renverser le président pour conserver leurs sièges et les seconds voulaient déjà lancer quelques bombes à énergie électromagnétique (qui détruisent les appareils électroniques) suivies de quelques bombes atomiques. La pression devenait un peu trop forte, pensa-t-il. Le déraillement du train l’avait paradoxalement aidé. Il avait fait maintenir secret le rapport de la C.I.A. selon lequel il s’agissait bien d’une attaque des méchants et avait incendié l’état-major pour leur négligence. Un tel accident ne pouvait pas arriver dans un pays comme les Etats-Unis leur avait-il rappelé... Les généraux, craignant pour leurs carrières avaient mis la pédale douce. Leurs velléités guerrières avaient été un peu calmées.

Bill Clinton se souvenait de sa campagne, saxo à la main. Tranquille... Son élection, sa réélection... tout était si simple et agréable. Depuis le début du mois, il avait compris bien des choses et son attitude vis-à-vis de son poste changeait. Il trouvait cela un peu difficile à gérer...

Il repensait soudain à la discussion qu’il avait eue avec Al Gore et qui avait abouti à des déclarations tonitruantes sur le développement obligé d’Internet et des NTIC en général pour le pays. Soudain, une pointe de regret faisait son apparition. " Al n’y croyait pas. Pourtant ça a bien marché sur un plan électoral. Quand je pense à ce Jacques Chirac qui nous a emboîté le pas... pensa-t-il. Un sourire se dessinait sur son visage alors que cette dernière pensée s’enfuyait déjà.

 

SIEGE DE LA FINANCE, VENDREDI 29 NOVEMBRE

 

Pierre était penché sur l’écran de son ordinateur. Il mettait à jour ses notes sur cette histoire abracadabrante de guerre électronique. Comment avait-il pu être embarqué dans tout cela ? Il en était au passage sur l’opération Jim/Annie quand un clignotement sur l’écran lui indiqua qu’un message était arrivé par Internet. Il ouvrit la messagerie Netscape.

Un message de Bill...

Il lut tranquillement mais avec un intérêt non dissimulé. Ce message tombait à point. Juste avant l’opération d’Amsterdam.

Subject: What do YOU think you know?
Date: Sun, 29 Nov 1999 11:43:35 +0100
From: Bill Clinton bclinton@whitehouse.gov
To: pmartinie@lafinance.fr

Vous êtes moins fort que je le pensais. vous avez bien compris le rôle volontaire ou involontaire - à vous de juger - de la FirstCorp, mais vous n’avez pas suivi la petite affaire colombienne dont je vous parlais dans un de mes derniers messages. Mais je comprends qu’il soit difficile de suivre les agissements des forces spéciales américaines depuis Paris. Même les journalistes locaux ne trouvent généralement rien avant des mois lorsque les militaires font un coup. Enfin...

Bien, les forces spéciales américaines ont rapatrié un Juan Contreras et ont fait passer sa disparition pour un règlement de comptes entre gros bonnets. Ce qui nous intéresse dans cette histoire c’est que Juan Contreras fait partie de l’organisation dont nous parlons depuis un mois. D’ici quelques temps, les Etats-Unis vont comprendre exactement ce qu’il se passe. Ils auront l’occasion de réagir. Même s’il est peu probable qu’ils puissent éliminer toute l’organisation sans subir eux-mêmes des représailles importantes, on peut supposer que tout cela va se calmer dans les mois à venir. Toutefois, rien ne dit que d’ici un an, l’organisation ne va pas se reformer. Et cette fois, ils se tourneront sans doute vers des pays européens, plus vulnérables, informatiquement parlant.

Je vous félicite pour votre projet aux Pays-Bas. Si vous vous débrouillez bien, vous allez marquer un point du même acabit que celui que viennent de marquer les Etats-Unis. Avec un petit plus : vous pouvez, toujours en vous débrouillant bien, détruire l’une des bases de l’organisation qui se trouve dans ce pays. Mais pensez de façon basique ! Coupez un bras à un homme, il lui reste l’autre. Coupez-lui les deux, il apprendra à écrire avec les pieds. Coupez-lui le jambes, il lui reste son cerveau pour diriger et faire faire par d’autres... En clair, ne vous contentez pas d’un ou deux succès. Par ailleurs, si vous voulez gagner, alliez-vous avec les américains. Dans quelques jours ou quelques heures, vous aurez chacun une pièce du puzzle. Vous ne gagnerez pas sans vous mettre d’accord. Pensez " basique " et " mondial ". Sans quoi, c’est cette organisation qui gagnera la bataille. Vous me direz, cela aurait un côté amusant. On peut effectivement être curieux de voir naître une sorte de troisième voie entre le capitalisme et le communisme. Finalement, cette planète n’a connu que ces deux formes d’organisation de la société, avec des aménagements selon les pays. Imaginez un monde dirigé par ce que ces deux régimes qualifient de " forces du mal ". En gros, c’est comme si tout d’un coup, le monde entier était sous la coupe d’un régime qui érige - pour lui et ses dirigeants - en valeurs fondamentales, ce que les régimes actuels estiment être hors la loi. On a vu des dictateurs prendre le pouvoir et vider les caisses d’un pays. En revanche, on n’a jamais vu un dictateur prendre les rennes des Etats-Unis, de l’ancien bloc de l’Est et d’une partie de l’Europe à la fois. D’ailleurs, les hommes qui sont à la tête de cette organisation ne videraient sans doute pas les caisses de ces pays, ils les rempliraient en changeant le type de commerce international que l’on connaît actuellement... Combien de temps cela tiendrait-il la route ? Bon sujet de réflexion, non ?

Je vous laisse là dessus et vous souhaite toute la réussite possible pour votre opération de ce week-end. Je suis beau joueur.

Pierre se carra dans son fauteuil. Ahuri. Comment Bill avait-il appris l’existence de cette opération ? Pourquoi finir sur cette phrase " je suis beau joueur " ? Etait-il membre de cette organisation ? et dans ce cas pourquoi le renseignait-il ? Depuis le début, Pierre pensait que Bill était un haut fonctionnaire américain, proche du président ou un militaire. Cette phrase le laissait perplexe.

Il composa le numéro de Dominique.

- Salut, c’est Pierre.

- Salut. On est prêts. Tu n’es pas obligé de venir avec nous. Ta présence est un risque supplémentaire pour l’opération. Mais je ne peux pas te refuser formellement de nous accompagner.

- Ce n’est pas pour cela que je t’appelle. Je viens de recevoir un E-mail de mon contact. On a touché dans le mille avec ce gars aux Pays-Bas. Il est le lien avec l’une des bases de l’organisation en question, mais il parait qu’il y a bien d’autres bases. En gros, ce que me dit mon contact, c’est que même si l’on arrête tout le monde là-bas, cela ne veut pas dire que l’on aura détruit la tête. Elle recommencera depuis un autre endroit. Par ailleurs, les américains ont marqué un point, ils ont chopé un des membres de l’organisation. Mon contact me recommande un rapprochement avec les autorités américaines une fois que l’on aura attrapé et fait parler notre ami Jim.

- Je vois...

- Et ?..., lança Pierre.

- Et... et bien c’est une idée qui n’est pas complètement mauvaise, mais nos amis américains ne sont pas très coopératifs avec nous. Tu sais, ils racontent partout que nous sommes très méchants, pires que le Mossad. Alors...

- Bon, à part ça, je crois que je vais venir quand même. Même si je n’écris rien dans le canard sur toute cette histoire, j’en ferais peut-être un bouquin sous forme de roman un jour. Qui sait ? Au moins j’aurais vu une action des services de contre-espionnage de près…

- Comme tu veux. Départ ce soir de Villacoublay. Mais on se retrouve à dix-huit heures dans le quinzième arrondissement devant le siège de la DST. OK ?

- Ca marche. A plus tard.

 

APPARTEMENT DE MICHAEL COLLIN, 29 NOVEMBRE

 

Ce qui frappait chez Michael, c’était l’impossibilité de lui donner un âge. Il ressemblait à n’importe quel étudiant américain classique. L’air débraillé en permanence, les cheveux un peu trop long, juste de quoi ressembler de loin à un surfer - la carrure en moins - et l’air dans la lune. S’il avait connu Gaston Lagaffe, peut-être se serait-il reconnu. Quoi que... Il prenait soin de son apparence. Celle-ci était le fruit d’une réflexion et non pas d’un désintérêt pour sa personne ou son look.

C’était d’ailleurs son apparence qui énervait tant Kevin Johnson. Le propret et fringuant responsable de la section des délits financiers s’était plaint - une seule fois- à l’un des proches de John Irving de cette apparence négligée. Il ne comprenait pas que l’on puisse réussir à faire oublier une apparence par des talents réels. Kevin, en américain ultra-libéral pur beurre ne doutait pas un instant des capacités et des talents de Michael. Il les reconnaissait et les appréciait au fond de lui-même. Il comprenait également que Michael devait être payé à sa juste valeur. Il ne savait toutefois pas combien la N.S.A. avait dépensé pour s’attacher les services de ce hacker. Johnson aussi avait ses qualités propres. En plus, il était toujours tiré à quatre épingles et rien n’était trop cher au moment de s’acheter une chemise, un costume ou une cravate. cependant, il n’avait pas compris pourquoi son petit speech auprès de l’un des directeurs de l’agence n’avait pas porté ses fruits. S’il avait connu le chiffre inscrit au bas de la feuille de paye de Michael, il se serait littéralement étranglé et, il aurait compris pourquoi personne dans les hautes sphères de la N.S.A. n’en avait rien à foutre de voir un gamin mal rasé pianoter sur ses claviers. Michael aurait pu venir travailler habillé en père Noël, tout le monde aurait fait comme si de rien était.

Michael avait fait venir chez lui (pour une fois) une jeune fille rencontrée sur Internet (bien entendu). Il avait rencontré Lea sur un canal de l’IRC dédié aux machines sous Unix. Il avait été séduit par sa démonstration lorsqu’il avait posé une colle sur les moyens de prendre possession d’une machine pourtant bien paramétrée. Très calme, pas prétentieuse, elle avait proposé une solution qui tenait la route. Peu à peu, leur relation électronique avait évolué. Ils avaient correspondu par mail, puis, ils avaient passé quelques heures en visioconférence sur le réseau. Michael avait fini par lui proposer de venir partager une pizza avec lui. Elle s’était fait prier quelques temps - histoire de sauver l’honneur - puis avait accepté.

Et Lea, après une bonne pizza avait accepté les avances du jeune Michael. Ils étaient tous deux enlacés sur le canapé défoncé lorsque le téléphone portable de du hacker sonna.

- Michael ?

- Oui ?

- On a un E-mail dans la boite de Juan, venez tout de suite. En plus, les gars de l’Infosec croient avoir détecté une nouvelle intrusion dans les réseaux de la FirstCorp.

- J’arrive.

Il tourna la tête vers Lea et la regarda avec un tel regard de cocker qu’elle ne put lui en vouloir.

Ils promirent de se revoir dès le lendemain.

 

SIEGE DE LA N.S.A. 29 NOVEMBRE

 

Michael arriva sur les lieux une heure plus tard. Il constata avec amusement que les gros malins d’espions - Kevin en tête - séchaient lamentablement devant le message intercepté dans la nouvelle boite aux lettres de Juan Contreras. Il était crypté avec PGP...

- Combien de temps cela va-t-il nous prendre pour casser le code ?, demanda Kevin à Michael.

- Mon pauvre Kevin, vous êtes un gentil garçon, mais il vous reste un certain nombre de choses à apprendre en matière de programmes informatiques. Personne ne peut casser un message codé avec une clef de ce niveau - si c’est ce que je pense comme genre de clef. Personne n’a le temps et la batterie d’ordinateurs nécessaires. Mais on peut voir ce que l’on peut faire... Avec un peu de chance...

Il s’assit à son bureau, envoya la partie cryptée du message à un correspondant connu de lui seul et se mit à examiner le reste du contenu. Le message provenait d’un remailer. Encore... pensa-t-il. Il observa la pièce-jointe. Longuement. Kevin commençait à perdre patience.

- Alors ?

- Alors, je vais passer ce message au poste qui se trouve à côté de vous, l’isoler du réseau et regarder la pièce jointe.

Ce qu’il fit.

Trois minutes plus tard, le poste de travail en question affichait sur son écran le message suivant : Les USA ne sont plus. R.I.P...

Il fallu trois jours de travail pour récupérer la machine. Beau virus, pensa Michael en voyant ses effets sur l’écran.

 

ENVIRONS D’AMSTERDAM, 30 NOVEMBRE

 

Depuis la nuit précédente, Dominique, deux de ses collègues et Pierre étaient retranchés dans une pièce totalement insonorisée. Le seul lien sur l’extérieur était deux grandes glaces sans teint leur permettant de voir ce qui ce passait dans le salon et dans la chambre principale de la maison. Sur une table était posé un petit pistolet à air comprimé, un projectile qui ressemblait de loin à ces piqûres hypodermiques destinées aux animaux, deux bouteilles de Coca-Cola en plastique, un téléphone par satellite et micro-ordinateur portable.

Annie et Jim arrivèrent à 11 heures 27 minutes du matin. Jim entra derrière Annie. Ils passèrent devant la grande glace 1930 accrochée au dessus de la cheminée. Annie se retourna vers Jim.

- Je vais voir comment est la cuisine et s’il faut faire des courses. Mais je crois que le frigo est toujours plein, une femme de ménage le remplit au cas où le propriétaire débarquerait. Tu m’attends ici ?

- Oui, je vais visiter doucement.

Annie disparut derrière une porte. Jim se cala devant la glace. Pendant une seconde, les quatre hommes derrière la vitre retinrent leur souffle. Ils avaient éteint la lumière, au cas où, pour éviter tout risque de transparence. L’appareil photographique numérique de Dominique se déclencha une dizaine de fois. Jim semblait vérifier qu’il était " désirable " pour cette belle française. Il passait et repassait sa main dans ses cheveux.

Pierre se dit que décidément, tous les hommes étaient aussi bêtes les uns que les autres. " Finalement, on n’est pas très éloignés des animaux... ", pensa-t-il. Il chassa cette idée lorsqu’il vu le visage de Jim se figer devant la glace. Comme s’il venait d’apercevoir les quatre hommes cachés derrière. Jim approcha lentement son visage de la glace jusqu’à ce que son nez ne soit plus qu’à quelques centimètres de la vitre. Son regard se fixa. Dominique avait déjà saisi le pistolet à air comprimé.

Jim fit alors un mouvement brusque. Il rapprocha ses doigts de son menton et... perça un petit bouton qu’il venait de déceler sur ce qui devait être l’argument phare de sa séduction : son visage. Une fois ce problème réglé, il tourna les talons et s’éloigna vers la chambre. Annie était toujours scotchée au frigo, et commençait à trouver le temps long. Une fois dans la chambre, Jim tâta le sommier du lit double et un sourire béat vint illuminer son visage.

Les deux pseudo futurs amoureux se retrouvèrent dans le salon et échangèrent leurs " informations ".

- Le frigo est plein, les placards aussi, on a de quoi tenir tout le week-end.

- Le lit est fait, tout est parfait.

Ils entrèrent ensemble dans la chambre et posèrent leurs affaires. Jim se tourna vers Annie et tenta ce qu’il croyait être le premier de ses " coups ".

- Je vais prendre une douche si cela ne te dérange pas. C’est dingue, tu ne l’as pas vue, mais on pourrait tenir à cinq dans cette douche. Et en plus, les jets sont latéraux. Ca doit être génial.

Peut-être le rejoindrait-elle ?

S’il avait su quelle était la suite du programme, il se serait abstenu de prendre cette douche.

- OK, moi, je vais disposer nos affaires. Veux-tu que je vide ton sac aussi ?

- Si tu veux, merci.

- Je m’occuperai des affaires de toilette après ta douche.

- Ne te dérange pas pour moi si tu veux entrer dans la salle de bains, je ne suis pas pudique.

- OK, très bien.

Annie priait pour que les autres débarquent avant que Jim ne lui saute dessus…

Jim entra dans la salle de bains et tira la porte qu’il laissa soigneusement entrouverte...

Dominique, suivi de ses deux collègues attendirent patiemment quelques instants que l’eau coule et que Jim s’exprime pour sortir de leur " planque ".

- C’est génial ces jets latéraux !

- Je vais essayer ça alors...

- Tu peux venir avec moi si tu veux, ça ne me gène pas.

-  Euh... Vraiment ?

- Bien sur !

- OK, j’arrive alors.

Jim vit une silhouette s’approcher au travers de la buée. Une fois la porte de verre dépoli de la douche ouverte il entendit un bruit étrange. Il n’eut même pas le temps de se souvenir de ce à quoi le bruit en question faisait appel dans sa mémoire. C’était pourtant simple : le bruitage des silencieux dans " Les Barbouzes ". Il s’effondra, nu, dans la douche où il avait tant rêvé d’avoir une relation sexuelle passionnée avec Annie.

" Pauvre gars ", pensa Dominique, " il y a vraiment un monde entre les rêves et la réalité ".

Quelques heures plus tard, ils étaient à la frontière. Annie et Pierre dans une voiture, les deux collègues de Dominique dans une autre et Dominique lui-même au volant d’une " Espace " spécialement aménagée. Sous une foultitude de plaquettes publicitaires, un douanier aurait pu trouver en y passant beaucoup de temps, une trappe et dans cette trappe, un Jim toujours sous l’effet du sédatif.

Mais Maastricht était passé par là... Aucune des trois voitures ne fit l’objet d’un contrôle quelconque. Tout ce petit monde se retrouva dans un local de la D.S.T. quelques heures plus tard.

Jim se réveilla, encore nu, ligoté sur une chaise.

Il fallu quelques jours pour faire dire quelques mots à Jim qui continuait de demander à voir un avocat à la voix métallique qui lui parvenait par haut-parleur.

Dominique, caché derrière une glace sans teint et dont la voix était déformée, lui répondait inlassablement : tu seras mort avant.

 

LUNDI 1ER DECEMBRE, NEW YORK

 

" Accès de folie à Wall Street qui ouvre en baisse de 10%. Les investisseurs ont très mal réagi après l’annonce de ce qu’il convient d’appeler le hold-up du siècle. Ils sanctionnent ainsi la National Trusting Bank qui a vu ses caisses se vider littéralement ce week-end après - semble-t-il - une manipulation informatique. Le management de l’établissement tente de rassurer les déposants qui font la queue devant les agences. Le marché grouille de rumeurs. Selon une source proche des autorités de contrôle, il semblerait que la banque sera mise sous tutelle dans les heures qui viennent, si ce n’est dans les minutes. Les taux d’intérêt devraient - en toute logique - subir quelques pressions à la hausse. En effet, la NTB est l’une des banques américaines dont le portefeuille de bons du Trésor est le plus important sur la place. Or elle ne peut plus faire face à la demande de réalisation de la part de ses déposants. Par ailleurs, le marché ne peut absorber une telle offre sans que cela provoque des mouvements plutôt brusques."

Neil Mulder appuya sur le bouton " off " de la télécommande. Le commentaire financier du journal de 7 heures de CNN était éloquent.

- Fait chier. Putain, qu’est-ce qu’ils font ces cons de la N.S.A. ? Ca ne peut pas durer comme ça, on va rapidement voir les gens descendre dans la rue et tout casser... pensa-t-il.

Il en voulait profondément à ces " imbéciles " des services de renseignement de ne pas l’avoir cru quand il avait évoqué le risque d’une attaque meurtrière. Il voyait maintenant les fondements de l’économie américaine touchés en plein cœur.

- Mais comment ont-ils pu laisser circuler un train bourré de gaz pour l’armée en ce moment... Il faut vraiment être con ! Il ne s’en remettait décidément pas.

Une heure plus tard, il était à son bureau et ouvrait sa boite aux lettres électronique. Un message lui avait été redirigé par le serveur de mail du bureau de New York. Au moins un truc qui semble marcher dans ce monde de dingues, se dit-il en lisant le message :

Bonjour, je suis journaliste à Paris. Ce message est dirigé à la personne qui chez vous suit le dossier en cours de guerre électronique dont les USA sont victimes. Sans plus de détails, je tiens à vous signaler que je dispose de l’une des cartes du jeu. vous avez la carte " colombienne ", j’ai la carte " européenne ". Prenez contact avec moi pour plus de détails.

Suivait le numéro de téléphone de Pierre à son bureau.

Neil se dit que pour une fois, un jeune gars avait fait son boulot comme il fallait. Ce message lui était bien destiné, mais il avait fallu un coup de pot incroyable pour qu’il lui parvienne...

Il resta planté devant son écran au moins dix bonnes minutes. S’agissait-il d’un canular ? A priori, la réponse était " non ". comment un journaliste parisien pouvait-il être au courant de l’opération en Colombie ? Un coup de bluff peut-être pour tenter de lui en faire dire un peu plus sur ces histoires de guerre électronique ? Non, sans doute pas, sinon il ne prendrait pas la peine de lui dire qu’il détenait une " carte européenne ". Laquelle d’ailleurs ? Ce gratte-papier aurait-il trouvé la base européenne des méchants ? C’était trop beau pour être vrai. Il décrocha son téléphone.

- C’est reparti...! se dit-il lorsqu’il entendit sonner dans le combiné. Dans quelques secondes, il allait savoir de quoi il s’agissait.

- Allo ? lui lança une voix pâteuse.

Pierre attendait le coup de fil d’un agent du F.B.I. depuis des heures. Il n’y avait plus personne depuis longtemps au journal.

- Bonjour, je suis Neil Mulder, du F.B.I. de New York. Vous m’avez envoyé un mail.

- Mulder... C’est une blague ?

- Non monsieur, mais j’espère que vous avez quelque chose d’intéressant à me dire parce que j’ai du travail. Je ne suis pas un adepte des blagues.

- Pardon, je suis un peu endormi, il est tard ici vous savez. Pour poursuivre cette conversation, j’ai besoin de votre matricule, de votre nom et d’une description physique. Il faut que je vérifie que vous êtes bien celui que vous dites être.

- C’est bon.

Neil lui donna les renseignements et un numéro de téléphone pour le joindre.

Un quart d’heure plus tard, Pierre rappelait. Dominique avait également été tiré de son sommeil...

- M. Mulder ?

- Oui.

- Je vous envoie une clef publique afin que vous puissiez lire le message que je vais vous envoyer. Il est très descriptif de la situation. Vous avez le colombien, j’ai un européen qui a travaillé dans la base d’attaque qui vous intéresse. Nous pouvons échanger des informations et tenter de les frapper à la tête plutôt qu’au bras. Vous me comprenez ?

- Oui, très bien.

- J’attends votre message.

- Il part tout de suite.

Neil et Pierre se parlèrent encore plusieurs fois par téléphone, échangèrent plusieurs mails, eurent des conversations à trois avec Dominique. Tout avançait plutôt bien et les deux français se félicitaient de tomber sur un américain aussi peu borné et qui était sur la même longueur d’ondes. Leurs analyses de la situation étaient similaires. Fait rare dans ces domaines... En attendant, Pierre pensait à Jean. Il allait avoir du travail demain. Pierre prit un pari : " ça va plonger de 15 à 17 % à Paris ".


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