LA DEUXIEME CARTE

 

PARIS, 2 DECEMBRE TOT LE MATIN

 

Pierre était assis bien au chaud dans un recoin du Café de la Paix, place de l’Opéra. En attendant André, il laissait courir son regard au travers des vitres embuées. Il se demandait une fois encore ce qu’il faisait au milieu de cette affaire. L’épisode d’Amsterdam l’avait un peu secoué. Il était né pour le journalisme, visiblement pas pour la vie de baroudeur des services spéciaux.

Perdu dans ses pensées, il imaginait tous les coups tordus monté pendant la guerre froide par tous les services secrets. Pierre n’avait jamais pu se convaincre totalement que les agents secrets se tiraient dessus ou tuaient des gens de sang-froid.

Des images lui revenaient en pensée : les tontons flingueurs, les barbouzes, autant de films qui l’avaient fait rire aux éclats. En même temps, il pensait à tous les agents qui avaient tiré sur des " confrères " ou sur n’importe qui partout dans le monde, en Afrique, Amérique du Sud, Europe de L’Est... Il y a avait eu tellement de terrains d’affrontement.

- Ce n’est finalement pas beaucoup mieux aujourd’hui, se dit-il. soudain, il se remémora l’Irangate, la lutte contre le terrorisme islamique, l’affaire Inslaw qu’il avait découverte dans un livre récent. Tout cela était assez proche dans le temps. On n’a pas besoin de remonter à la guerre froide...

André fit son entrée. Son large sourire avait toujours pour effet de rassurer Pierre sur la nature profonde de l’homme. Le journaliste pensait souvent : l’homme est mauvais par nature. Ou bon, c’est selon. Le sourire d’André avait le don de faire pencher Pierre pour la seconde solution.

- Bonjour Pierre !

- Salut André, comment va ce matin ? Tu as vu les nouvelles ?

- Oui, ça dégénère de plus en plus. Ce qui m’inquiète dans cette histoire, c’est que les services américains ont l’air de patauger. Je ne comprends pas comment la N.S.A. fait pour ne pas trouver les parades nécessaires. Tu sais comme moi que l’agence est ce que l’on fait de plus puissant au monde en termes d’informatique, de coups tordus et... bref, si même eux n’y arrivent pas, on va vers un vrai désastre économique.

- Ecoute, je t’ai dit que mon informateur m’a prévenu que ce serait pire que 29...

- Tiens, justement, je pensais à ton informateur l’autre jour. Dis donc, c’est qui ce gars au centre de tout, qui arrive à savoir ce qui se passe à la D.S.T., aux US et chez les méchants ?

- Je ne sais pas. J’ai penché pour un général proche du président américain, puis pour l’un des méchants, ou les deux à la fois. Ou même le président américain. Je ne sais pas. Vraiment.

- Mmmmh

- Qu’en penses-tu ?

- Ben... je ne sais pas non plus, mais je dois t’avouer que j’ai cru un instant que c’était toi.

- Quoi ? Tu es dingue ? Hou-hou ... Je te rappelle que je ne suis qu’un petit gratte-papier parisien. Cette affaire se passe aux Etats-Unis et même à l’échelle planétaire. Comment as-tu pu imaginer un truc pareil ?

- Et bien je t’ai juste trouvé un peu trop au courant. Fais attention à toi quand même. Si ce n’est pas toi, imagine que les méchants apprennent que tu disposes d’un informateur de cette qualité, ils risquent de prendre peur et de venir te rendre visite.

- Ne t’inquiète pas pour moi. J’ai une bonne assurance-vie, lança Pierre avec un air entendu. Ce qui mit fin à cette partie de la conversation.

Les deux hommes échangèrent leurs informations. Le journaliste expliqua à André les implications de la faillite virtuelle de la National Trusting Bank tandis que l’informaticien de génie évoquait ses dernières analyses sur la mise à sac de la banque.

- J’oubliais, j’ai été mis en contact avec le gars du F.B.I. qui s’occupe de l’affaire. On va le rencontrer grâce à notre carte européenne. Tu peux remercier ta copine. Elle a été parfaite et son rôle aura été essentiel. Enfin j’espère.

- Je le lui dirai. Fais attention à toi Pierre.

 

SIEGE DE LA N.S.A., 2 DECEMBRE

 

Michael Collin jubilait. Ce soir, il venait de recevoir un e-mail très intéressant. Celui que Juan avait reçu dans sa boite aux lettres, mais décodé. Les Cray d’une université réquisitionnés pour l’occasion avaient tourné à plein régime et avaient réussi à décrypter le message.

Toutefois, Michael savourait particulièrement ce moment puisqu’il avait contribué à mettre en place le système qui permettait aux Cray de gagner un mois sur le temps théorique nécessaire.

Le message était le suivant :

Subject: done
Date: Fri, 29 Nov 1999 12:04 +0100
From: Jim jim@remail1.com
To: j_contreras@aol.com

Tout avance pour le mieux. Conservez. Bientôt, les taux vont monter. Pas d’investissement supplémentaire dans les semaines à venir. Pas de conférence non plus.

Amicalement,

Jim

- Les taux vont monter ? Putain ! Si on avait pu aller plus vite, on aurait peut-être pu... Mais Michael savait qu’il aurait été impossible de trouver " la " banque qui ferait l’objet d’une attaque.

Il composa le numéro de Kevin Johnson et se réjouit à l’avance de le faire enrager. Il aurait sans doute la même réaction que lui. Le message fut envoyé aux différents responsables travaillant sur l’affaire.

Depuis les mésaventures de l’inventeur de PGP avec la justice de son pays pour avoir diffusé sur le réseau Internet son programme capable de chiffrer un document de façon à ce que personne, pas même la N.S.A. puisse le décoder, de l’eau avait coulé sous les ponts. De fait, PGP, Inc., rachetée par Network Associates, se portait assez bien et vendait des applications capables de rendre plus sûrs les échanges informatiques au sein d’une entreprise. Quoi de plus naturel ? Ce qui était intéressant, c’était la " bonne entente " qui s’était instauré entre les autorités et PGP, Inc. Michael n’aurait jamais avoué, même sous la torture, disposer de la solution pour décoder un fichier " pégépéisé ". En tout cas, il n’aurait pu dire de qui il tenait la solution. Lui-même ne le savait pas. Enfin, il ne la tenait pas directement de la véritable source. Il avait simplement reçu l’information d’un membre de la N.S.A. qui disait la tenir d’un autre qui...

 

ASIE DU SUD-EST, 31 NOVEMBRE

 

BigDildoo était en train de se déconnecter du serveur lorsque son " bras droit " fit irruption dans la chambre d’hôtel.

Depuis des années, BigDildoo utilisait un Buletin Board System pour prendre connaissance de ses missions. Les BBS s’étaient en effet largement développés aux Etats-Unis avant que le mot Internet ne s’affiche à la une de tous les magazines.

En fait, il s’agit généralement de petites communautés électroniques de personnes qui se retrouvent autour d’un thème fédérateur. Souvent, ce sont des passionnés d’informatique et d’ordinateurs communiquant... Ces systèmes de communications entre ordinateurs sont " propriétaires " par opposition au réseau Internet, dit " ouvert ". Concrètement, il est impossible d’utiliser un autre programme informatique pour se connecter à ce serveur que celui qui est fabriqué par le producteur du serveur. Ainsi, l’éditeur de logiciel en question sait qu’il va conserver sa clientèle pendant des années, au fil de ses nouvelles versions " améliorées ". Sauf, bien entendu, si un nouveau réseau emplit tout l’espace, comme Internet surnommé à juste titre le réseau des réseaux...

Bref, BigDildoo venait de prendre connaissance des dernières données sur Li Wang Too. L’organisation souhaitait, aux vues de ses trouvailles, que l’actionnaire soit effacé. Depuis cinq jours, BigDildoo et son bras droit avaient recueilli un certain nombre d’informations sur celui qu’ils n’appelaient plus que " M. Li ". Celui-ci avait passé un certain nombre de coups de fils depuis un téléphone portable après la réunion virtuelle de l’organisation. Un gros ordinateur couplé à un réseau informatique et quelques logiciels avaient fait le reste. Les deux hommes de l’équipe D avaient ainsi découvert que M. Li disposait d’un coffre dans une banque de la ville. Il y avait entreposé son assurance-vie. Un beau gros dossier contenant de quoi sérieusement inquiéter ses " associés ". Au cours d’une communication traduite simultanément par l’ordinateur des deux hommes, il avait évoqué avec son interlocuteur la possibilité de faire publier ce dossier dans le Financial Times.

Le correspondant de ce journal sur place était un ami d’un ami. M. Li était en effet inquiet pour sa vie et il avait communiqué à un proche le numéro de ce coffre, l’endroit où il trouverait un double de la clef et une procuration pour ramasser le dossier s’il lui arrivait malheur.

Les deux hommes avaient tranquillement fabriqué un faux passeport au nom de ce proche, une fausse procuration, un double de la clef qu’ils avaient effectivement trouvé là où M. Li l’avait déposée et s’étaient rendus à la banque. Ce dossier n’existait plus...

 

AMSTERDAM, LE 2 DECEMBRE 1999

 

- Bonjour Jack

- Bonjour Hendrick

Les deux hommes avaient une mine aussi triste que le restaurant dans lequel ils se retrouvaient.

- Jack, il est probable que nous ayons perdu notre technicien en chef. Il est parti en week-end et n’est pas réapparu depuis. J’ai le numéro de son portable mais je ne veux pas entrer en contact avant d’avoir votre accord au cas où il aurait été arrêté.

- Vous avez bien fait d’attendre un peu. Mais vous êtes son patron et ça, quoi qu’il lui soit arrivé, les personnes qui se trouvent à ses côtés le savent. Faites appeler par le responsable du personnel. Il faut enregistrer la conversation. Nous aviserons ensuite selon ce qu’il nous raconte. Prenez la peine de faire téléphoner chez lui avant de le joindre sur son portable.

- Je sais qu’il boit pas mal et qu’il est très porté sur le sexe. Peut-être a-t-il fait une petite escapade, mais on ne peut rien exclure.

- Avez-vous eu le temps de monter une structure de secours ?

- Oui, elle peut démarrer dès que vous nous le demanderez. Les ordinateurs et les programmes sont en place. Il suffit d’y envoyer du monde. Voulez-vous savoir où elle se trouve ?

- Pas ici, envoyez-moi cela par courrier électronique et bien entendu, pensez à crypter...

- Evidemment.

 

PARIS, LE 3 DECEMBRE 1999

 

Neil Mulder descendit de l’avion. Il se sentait ravagé par le décalage horaire. Cela faisait un certain temps qu’il n’avait pas traversé l’Atlantique. Manque d’habitude..

Deux hommes semblaient lui emboîter le pas, l’un très jeune avait tout de l’étudiant attardé. L’autre de l’armoire à glace ayant fait le Vietnam et le Golfe...

A la sortie de l’aéroport, une voiture les attendaient. La plaque diplomatique - pour qui aurait su la déchiffrer - appartenait à l’ambassadeur des Etats-Unis. Une femme charmante. Très " bourgeoisie de Washington "... Elle dissimulait sous des airs de madame-cocktail une très vive intelligence.

Les trois hommes descendirent au sous-sol de l’ambassade pour rejoindre un pièce très particulière. L’annexe de la N.S.A. et de la C.I.A. à Paris. Elle permettait d’écouter aussi bien ce qui se passe à l’Elysée qu’au ministère de l’Intérieur. Mais, comme dans Mission Impossible, " le Département d’Etat nierait avoir eu connaissance de leurs agissements ". De fait, la C.I.A. et la N.S.A. s’étaient alliées pour mettre en place les systèmes d’écoute de cette ambassade si bien située. C’était trop beau.

Le correspondant de la C.I.A. à Paris posa un dossier sur la table. Les trois hommes envoyés de Washington prirent connaissance de la vie de Dominique Leroux, agent de la DST et de Pierre Martinie, journaliste à La Finance.

Ceci fait, Neil décrocha un téléphone protégé.

- C’est moi, Neil, je suis à Paris. Rencontrons-nous.

- Bien, j’arrange ça, laissez moi un numéro de téléphone où je peux vous joindre à tout moment.

Deux heures plus tard, Neil et ses deux hommes entraient dans l’annexe du ministère de l’Intérieur situé dans le quinzième arrondissement et qui abrite le siège de la DST.

Après avoir lu le compte rendu de la déposition de Jim, l’agent du F.B.I. se tourna vers Daniel et Pierre.

- Mmmmh. Ce texte a été édulcoré. Qu’attendez-vous de nous ?

Pierre prit la parole.

- Ecoutez, nous savons qu’après les Etats-Unis, cette organisation s’attaquera aux autres pays du G-7. Leur but est de nous ruiner puis, en quelque sorte, de prendre le pouvoir. Economique tout au moins. Nous souhaitons collaborer avec vous afin de nous protéger tous. Vous avez un membre de l’organisation. Nous avons un acteur, un technicien. Confrontons nos informations et travaillons la main dans la main pour frapper la tête. Sans quoi, nous ne ferons que couper l’une des têtes de l’hydre. Et tout continuera. De plus, nous avons très peu de temps. Monter une opération classique d’infiltration est matériellement impossible.

- Comment savez-vous que cette organisation souhaite s’attaquer à d’autres pays ? C’est la personne que vous avez interpellée qui vous l’a dit ?

- Il l’a confirmé. Nous le savions par ailleurs, répliqua Dominique qui ne souhaitait pas que Pierre ait à parler de sa source.

- Ecoutez, nous avons subi des attaques très violentes, comme celle du train dans le Minnesota. Vous subissez des contrecoups lorsque les marchés plongent ou lorsque les taux remontent chez nous. Je suis autorisé à vous confirmer que le but de cette organisation est bien celui que vous décrivez. Alors effectivement, nous pouvons croiser des informations. Si vous le permettez, je souhaiterai rencontrer votre homme. Quel nom lui avez-vous donné ?

- Jim, répondit Dominique.

A cet instant, le téléphone sonna.

- Ca y est, ils ont pris contact, lança la voix à l’autre bout du fil.

- Tout à fonctionné comme prévu ? interrogea Dominique ?

- Parfaitement, ils ont appelé chez lui, la gardienne qui était censée faire le ménage, a répondu. Elle a dit qu’il était parti samedi soir complètement rond avec un grande blonde. Ils ont ensuite téléphoné sur le portable. Il a répondu qu’il était à Vienne. Une escapade amoureuse avec une bombe sexuelle. Il a annoncé son retour pour dans trois jours.

- Parfait.

 

AMSTERDAM, 3 DECEMBRE, DANS UN RESTAURANT

 

- Nous l’avons retrouvé. Il est à Vienne. Cela a été confirmé par nos programmes de localisation d’appel. Il est avec une femme. Il sera de retour le 6 décembre. Cela semble se tenir.

- Bien, mais tenez-le à l’œil. Nous avons la certitude qu’une taupe a été introduite dans l’organisation par les services israéliens. Il semblerait que ce soit un homme à deux visages... Parfaitement intégré dans une vie complètement artificielle. Construite de bout en bout. Ce que les Russes appelaient un dormant à la grande époque de la guerre froide. Ils étaient passés maîtres dans la mise en place d’agents qui se forgeaient une vie sur le dos d’un mort. Ils n’avaient aucune activité jusqu’au jour où on leur demandait de se réveiller. Bref, il semblerait que l’un de nos membres, très bien placé passe des informations aux autres. Peut-être est-ce lui...

- Je ne le pense pas pour bien le connaître. Mais je connais la réputation des Israéliens. Nous le tiendrons à l’œil, effectivement, dès son retour.

 

WASHINGTON, LE 3 DECEMBRE, BUREAU OVALE

 

Le président se tourna vers John Sterling, le patron de l’Infosec.

- Alors John, quelles nouvelles ? Avez-vous identifié les auteurs de ces intrusions dans les bases de FirstCorp ?

- C’est assez complexe M. le Président. Il semble qu’ils utilisent des back doors, des trous mis en place intentionnellement dans des logiciels pour l’administration à distance ou le déblocage lorsqu’ils se bloquent complètement. Les auteurs sont très bien armées techniquement et dissimulent leur approche. Mais nous avons décodé leur façon d’agir. Ce qui fait que nous pouvons désormais éviter les modifications dans les bases. Il ne devrait plus y avoir de problèmes dans ce domaine.

- C’est déjà cela. Ce que je n’arrive pas à comprendre c’est pourquoi il est si simple d’arrêter un jeune gamin qui arrive pourtant à modifier les serveurs de la NASA ou du ministère de la Justice tandis qu’il semble si compliqué de piéger et de savoir qui sont les méchants cette fois-ci. J’avais cru lire dans un rapport " President’s eyes only " que nous avions encouragé le développement d’Internet au sein du grand public afin d’avoir un accès distant aux ordinateurs des autres pays. C’était un souhait de la N.S.A. n’est-ce pas M. Irving ? Alors, là, merde ! Ce fut une idée géniale. Bravo !

- Ce n’est pas si simple M. le président. Le phénomène nous a dépassé. Ce n’était pas forcément un développement au sein du grand public que nous souhaitions, répliqua le responsable de l’agence fédérale la plus puissante du pays.

Le Président chercha un soutien auprès de son DCI.

- Samuel, donnez-moi de bonnes nouvelles ou je craque !

- Monsieur, l’agent Mulder est à Paris. Les Français, comme vous le savez, ont une des cartes en main. Si nos renseignements sont bons, les mangeurs de fromage ont réussi un coup assez audacieux. Cela ne leur ressemble pas. Ils n’auraient pas tenté l’exfiltration d’un étranger depuis un pays ami sans avoir des certitudes. Ce qui nous fait dire, et Mulder nous l’a confirmé, qu’ils ont une très bonne source d’information dans cette affaire. Selon les informations transmises par notre antenne à Paris, il semble que le président Chirac ait été informé de la présence d’une taupe dans l’organisation qui nous menace. Elle parlerait à un journaliste. Et justement, la présence d’un journaliste aux côtés d’un membre de la D.S.T. lors de la rencontre avec Mulder nous a initialement étonnée. Mais nous avons pu recouper les informations et en déduire qu’il était le lien informatif entre cette taupe et les services français. C’est donc sans doute sur la base des informations de ce journaliste que le coup à Amsterdam a été tenté. Cela veut dire, dans ce cas, que les services français attribuent une valeur très forte à cette source. Nous essayons de l’identifier. C’est peut-être le journaliste lui-même ou l’un de ses proches. Ou encore, quelqu’un de très éloigné, quelqu’un autour de cette table ? Cela sera dur. Pour finir le tour d’horizon, M. le Président, je dirai que nous avons pu soutirer quelques nouvelles informations du Colombien. Il se peut que nous engagions une vaste opération d’effacement des membres de l’organisation qu’il nous a cités si nous ne trouvons pas mieux. Mais ce sera l’ultime recours.

- Bien, continuons si vous le voulez bien, lança le Président dépité par ce qu’il entendait. Il pensait à tous ces milliards de dollars dépensés pour créer ce qui avait été un état dans l’Etat, la N.S.A. ou la C.I.A., autant de superbes machines impuissantes. Tant pis, se contenta-t-il de penser...

 

ASIE DU SUD EST, 4 DECEMBRE

 

M. Li était rasé de près. Un peu trop même. Lorsqu’il entra dans sa voiture, il avait toujours sur le menton un petit morceau de mouchoir en papier collé par une perle de sang coagulé. Il se promit de ne pas oublier de l’enlever avant d’arriver à son bureau. La semaine précédente, sa secrétaire lui avait fait un petit signe avant qu’il entre en réunion. Cela l’avait profondément vexé. Il était très à cheval sur ce qu’il appelait " le chic". Il expliquait volontiers à qui voulait - ou pas - l’entendre que seuls les français savaient ce que ce mot voulait dire. L’idée, pourtant répandue en Asie, selon laquelle les Anglais sont les détenteurs du bon goût, notamment en matière d’habillement, lui semblait être une véritable incongruité. Selon M. Li qui avait souvent fait des déplacements à Paris, la France était le pays de la mode, du bon vin et de la cuisine la plus raffinée du monde. Il cultivait sa science en matière de haute couture, de cuisine, de spiritueux ou encore d’histoire de France. D’ailleurs, il en savait sûrement plus que n’importe quel Français moyen dans ces domaines... Li était donc un parfait connaisseur du bon goût français. A deux détails près. La petite boule posée sur son bureau. Elle contenait une tour Eiffel et lorsque l’on retournait l’objet, une neige blanche se diffusait dans de l’eau bleutée. L’autre détail était une boite à meuuh, comme il l’appelait. De la même façon, il suffisait de retourner cette boite pour entendre au moment de la reposer sur le bureau, le son des vaches des montagnes françaises. Une très bonne façon de retourner en France tous les jours disait-il.

La voiture de Li empruntait chaque matin un chemin différent afin de dérouter les éventuels tueurs d’une organisation hostile. Il y tenait beaucoup et sa femme se demandait souvent si cela faisait partie du personnage de mafieux important que son mari s’était forgé ou si cela correspondait à un risque réel.

Ce matin là, le chauffeur aurait regretté, s’il en avait eu l’occasion, d’avoir emprunté cette rue bordée de deux immeubles en construction. Au moment du passage de la voiture entre les deux chantiers, une pluie de poutrelles métalliques s’abattit sur le véhicule. En quelques secondes, M. Li avait eu la tête tranchée. Il n’avait pas encore eu le temps d’enlever le petit morceau de papier sur son menton. Maintenant, Il lui aurait fallu des centaines de mouchoirs en papier pour éponger le sang qui jaillissait de son corps.

 

INTERNET, LE 4 DECEMBRE, 08 : 00 PM

 

Le site QuoteFinance s’était fait apprécier de l’ensemble de la communauté financière en ligne sur Internet. Depuis trois ans, il distribuait de l’information financière et des cours de bourse d’une grande valeur, de l’avis même des journalistes spécialisés qui en avaient fait, pour certains d’entre eux, un lieu de passage obligé de leurs journées de travail. On y trouvait régulièrement des petits scoops, des bruits de couloirs de la Bourse américaine ou des marchés européens et dans l’ensemble, de bonnes analyses sur l’évolution des cours et des places financières en général.

Ce 5 décembre, la page d’accueil était totalement remodelée. Tout tournait autour d’une information phare. Un véritable dossier d’une vingtaine de pages était dédié à une véritable " affaire " comme on en voit rarement dans une vie de journaliste. QuoteFinance avait levé un lièvre : un grand fonds d’investissement américain était, semblait-il, sur le point de s’écrouler, victime d’une escroquerie monstrueusement bien montée. Selon le site, une société de bourse étrangère avait régulièrement encaissé les montants investis tout en faisant croire au fonds que les titres étaient achetés sur un marché émergeant. Ce qui était le cas. Sauf que la société de bourse avait stocké les titres dans une banque offshore qui elle-même les faisait disparaître dans un pays européen fiscalement accueillant. Détail ayant son importance dans le contexte, la banque de ce pays européen qui recevait les titres était depuis quelques mois dans le collimateur d’un député américain particulièrement teigneux qui lui reprochait ses amitiés avec le régime nazi durant la dernière guerre mondiale.

 

WALL STREET, LE 5 DECEMBRE, OUVERTURE DU MARCHE

 

Les analystes étaient pendus au téléphone avec les services de communication du fonds américain. Les journalistes tentaient de creuser l’information de QuoteFinance qui avait été relayée par les agences de presse. Celles-ci avaient usé du conditionnel et mis en garde leurs clients en soulignant que cette information n’avait pas pu être confirmée auprès du fonds ou de la société de bourse citée.

En fait, les dépêches d’agences qui reprenaient cette information étaient particulièrement intéressantes. En effet un ou deux ans auparavant, aucune agence n’aurait fait état d’un scoop trouvé sur Internet. A cette époque, elles n’auraient donc même pas existé. Mais depuis, le réseau était entré dans les mœurs. Il s’était forgé une certaine respectabilité en ce sens que personne ne pouvait plus faire l’impasse sur son actualité. Tous les media le citaient, publiaient des numéros spéciaux pour expliquer ce qu’était ce réseau informatique qui devait être le cœur d’une nouvelle économie.

Bref, en quelques mois, un serveur sur Internet s’étant fait connaître et apprécier des professionnels du secteur pouvait prétendre diffuser de façon mondiale et immédiate une information que personne n’avait vérifiée.

Or une information de ce type ne pouvait rester sans effet.

La valeur des titres liés à ce fonds d’investissement avaient perdu 2% en moyenne en ouverture. Les investisseurs vendaient en attendant que l’information soit confirmée ou infirmée. Cet effet de baisse était à la fois dû à l’information diffusée sur le serveur et à la notoriété du fonds. De fait, une même information concernant une petite entreprise locale n’aurait pas eu les mêmes conséquences.

Il fallu attendre cinq heures pour que le marché penche pour la deuxième solution. Il s’agissait d’une réaction de marché. Car personne ne savait encore si oui ou non le fonds américain s’était fait escroquer. Le doute était permis. Mais, dans le doute, les marchés préfèrent généralement - au bout d’un certain temps - voter pour la solution optimiste qui permet de faire remonter les cours. C’est là que les bonnes affaires se font...

Dans la soirée, le fonds annonça au travers d’un communiqué de presse qu’il comptait porter cette affaire devant la justice et attaquer le responsable du site pour diffamation.

Ce à quoi le site répondit par de nouvelles révélations.

On se retrouvait dans la situation classique où un journal avance envers et contre tous une information qu’il considère juste. La fin de l’aventure se situe souvent dans une salle de tribunal. Ce qui n’empêche pas un quotidien de continuer à " sortir " des informations au compte goutte, histoire de décourager sa proie de saisir la justice.

 

WASHINGTON, BUREAU OVALE, LE 5 DECEMBRE DANS LA SOIREE

 

- Monsieur le Président, le président de la Securities and Exchange Commission au téléphone.

- Je le prends sur la ligne protégée.

Ce qui voulait dire que la conversation ne pourrait pas être écoutée, mais également, qu’elle serait enregistrée par les services concernés du Secret Service.

- Bonjour Alan, que me vaut le plaisir ?

- Bill, ceci est un appel officiel du président de la S.E.C.. Pas un appel pour prendre des nouvelles de Socks. Il faut faire quelque chose. Les perturbations que nous connaissons sont mauvaises pour tout le monde et l’on me presse de réagir. Où en êtes-vous ? La dernière petite panique en date est la goutte qui fait déborder le vase. Je crains le pire pour la suite. Je dois vous avouer que je n’exclue pas une catastrophe sur les marchés à l’échelle mondiale.

- Ecoutez, je comprends votre problème. Nous avançons et nous devrions aboutir rapidement. Comme je l’ai évoqué devant les caméras de télévision, nous avons des pistes sérieuses et nous travaillons actuellement avec d’autres gouvernements pour démasquer les auteurs de ces crimes.

- Bill, vous vous foutez de moi ou quoi ? Votre intervention date du 23 novembre. Cela fait quatorze jours. Depuis, rien ! Vous devriez annoncer quelque chose avant que des tonnes d’emmerdes vous tombent sur la tête. N’oubliez pas l’influence qu’ont les investisseurs dans ce pays.

- Je ne l’oublie pas et j’ai prévu de faire une nouvelle intervention télévisée dans les jours à venir. Pas de panique Alan.

- Bien, je vous écouterai avec intérêt.

Bill Clinton venait d’apprendre par sa propre bouche qu’il allait faire une nouvelle intervention télévisée. Il s’étonna lui-même de sa décision et se demanda ce qu’il allait bien pourvoir annoncer. Certainement pas que les troupes d’élites avaient fait une incursion en Colombie pour ramener un membre du Cartel de Cali et de cette foutue organisation criminelle qui transformait les indices boursiers en Yo-Yo.

 

PARIS, SIEGE DE LA D.S.T., LE 6 DECEMBRE TRES TOT LE MATIN

 

- Récapitulons, lança Neil qui continuait de douter des chances de réussite de l’opération qui avait été prévue.

En quelques heures, il avait donné son accord - un peu forcé - à la libération de Jim. Il avait promis le soutien des Etats-Unis dans la manipulation qui allait être lancée. Il avait fourni le matériel nécessaire. Il avait bafoué un bon nombre de règles communes à la C.I.A., la N.S.A., le F.B.I. et la plupart des agences fédérales du monde du renseignement. Bref, il allait falloir qu’il annonce à ses supérieur qu’un coup de poker allait être tenté avec son aval. Si cela tournait mal, il était sur de se retrouver planton dans une ville paumée du Middlewest. Pire que les sorties des écoles auxquelles Dominique avait pensé.

Dominique reprit ses notes.

- Bien, Jim est sans doute en train de se présenter à la Velde B.V. pour reprendre son boulot. Nous avons pu confirmer qu’ils n’ont pas forcément besoin de lui pour lancer des opérations. Il va sans doute devoir passer un certain temps avec le patron pour expliquer son escapade. Deux solutions, soit il joue notre jeu et raconte son histoire pipeau, soit il nous fout dans la merde et on le perd. Dans tous les sens du terme. Je ne pense pas qu’ils laissent en vie des gens qui ont parlé avec nos services. Bien. S’il passe son examen de rentrée des classes et qu’il marche avec nous, il reprend ses activités mais nous prévient lorsqu’ils décident d’une nouvelle opération. Ce qui nous permet de réagir et de continuer de travailler pour remonter les filières et les noms. Pour le reste, il lance l’opération de manipulation.

La fille qu’il a rencontrée est la meilleure amie d’un industriel extrêmement riche, magnat de la presse, plein d’influence et connu pour ses rêves de mise à bas de ce qu’il appelle " le système ". Il convoite le pouvoir et l’argent. Le pigeon idéal pour rentrer au conseil de l’organisation. Il ne pousse pas le patron de la Velde. Il se contente de lui donner l’information et attend une réaction. Point.

Par ailleurs, il dispose des moyens techniques pour nous faire passer toutes sortes d’informations, il peut écouter, enregistrer et retransmettre grâce à nos amis de la N.S.A. tout ce qui se passe à la Velde, et ce, sans prendre trop de risques. Et il détient un superbe virus, mis au point spécialement par les mêmes amis, qu’il peut lancer à tout moment dans les systèmes de la Velde. Ce qui ne nous intéresse pour l’instant que très moyennement. Il lui faut découvrir où se trouve la seconde base qu’il devait mettre en place. Voilà, je crois que nous avons fait le tour.

- Bon. Vu l’état de panique dans lequel sa rencontre avec vos services l’a mis, je pense qu’il passera très bien son examen de rentrée au bercail. Il va produire une information de très bonne qualité. Toutefois, je suis un peu inquiet. Si l’on s’en tient à ce qu’il nous a raconté, il n’en sait pas beaucoup plus que notre carte Juan Contreras. Ce qui me fait dire que cette organisation est très cloisonnée. On a peu de chances de lui faire cracher toutes les données dont on a besoin pour faire tomber la tête. A moins que notre manipulation produise des effets insoupçonnés, comme de faire sortir de sa tanière la tête en question. Qui sait ?

- On verra bien. Pour le moment, je propose que l’on rentre tous prendre un peu de repos, avança Pierre qui sentait le poids de la fatigue s’accumuler sur ses paupières et dans ses jambes.

 

UNE DU WALL STREET JOURNAL, LE 6 DECEMBRE AU MATIN

 

Le titre de Une était particulièrement cassant. N’importe quel lecteur pouvait sentir derrière l’article et son titre l’exaspération des milieux d’affaires américains. Ce qui est toujours mauvais signe pour l’équipe gouvernementale en place. Sauf si elle parvient à contre-attaquer efficacement.

"  Mais que fait la police ? "

Le silence des autorités sur les causes de la faillite de la National Trusting Bank et les nombreuses manipulations de cours qui ont eu lieu le mois dernier laissent rêveur. La S.E.C. elle-même semble être impuissante. Hier, l’information sur la faillite prochaine d’un fonds d’investissement a provoqué le dernier mouvement erratique du marché en date. Personne n’est semble-t-il à même de réagir contre ce qui semble être une énorme opération de manipulation et de propagation de rumeurs.

Les marchés ont su reprendre leur souffle après chaque crise. Reste que s’ils démontrent une volonté propre de sortir de cette crise, aucune aide ne semble leur être apportée par ceux qui sont censés être les garants de notre système économique et politique.

Les déclarations enthousiastes du Président Bill Clinton le 23 novembre dernier ne semblent pas avoir été suivies d’effets. Tout au moins, aucune information n’a filtré auprès des milieux financiers. Les nombreuses personnes interrogées par la rédaction ces derniers jours estiment manquer d’informations pour pouvoir dire si oui ou non les autorités sont sur la piste des auteurs d’attaques informatiques subies par le pays depuis le début du mois dernier.

Il semble donc possible que les investisseurs internationaux se retirent en masse et à brève échéance de nos marchés. Il ne fait bien sûr aucun doute que - dans les conditions actuelles - un tel retrait pourrait avoir un impact psychologique très important sur les cours et plus généralement, sur l’économie de notre pays. (...) "

 

PARIS, LE 7 DECEMBRE, SIEGE DE LA D.S.T.

 

Dominique avait été tiré un peu trop tôt, à son goût, de son sommeil. Ses collègues en charge des aspects " informatiques " l’avaient prévenu de l’arrivée du message qu’il attendait. Il passa prendre Neil à l’hôtel. Quelques minutes plus tard, ils entraient dans la salle. Leurs rythmes cardiaques étaient un peu accélérés. Ils allaient avoir le premier contact avec Jim. Cela prouvait au moins qu’il était en vie...

Il avait posté son message du cyber-café choisi en commun. Cela voulait dire qu’il n’avait pas été découvert. Encore un bon point.

- Tout va bien, papa m’a accueilli gentiment. Nous allons jouer à un nouveau jeu. On va distribuer des billets dans la rue. Un peu partout. Tenez vous prêts. Je vous parlerai ce midi comme convenu.

Dominique se tourna vers Neil.

- Qu’en penses-tu ?

- Il encaisse le coup. Pour l’instant, il est en vie. Pas découvert. Mais il ne faut pas exclure qu’il soit sous surveillance. A propos, l’organisation ne semble pas faire de cadeaux. J’ai reçu un coup de fil de Washington. Le représentant de la C.I.A. dans un pays du sud-est asiatique nous a signalé la mort suspecte d’un mafieux local assez connu. Il faisait partie de la liste des noms évoqués par Juan Contreras. Nous ne savons pas encore ce qu’il a fait pour mériter cela, mais on va interroger Juan. Il a peut-être une idée. Bref, Jim semble être de notre côté, il est sans doute sous surveillance et il va falloir jouer serré. Je vote pour qu’il prenne le moins de risques possible. Qu’il se contente de nous signaler les grosses opérations s’il le peut et qu’il pose éventuellement les mouchard dont on a parlé.

- Cela me va. On va voir cela à midi avec lui sur l’IRC.

Quelques heures plus tard, les deux policiers étaient connectés sur le canal de l’IRC prédéterminé avec Jim. Dominique découvrait les merveilles de la technologie, tandis que Neil pilotait les opérations. En ne connectant pas directement l’ordinateur utilisé par Jim à celui de la DST, les trois hommes étaient sûrs que rien ne permettrait à des yeux trop curieux de remonter la trace et de savoir qui avait parlé à qui. Ils allaient, de la même façon que les dealers de Juan Contreras, brouiller les pistes en sautant d’un canal à l’autre et en utilisant plusieurs pseudonymes.

- Tout va bien. Ils n’ont pas l’air de trop m’en vouloir, ni de s’inquiéter.

- Bien, tant mieux. Mais ne les sous-estime pas. Nous sommes autour de toi, mais nous ne pouvons te protéger quand tu es au siège de la société. Il faut que tu minimise les risques. Tu vas poser les instruments en question et c’est tout. Tu nous contactes par mail en cas de grosse affaire. Un point c’est tout.

- La grosse affaire est pour demain. Nous allons déclencher à distance le réseau de distributeur de billets de la First Manhattan Bank. Il va pleuvoir des billets de toutes sortes dans les rues. Ils ont trois cent distributeurs à New York. Nous allons nous cantonner à ces trois cent distributeurs. Pouvez-vous placer un homme devant chacun d’entre eux ?

- Oui.

- Bien.

- O.K., nous laisserons filtrer auprès des media. En fait, il suffit de leur dire que des milliers de dollars se sont envolés et ils le croiront. D’autant que le personnel des agences confirmera, précisa Neil.

- Bien. Pas de problème alors. Vous devriez commencer à recevoir de l’information directe demain. Je commence à poser les mouchards dès ce soir.

- OK. n’oublie pas. Nous sommes autour de toi. C’est positif pour toi si tu joues comme il faut. Et très négatif dans l’éventualité contraire.

- Je n’oublie rien.

- A plus tard.

- A plus tard.

Le portable de Neil sonna quelques instants après. Il sourit, visiblement heureux des nouvelles qui lui parvenait.

- OK, pour l’asiatique, on sait maintenant qu’il s’agit bien d’un meurtre. Il avait annoncé son intention de quitter l’organisation. Les collègues de la C.I.A. et de la N.S.A. ont appris quelques petites choses. Il voulait quitter le groupe et avait pris ses précautions. Nos hommes dans le pays ont pu savoir par la police locale que deux hommes - inconnus - avaient pu vider un des coffres bancaires de notre méchant juste avant sa mort. Sans doute un dossier compromettant. M. Li, c’est son nom, était visiblement filé par ces deux hommes depuis quelques temps. Ils devaient exercer une sacrée surveillance rapprochée pour être au courant des dossiers qu’il avait constitués et réussir à les sortir d’un coffre dans une banque. Ca me rappelle...

- Oui ?

- Ca me rappelle les russes qui... Pour faire bref, tu te souviens de ces chalutiers soviétiques qui croisaient en mer autour des points que nous voulions garder secrets pendant la guerre froide ?

 Oui

- Et bien, ces chalutiers bourrés d’électronique étaient capables de t’entendre pisser dans tes chiottes à des centaines de kilomètres sans que tu sois au courant. Les hommes qui étaient dans ces bateaux se sont recyclés depuis. Enfin... je m’égare.

- Pas forcément. Note ça quelque part quand même.

- Tu as raison. D’ailleurs, Juan et José nous ont parlé d’hommes des pays de l’Est. Il y a peut-être quelque chose là-dessous.

- Bon... Jim a l’air de se débrouiller.

- Oui, mais il nous faut un compte-rendu deux fois par jour sur ses activités. Les deux hommes que tu as mis à ses trousses sont en place ?

- Oui.

- OK.

 

NEW YORK, LE 8 DECEMBRE, TOT LE MATIN

 

La nuit avait été très agitée pour certains. En effet, la direction de la First Manhattan bank avait délégué un responsable par agence qui avait aidé les services de police à remplacer les billets des distributeurs par des faux.

Sans trop de problème, le matin, tous les faux billets avaient été récupérés à l’exception de ceux versés dans la rue par les distributeurs de quatre agences dans la ville. Une trentaine de passants avaient " profité " de l’aubaine. Sous l’œil vigilant, toutefois, de quelques agents du F.B.I.. Ces personnes avaient été photographiées alors qu’elles ramassaient les billets et suivies jusqu’à leurs domiciles. Tout cela serait récupéré dans les jours suivant. Les services de police avaient fait un compte rapide de la somme globale qui serait dépensée dans le laps de temps précédant le moment où les billets devaient être repris. C’était faible. Bizarrement, les êtres humains ont généralement tendance à thésauriser ce genre de butin. Ce qui étonnait d’ailleurs souvent les hommes chargés de faire respecter l’ordre... Ils retrouvaient parfois un butin pratiquement complet des mois après la date du larcin. Ce qui était encore plus bizarre, c’était que les braqueurs de banques pouvaient ainsi réaliser une dizaine d’attaques, sans toucher à leur butin, alors que le produit d’une seule aurait suffi pour les faire vivre pendant des années.

Les premiers flashs d’information à la télévision et à la radio annonçant cette distribution providentielle eurent lieu vers 10 heures du matin. La nouvelle se répandit assez vite et la direction de la banque confirma une perte avoisinant les 50 millions de dollars. Une goutte d’eau pour une telle banque. Mais la presse ne rata pas l’occasion de saisir une telle " affaire ".

Pour une fois, les journalistes " spécialisés " dans la sécurité informatique s’intéressaient à autre chose qu’aux pirates ayant modifié la page d’accueil d’un serveur Web... Ils découvraient qu’il est parfois bien plus facile (avec un peu d’aide interne) de pirater les réseaux classiques des banques avec un bon vieux PC et un modem, sans même utiliser Internet, le grand méchant loup de la sécurité... Une action plus simple et bien plus rentable.

Un seul journaliste s’étonna du fait que les pirates responsables de cette nouvelle affaire ne se soient pas postés devant tous les distributeurs pour récupérer le fruit de leur larcin. Mais la direction de la banque répliqua au détour d’une conférence de presse qu’aucune trace de l’argent d’une centaine de distributeurs n’avait été retrouvée, ce qui laissait sous-entendre que des sacs avaient été remplis...

 

PAYS DE L’EST, LE 9 DECEMBRE

 

Jack regardait le plafond de son bureau. Il pensait à M. Li. Un homme volontaire. Il avait fait des pieds et des mains pour rentrer au conseil de l’organisation et voulait, à l’époque, être partie prenante dans toutes les opérations les plus audacieuses. Celles que Jack imaginait et décrivait à ses interlocuteurs pour les convaincre de verser des fonds à l’organisation en devenir. M. Li était impatient d’en découdre avant même que les structures techniques ne soient en place. Et voilà que le plus ardent des membres avait souhaité se retirer, entraînant ainsi la mise en route de l’équipe D. Jack imagina un instant que tous les membres du conseil souhaitent se retirer. Que devrait-il faire ? Il avait les fonds nécessaires pour lancer l’équipe D aux fesses de tous les membres.

Mais quel intérêt ?

Il chassa ces pensées et se remit à penser à ce que Jim avait dit en rentrant de Vienne. Un magnat de la presse... Et qui veut faire plier " le système ". C’était trop beau pour être vrai. Jack était en train de peser le pour et le contre lorsque Joe entra dans le bureau.

- Qu’en penses-tu ?

- Ecoute Jack, je trouve qu’un magnat de la presse qui veut faire tomber ce qu’il appelle le système est sans doute un candidat parfait. Toutefois, la prudence s’impose. Nous ne pouvons pas mettre en danger nos autres membres.

- Je t’écoute...

- Bon. Disons qu’un type qui a fondé un empire, qui a forgé sa propre réussite de ses mains et en ne comptant que sur lui même, est sans doute peu redevable au système dont il est question. A l’inverse, lorsque l’on découvre ce que le magnat Robert Maxwell devait aux Israéliens ou aux Américains, cela ne m’étonne pas du tout. De plus, l’effet que me fait l’homme décrit par Jim est qu’il en veut à un système qu’il jalouse secrètement. En effet, il est rejeté par le système, mais dès qu’il aura eu l’occasion de lui assener quelques coups violents, il ne pourra sans doute pas s’empêcher de le faire savoir. C’est typiquement le genre de type qui aime se vanter de ce qu’il fait. Cela se voit au nombre d’interviews qu’il accorde. Cela m’ennuie.

- Oui, je te comprends. Mais souviens toi d’Hendrick Avercamp. Il a vite compris où était son intérêt. Non ? Il a complètement changé de façon de vivre.

- Ce n’est pas pareil. Nous avions un moyen de pression !

- Tout homme a ses faiblesses et nous pouvons demander à l’équipe D de se pencher sur la vie de cet homme avant de l’aborder. Qu’en dis tu ?

- Cela ne coûte rien... Si je puis dire...

Un rire franc emplit la salle.

- Ecoute Joe, nous n’en sommes pas à quelques dizaines de milliers de dollars près...

- Non, tu as raison. Bon demandons à l’équipe D de nous fournir un rapport détaillé sur cet homme. Ensuite, nous nous déterminerons. Puis, nous organiserons un conseil et ferons voter les membres. OK ?

- Ca me va.

- Juste un mot, il faut que l’on parle de la prochaine action.

- Oui ?

- Cela démarre quand ?

- Il faut laisser quelques jours entre l’affaire du fonds d’investissement et celle-là. Histoire que les imbéciles d’analystes aient oublié. Il ne faut surtout pas qu’ils soupçonnent qu’il s’agit encore d’une manipulation de cours. Mais disons qu’à partir d’après-demain, c’est quand on veut. A propos, tu sais que nos amis s’en sont mis plein les poches avec l’affaire du fonds. Finalement, l’effet a été bien plus vaste que ce que l’on avait imaginé. Les cours d’un certain nombre d’entreprises dans lesquelles le fonds avait investi ont également été touchées. Résultat, on a pu racheter bas bien plus de titres que ce qui était escompté. Le montant global de notre petite affaire dépasse les 500 millions. En net !

- Pas mal. Je pense que la prochaine sera intéressante aussi...

- Cela ne fait aucun doute. A propos, à titre personnel, il va bientôt falloir investir dans les entreprises fabriquant de l’aspirine.

- Ah ?

- Et bien si tu penses au nombre de personnes à qui nous donnons mal à la tête en ce moment...

Les deux hommes partirent une fois encore d’un grand rire. Ils se seraient crus revenus au temps où ils montaient leurs opérations pour le compte du K.G.B., puis du S.V.R..

 

WASHINGTON, BUREAU OVALE, LE 10 DECEMBRE

 

- Mulder, je suis avec John Irving et Derek Olmes. L’aide de M. Olmes nous sera sûrement utile dans l’opération qui nous occupe. Il est, comme vous le savez responsable des opérations psychologiques de la C.I.A.. Quant à M. Irving, il est la cheville ouvrière de la construction de la vie de notre future taupe. Bien, je vous écoute maintenant. Où en êtes vous là-bas ?

Neil Mulder avait passé la journée à rédiger des rapports qui se trouvaient déjà sur le bureau du Président. Maintenant, il imaginait sans mal qu’il allait passer une partie de la nuit au téléphone avec le Président et les responsables des agences de renseignement. Cette idée le rendait nerveux car il commençait à être très fatigué. Le risque permanent de voir Jim être découvert était assez minant. Neil était plus familier des affaires de police classiques que des opérations de renseignement. Mais il tenait assez bien le coup.

- M. le Président, comme vous le savez, nous avons pu faire passer au sommet de l’organisation qui nous intéresse l’idée qu’un magnat de la presse serait intéressé par un investissement dans cette structure. Et ce, plus par haine du système que par besoin de gagner de l’argent. Nous pensons que cette proposition a toutes les chances d’être acceptée dans la mesure où nous avons pu établir qu’ils ont éliminé un de leurs membres en Asie. Cet asiatique a été tué par deux hommes qui ont visiblement accès à une série d’informations normalement protégées. Ce qui nous fait dire qu’il est impératif de monter une vie sur mesure à notre future taupe. Il est désormais évident que les méchants ont les moyens de fouiller très profond pour découvrir si un homme dispose d’une couverture construite ou non.

- Neil ? C’est Irving. Ne vous tracassez pas pour la couverture de votre taupe. Elle est bétonnée. Nous avons pénétré tous les ordinateurs dans lesquels une trace de sa vie se trouve ou devrait se trouver et nous avons modifié ce que nous devions modifier. Vous aurez une copie des informations le concernant demain matin.

- Merci monsieur, je compte sur vous. Je souhaiterais également que vous et la C.I.A. vous vous penchiez sur les dossier des spécialistes que l’on pouvait trouver sur les bateaux de pêche au large des côtes de Floride - par exemple - pendant la guerre froide. J’ai, disons, une intuition. Les hommes qui ont assassiné l’Asiatique sont trop bien renseignés.

- Je vois ce que vous voulez dire. Effectivement, certains ont disparu de la circulation et se sont reconvertis. Avec un esprit de corps assez particulier. Nous allons vérifier et croiser leurs fiches avec celles des visiteurs étrangers pendant la période où les deux hommes étaient dans ce pays.

- Neil, pour ce qui est de votre taupe, je suis en contact permanent avec elle. Je l’aiderai à réagir Mais pour que tout cela soit optimisé, j’ai besoin de vos rapports. Ceux sur Jim. OK ?

- Oui, sans problème. Je vous met immédiatement en copie.

Neil ne voulait pas savoir comment la N.S.A. pouvait entrer dans des réseaux informatiques étrangers et qui plus est sous le contrôle d’Etats souverains, pour modifier la vie d’un ressortissant étranger. Ce qui lui importait était que cela soit fait. Il avait appris ces derniers temps à ne pas sous-estimer l’organisation contre laquelle il luttait.

 

AMSTERDAM, LE 10 DECEMBRE AU SOIR

 

Jim entra dans sa chambre. Il se sentait comme un homme nu au milieu d’un supermarché un samedi après-midi. Entre les espions français et américains qui le surveillaient de près et l’organisation qui, il en était sûr, devait avoir posé des micros dans tout son appartement, il n’était pas tout à fait à l’aise.

En effet, deux caméras miniaturisées couvraient l’ensemble de sa chambre et trois micros surveillaient ses paroles. Son téléphone était sur écoute, son ordiateur était piégé, ainsi que la ligne RNIS qui le reliait à Internet.

Il s’était bien entendu interdit d’utiliser son ordinateur personnel pour communiquer avec ses nouveaux " amis ". De fait, le bon vieux système de la femme de ménage avait été appliqué à son P.C. En fait, un mouchard gardait une trace de toute activité sur la machine et était " relevé " tous les matins. Ce n’était plus une disquette qui permettait de réaliser l’opération, mais le réseau lui-même.

Jim avait fait son rapport à Neil, comme convenu et par les moyens habituels, sur l’IRC. On lui avait dit qu’il devait se tenir prêt à faire signe à son contact pour une éventuelle entrée dans l’organisation. Par ailleurs, il avait pu savoir quelle était la localisation du nouveau centre de secours. Une adresse IP qui traînait... Il connaissait la ville, mais pas le lieu exact.

Il pensait à tort que cette information n’était pas suffisante. Il ne savait pas que quelques minutes seulement après qu’il eut transmis le nom de la ville, les correspondants de la C.I.A. étaient déjà au travail. En seulement deux jours, ils allaient obtenir les réponses qu’ils souhaitaient. L’entreprise ou le lieu qui abritait ce centre de secours devait disposer d’une importante bande passante. Donc, de lignes spécialisées... il suffisait de fouiller dans les ordinateurs de la compagnie de téléphone locale, puis de procéder par élimination.

Et les agents du gouvernement américains disposaient d’outils très puissants pour jouer à ce jeu d’élimination. La N.S.A. avait développé depuis bien longtemps des logiciels qui permettaient de ne pas trop se tromper... Et dans ce domaine très particulier de l’interrogation et du croisement des bases de données, la C.I.A., via le département de la Justice dispose depuis les années 80 d’un outil incomparable.

 

PARIS, SIEGE DE LA FINANCE, LE 11 DECEMBRE AU MATIN

 

Pierre Martinie continuait de se poser quelques questions métaphysiques... Etait-il vraiment fait pour jouer dans ce jeu d’espions, parviendrait-il à sortir indemne de ce champ de bataille où tous les coups semblaient permis. Les avertissements de certains amis sur sa situation et les risques qu’il prenait en étant le relais de " Bill Clinton " auprès des autorités revenaient souvent comme un écho lointain dans son crâne de journaliste. Mais au fond de lui, il se doutait bien de qui était la personne qui menait le jeu. Et cela était un avantage sur tous les autres. Il disposait d’une carte supplémentaire. Il sourit.

- Ce sera bien la première fois que je pourrais sortir cinq as autour d’une table de poker menteur, se dit-il...

Il regarda par la fenêtre, alors que son logiciel de courrier électronique s’ouvrait. Il pleuvait sur Paris, comme toujours. Encore une fois, il se dit que cette ville était comme une vieille femme bourrée de silicone. Belle de loin et loin d’être belle... en fait ses attraits cachaient un temps pourri, des habitants complètement stressés, ayant oublié le sens de la vie (s’il devait y en avoir un) et une pollution dramatique. Bref, il se sentirait sans aucun doute mieux s’il consentait enfin à suivre son cœur qui lui demandait depuis bien longtemps de s’installer dans le Sud, peut-être même en Espagne...

Le logiciel avait enfin terminé de charger les messages électroniques reçus dans la nuit. Il passa une demi-heure à décoder et lire les mails de Dominique et Neil qui le tenaient au courant en permanence de l’évolution de la situation.

Le quart d’heure qui suivit fut consacré à un mail de son nouvel ami, Bill Clinton...

Subject: What do YOU think you know?
Date: Sun, 10 Nov 1999 11:58:04 +0100
From: Bill Clinton bclinton@whitehouse.gov
To: pmartinie@lafinance.fr

Bonjour Pierre,

Les choses se précisent, vous avez deux belles cartes, votre projet d’infiltration est intéressant. Par ailleurs, mes félicitations... Trouver aussi rapidement où se trouve le centre de secours de l’organisation est un exploit...

Jim vous préviendra sans doute, mais la prochaine attaque devrait faire du bruit : il s’agit de désorganiser le serveur Web du Nasdaq. Je vous parie un million de dollar qu’ils vont se faire avoir, même si vous les prévenez à temps. On va bien rire. Je viens de vendre toutes mes technologiques et je me prépare à faire une sublime plus-value... Vous ne m’en voudrez pas, j’imagine, de profiter de l’occasion qui va se présenter dans les jours à venir. Mais je m’égare. Il va bientôt être temps pour vos amis américains et français d’agir véritablement. Par ailleurs, je vous conseille de les convaincre d’utiliser la manière forte. L’éradication. Un long procès ne ferait que mettre en lumière l’inefficacité du système capitaliste tel qu’il est aujourd’hui et tel qu’il se profile. Imaginez ce que dirait la population si elle savait que quelques ordinateurs suffisent à mettre une telle pagaille sur les marché financiers. Personne n’oublie que cette pagaille se traduit par des destructions d’emplois. Les conséquences politiques et sociales d’un tel scandale pourraient être graves. Personnellement, cela ne m’angoisse pas outre mesure. Je me sers du système pour produire l’étalon de référence de cette fin de siècle, de l’argent. Mais je suis opposé à la dérive actuelle du système capitaliste. Il s’engage à mon goût sur une mauvaise voie qui n’aboutira qu’à une mutation radicale. Et il sera trop tard pour sauver les meubles, lorsqu’enfin, les princes de cette société se rendront compte de ce qu’ils ont engendré. Enfin... rien ne change, c’est un peu pareil pour chaque révolution... Sur ce, bonne chance avec votre taupe espagnole.

A bientôt

Bill

Pierre crypta le contenu de ce message et l’envoya à Dominique et Neil. Une heure plus tard, un contact était établi entre les représentants du Nasdaq, la présidence américaine, l’Infosec, la C.I.A., la N.S.A. et le F.B.I..

 

WASHINGTON LE 11 DECEMBRE, TARD LE SOIR

 

Les avions et les hélicoptères de l’armée avaient été mis à contribution pour que tout ce petit monde soit réuni autour d’une table en moins de deux heures.

A la surprise générale, les responsables informatiques du marché financier américain se firent tirer l’oreille pour laisser les spécialistes des agences fédérales ausculter leur réseau.

- Nous disposons de huit firewalls, notre sécurité est parfaite. Nous avons commandé une attaque informatique par mois et jusqu’ici, elle n’a jamais eu de succès notable.

- Monsieur, trancha le Président américain, je me fous du degré de sécurité dont vous pensez disposer. Je ne demande qu’une chose et je peux vous jurer que je vais l’obtenir : que les hommes qui seront désignés puissent entrer chez vous, qu’ils disposent de toute l’aide qui leur semblera utile. Je ne peux pas prendre le risque de voir une nouvelle catastrophe boursière.

La discussion fut longue et fatigante. Le président américain finit par obtenir gain de cause. Les hommes de l’Infosec, aidés de quelques spécialistes de la N.S.A. et de la C.I.A., dont Michael Collin s’installèrent avec leur matériel dans les sous-sols du Nasdaq. Ils passèrent la première nuit à combler quelques trous de sécurité. Une attaque fut lancée depuis le siège de TechnoNet. Elle réussit... Il fallu encore quelques heures pour trouver ce que tout le monde estimait être la dernière brèche possible dans le système.

 

AMSTERDAM, LE 12 DECEMBRE, MIDI

 

Jim entra dans le cyber café convenu. Il s’assit à une table et consomma quelques bières ainsi qu’un sandwich pour accompagner tout cela.

Les agents de la C.I.A. purent repérer un homme qui suivait Jim.

Sans doute quelqu’un de l’organisation... Ils évitèrent tout contact, mais fichèrent l’individu. Ils purent même le prendre en photo. Ce qui permit d’établir par la suite qu’il s’agissait d’un ancien colonel du K.G.B. ayant quitté la Russie bien après la chute du mur de Berlin. Il avait travaillé pour le S.V.R., le successeur du K.G.B. pour l’espionnage à l’étranger. Cet homme qui avait fini dans un organisme " civil " (le S.V.R.), avait pourtant fait toute a carrière dans l’armée. Il avait servi dans les commandos en Afghanistan et en Tchétchénie. Mais au cours de cette dernière campagne, il avait été affecté à un rôle peu connu des commandos. Le pistage de " cibles " par tous moyens puis leur élimination physique. Un doux mélange entre le sniper et l’informaticien. Bref, un compagnon fort agréable... Au siège de l’agence, l’homme de la C.I.A. qui avait été chargé de nourrir le dossier du russe eut une pensée fugace pour le président rebelle de Tchétchénie qui avait été repéré et tué grâce aux traces laissées par son téléphone portable. L’idée de croiser un russe de ce genre là lui glaça le dos. " je suis bien mieux derrière mon clavier que sur le terrain ", se dit-il intérieurement.

Jim se pencha sur le clavier d’une machine qu’il choisit au hasard. Il se connecta sur l’IRC et informa Neil d’une attaque imminente sur les serveurs du Nasdaq. Il avait planché sur les moyens de réaliser cette attaque, mais les ordres et les directives techniques viendrait d’une autre membre de l’organisation. Il se demandait s’il n’avait pas été découvert. Normalement, le contrôle de cette opération aurait du lui revenir. N’avait-il pas été la cheville ouvrière de toutes les attaques précédentes ?

Neil le rassura. Il n’avait aucune information qui aille dans ce sens. les responsables de l’organisation étaient simplement prudents. L’agent du F.B.I. demanda à Jim de le tenir au courant autant que possible des modalités techniques de l’attaque afin de pouvoir contrer cela au mieux. Le Nasdaq était une cible bien trop importante pour monter un écran de fumée comme ce qui avait été fait pour les distributeurs de billets.

Tapi dans l’ombre d’une porte cochère, le russe regardait Jim de loin. Il voyait ses mains qui s’agitaient sur le clavier. Dimitri restait interdit :

- Ce gars est collé à un clavier quinze heures par jour et même à midi il continue de voyager dans son cyber espace. Alors qu’il pourrait aller voir une femme. Il y en a tellement qui s’offrent pour pas grand chose dans ce pays. C’est pire qu’à Moscou. Et en plus, elles sont en meilleure santé. Ce gars est étrange tout de même...

Seul en filature, Dimitri se laissait emporter par ses pensées. Son esprit dérivait. Cela le rendait moins attentif à son travail. Mais il se ressaisit rapidement. Il avait été formé pour réagir. Il se déplaça pour tenter d’apercevoir l’écran. Il put estimer que Jim était au choix en train de converser sur l’IRC, de passer du temps sur un BBS ou de jouer à l’un de ces jeux de rôle en réseau. Dimitri détestait ces jeux. Il avait vécu assez de moments étonnants pour ne pas vouloir vivre par procuration. Il estimait qu’un homme, un vrai, se devait de prendre des risques et d’assumer ses responsabilités.

Jim avait tout de même choisi son ordinateur et sa position de façon à ce que son écran soit pratiquement masqué des regards indiscrets. Et il avait bien fait. Dimitri était un homme très méticuleux et il aimait la précision. Ne pouvant déterminer avec exactitude le logiciel utilisé par l’informaticien, Dimitri ne mentionna pas ses intuitions dans son rapport.

L’organisation détermina par la suite l’ensemble des numéros IP affectés à chaque machine dans le cyber café afin de tendre un piège à Jim. Il s’agissait de prendre discrètement le contrôle de l’ordinateur devant lequel il s’installerait pour voir ce qu’il y faisait. On faisait de très bon programmes de partage d’applications...

Mais cette idée ne fut jamais suivie d’effets, Jim et Neil ayant décidé que chaque communication se ferait depuis un café différent choisi au hasard dans une liste prédéfinie. Par ailleurs, si Jim prenait contact depuis un café qui ne figurait pas dans la liste, le lien serait immédiatement coupé et les agents qui le suivaient recevraient l’ordre de l’exfiltrer.

 

SIEGE DE L’INFOSEC, LE 13 DECEMBRE

 

Depuis quelques heures, les agents de l’Infosec commençaient a devenir nerveux. Les équipes se relayaient devant les écrans. Un système de traçage avait été mis en place. Les grands tuyaux menant au fournisseur d’accès du Nasdaq étaient sous contrôle. Toute activité serait enregistrée. Cela servirait pour poursuivre les pirates au moment de leur " sortie ".

Le serveur du marché américain des valeurs de croissance était complètement passé sous le contrôle de l’Infosec et tout ce qui se passait au siège de l’agence gouvernementale était relayée par liaison satellite vers les sous-sols de TechnoNet.

André Marceau était entouré de Dominique, Neil et de Pierre. Les quatre hommes étaient tendus et la fatigue se lisait sur leurs visages. De fait, il ne disposaient pas d’équipes pour les relayer et ils patientaient devant les écrans depuis la veille, lorsque Jim les avaient prévenus de l’imminence de l’attaque.

- Monsieur, il y a une activité douteuse, lança l’un des agents de l’Infosec. Ce n’était que la trente-troisième alerte depuis la veille. Tous les serveurs informatiques d’entreprises importantes ou à forte renommée et qui sont présentes sur Internet sont l’objet de tentatives d’intrusions. Mais la très grande majorité échouent car il s’agit de jeux de pirates du dimanche.

- Suivez cela avec attention, lança Nicholas Goldwater, ça pue le spoofing.

Dans une salle de réunion proche du bureau Ovale, Bill Clinton suivait le cours des événements avec anxiété. Il redoutait une catastrophe qui se traduirait sans aucun doute par de nouveaux articles véhéments de la part de la presse financière. Son gouvernement pouvait sauter.

L’adjoint du directeur de l’Infosec demanda que l’on concentre l’attention sur cette activité inhabituelle.

- OK, il entre Monsieur, c’est effectivement du spoofing. Il est en train de récolter le fichier qui va lui ouvrir les portes de la base de données n°1.

- Activez la procédure de recherche. Je veux savoir d’où nous vient ce salaud dans la minute qui suit. Vous, vous bloquez sa sortie. Je ne veux qu’il sente que nous l’avons tué au moment où il tentera de modifier des données. Il faut détruire son ordinateur et ceux du réseau de l’endroit où il se trouve ! Cela leur servira de leçon. C’est compris ? cria-t-il en direction de l’un des agents.

- Oui Monsieur. Le jeune homme pria pour que tout marche comme prévu car il ne voulait pas que sa carrière soit brisée si vite. Il ne mesurait pas la portée de l’événement - seuls quelques responsables savaient contre qui on se battait réellement aujourd’hui -, mais il imaginait sans difficulté à quoi ressemblerait sa carrière s’il devait contrarier l’adjoint du directeur. Vu son niveau d’énervement, il ne voulait prendre aucun risque.

André Marceau cria dans le micro qui se trouvait à côté de son clavier :

- Attention, c’est un leurre ! Merde ! Ils vont nous baiser ! Jean, tu prends la suite de l’IP 212.124.90, c’est elle qui est en train de faire le travail ! Vous à l’Infosec continuez d’empoisonner le premier. On va leur faire le coup du leurre nous aussi ...  Il se mit à pianoter furieusement sur son clavier. Son visage s’était soudainement fermé.

- Dites donc Marceau, on connaît notre travail, lança Goldwater.

- Laissez le faire, trancha John Sterling dans le haut parleur. Le patron de l’Infosec suivait toute l’opération depuis la Maison-Blanche.

- Vous avez raison, Monsieur Marceau, ajouta Michael Collin. Le jeune homme impertinent avait encore marqué sa différence en prenant la parole dans un jeu où la plupart des acteurs avaient le double de son âge. Mais sa maîtrise technique lui permettait pratiquement n’importe quoi.

Depuis la N.S.A., le hacker suivait avec émerveillement les événements. Il se croyait revenu quelques années en arrière. Son esprit marchait à une vitesse fulgurante. Il tentait à la fois de deviner ce que les intrus allaient faire et ce que lui-même ferait pour contrer ces actions. Il avait déjà repéré d’où provenait l’attaque et était en train de communiquer les données à tous les acteurs afin de les aider à lancer la riposte.

- OK, c’est bon, le vôtre a fait son travail, il se retire. Lancez la procédure de destruction de leurs ordinateurs, cria André.

Quelques secondes plus tard, l’écran du pirate avait l’allure d’une peinture abstraite. Il sourit. Son rôle de leurre était rempli.

- Jean, que fait le deuxième, j’ai perdu le fil...

- Il a modifié la base n°2, celle des technologiques et des valeurs pharmaceutiques. Il est en train d’entrer dans la base n°1.

- OK, laissez faire, on va le piéger.

Une sauvegarde supplémentaire des bases avaient été faite afin de pallier tout problème. Mais l’angoisse d’un véritable crash du serveur était tout de même présente. De fait, il fallait encore quatre heures pour relancer un serveur de secours. Les hommes du Nasdaq avaient travaillé avec les agences fédérales toute la nuit, mais cela n’avait pas suffi.

Quelques interminables secondes plus tard, le deuxième méchant quittait les lieux du crime.

A Paris comme aux Etats-Unis, on avait suivi son évolution et relevé les numéros IP. Deep Blue - à qui le gouvernement avait finalement trouvé une utilité -, réalisait ses milliards d’opérations en un temps record. Il triait toutes les opérations réalisées entre le fournisseur d’accès du Nasdaq et le serveur en tant que tel.

Il fallut une bonne minute pour que André donne le signal. Simultanément avec Michael Collin...

- On l’a, lancez la procédure de destruction !

Cette fois les pirates à Amsterdam n’avaient pas envie de sourire. Ils ne s’attendaient pas à cette action-là. Jim ne put que constater le désastre. Tous les ordinateurs de la salle étaient morts. Les serveurs étaient définitivement plantés. Jim se retourna, un bruit le surprit : un fax, dans un coin de la salle réalisait une opération pour le moins étrange, il crachait inlassablement des feuilles sur lesquelles était inscrit au gros feutre : " You’re dead guys ! "

Jim comprit le message en un clin d’œil. Il ne sut jamais comment il avait fait le lien.

Il lança un message clair :

- on évacue, tout le monde hors d’ici, vous avez une minute.

Personne ne demanda son reste.

Hendrick Avercamp emboîta le pas de Jim.

Ils passèrent par les sous-sols de l’immeuble, comme cela avait été prévu. Une trappe mena la dizaine d’hommes vers un canal éloigné par un souterrain des égouts.

Ils se séparèrent sur le trottoir, chacun partant dans une direction.

La police néerlandaise allait avoir beaucoup de travail. D’une part, l’équipe D de l’organisation parvint a exécuter l’équipe d’informaticiens dans les minutes qui suivirent, à l’exception de Jim et d’Avercamp. D’autre part, les hommes de la C.I.A. entrèrent dans ce qui fut la Velde B.V. et massacrèrent les quatre personnes qui n’avaient pas eu le temps de s’enfuir. C’est à dire une secrétaire, deux hommes d’une société de propreté affectés au ménage, et l’homme à tout faire de l’entreprise qui rentrait juste d’une course à l’extérieur. Il avait à peine eu le temps de se demander pourquoi tout le monde était parti si tôt aujourd’hui. La secrétaire qui sortait des toilettes et découvrait la pagaille eut le temps de lui répondre qu’elle n’en savait rien. Une balle de 22 LR perfora sa boucle d’oreille. La seconde, son tympan.

Aux Etats-Unis comme à Paris, on se félicitait déjà de l’opération. C’était un succès. Enfin presque...

- Je veux un rapport complet sur les dégâts éventuels apportés aux bases de données, je veux savoir si les pirates ont laissé quelque chose derrière eux. Dépêchez vous ! lança Sterling

- Oui Monsieur, répondit Goldwater qui ne sentait pas très à l’aise après sa méprise sur l’importance du premier pirate.

André semblait perdu dans ses pensées. Il scrutait deux écrans sur lesquels défilaient des chiffres. Pour Pierre, ces informations ressemblaient à un charabia incompréhensible. D’ailleurs, il se demandait bien ce que André pouvait bien y déceler, vue la vitesse à laquelle les informations défilaient sur les écrans. En fait, André était taraudé par autre chose. Il ne voyait même pas les chiffres s’inscrire sur les écrans.

Le Président intervint :

- Je veux savoir messieurs. Quel est votre appréciation de la situation ?

William Anderson qui avait observé toute la scène sans un bruit finit par lâcher un mot. Le patron de la C.I.A. venait d’être averti du bilan au siège de la Velde B.V..

- Monsieur, il semble que les oiseaux aient pu quitter le nid avant l’arrivée de nos hommes. Toutefois, le camp adverse compte quatre pertes. Je ne peux pas encore vous donner l’identité des personnes décédées. Toutefois, il est peu vraisemblable que nous ayons pu toucher la tête de l’organisation dans ces conditions. D’ailleurs, il est probable qu’elle ait, comme nous, observé l’attaque depuis un site distant.

Anderson était inquiet. Il craignait une bavure, la spécialité maison depuis quelques années lorsqu’il s’agissait d’opérations sur le terrain à l’étranger. Il disposait de trop peu d’informations à son goût pour faire un bilan à chaud.

Ce fut John Irving, le patron de la N.S.A. qui apporta la première bonne nouvelle par le biais de Sterling. Il venait de lui communiquer les déductions du Cray sur le bilan de l’attaque.

- Monsieur le Président, je peux désormais vous informer que le site du Nasdaq n’a pas subi de dommages irréparables. Il semble que les pirates n’aient, par ailleurs, pas laissé de cheval de Troie.

- Bien, enfin une bonne nouvelle, lâcha Bill Clinton dans un soupir...

- Neil, des nouvelles de Paris ? lança calmement Alan Jones. Le patron du F.B.I. se demandait ce que faisait son agent de l’autre côté de l’Atlantique. Ce silence ne lui disait rien qui vaille.

- Un moment Monsieur s’il vous plaît... Je suis à vous dans un instant.

Depuis qu’il avait reçu la nouvelle du carnage au siège de la Velde, Neil avait branché un logiciel d’IRC, au cas où Jim tenterait d’entrer en contact.

Et il avait bien fait. Un message en provenance de Jim s’était rapidement inscrit sur son écran. L’informaticien s’était rué dans un cyber café pour comprendre ce qui se passait. Il se sentait trahi :

<Moly> Qu’est-ce que c’est que ce bordel ?

<Dady> Je ne contrôle pas Moly, un groupe d’une autre firme a fait irruption chez vous pour éradication...

<Moly> Tout a explosé chez nous. Comment avez vous fait ?

<Dady> Encore une autre firme. Ils vous ont attendu, repérés et détruits. Du calme. quelle est ta situation ?

<Moly> Bof, nous nous sommes séparés. Pratiquement tout le monde a pu sortir sain et sauf. Je ne sais pas où ils sont. Mais je compte sur l’organisation pour nous retrouver et nous faire signe. Je vais rentrer chez moi si c’est OK de votre côté.

<Dady> Non attends quelques heures et reprends contact avec moi pour confirmation. Avez vous réussi votre mission ?

<Moly> Affirmatif, vous vous êtes fait baiser. Nous avons agi par escalier... Des leurres. Vous avez vu deux intrus. Mais il y a autre chose. La modification des bases n’est pas le but de la mission. Il y a un cheval de Troie. N’ouvrez pas le site au public.

<Dady> Sois plus précis, veux-tu ?

<Moly> le site va délivrer une flopée d’informations bidons

<Dady> C’est à dire ?

<Moly> Trop long à t’expliquer. Bon, merde, je fais quoi moi ?

<Dady> Planque toi et reste dans des lieux très passants dans les heures qui suivent. On se retrouve ici avec les nicknames prévus dans quinze minutes. Même procédure.

<Moly> OK.

André avait suivi le dialogue. Pierre se remémorait quant à lui le dernier message de " Bill " : Je vous parie un million de dollar qu’ils vont se faire avoir, même si vous les prévenez à temps. On va bien rire.

Quelque chose clochait et même le Cray, cet énorme et surpuissant ordinateur était incapable de dire quoi…

- Messieurs, quelque chose a foiré. Notre contact d’Amsterdam, qui a pu échapper aux chiens de guerre, nous dit de ne pas rouvrir le site au public.

Un page " Site en travaux " s’afficha immédiatement lors de la première connexion sur le site du Nasdaq qui suivit la fin de cette phrase.

John Irving prit la parole.

- Messieurs, nous venons de capter des échanges entre membres de la police d’Amsterdam. Il semble qu’une dizaine de personnes aient été abattues dans les rues proches de la Velde. Ils se demandent ce qui se passe et craignent une guerre des gangs. Par ailleurs, l’aéroport d’Amsterdam signale également le départ du jet privé de Hendrick Avercamp en direction de l’Est de l’Europe. Pas de destination précise pour l’instant.

Neil se souvint de la mort de M. Li

Visiblement Anderson pensait à la même chose :

- Selon moi, l’organisation a fait exécuter les témoins de cette base. Même genre d’équipe de professionnels qu’en Asie. Par ailleurs, cela concorde avec la mise en place récente d’une plate-forme de secours en Amérique Latine. Mulder, je vous conseille de ne pas perdre le contact avec votre homme à Amsterdam. Il est notre dernier lien avec l’organisation. Par ailleurs, il est en danger. Nous pouvons le faire protéger par des hommes à nous si vous le souhaitez.

- Surtout pas ! Je souhaite qu’il ne soit pas repéré par l’organisation comme étant notre lien. Il ne faut en aucun cas qu’il soit approché par quelqu’un de notre bord. J’espère que tout le monde a compris ?

- Tout le monde a compris et je vous approuve à 100 % Monsieur Mulder, trancha Bill Clinton.

Personne ne tenterait quelque chose dans ce sens après l’avertissement public de Neil et l’appui du Président... Enfin... personne de sensé...

- Bien, messieurs, le bilan de l’opération est partagé. Nous avons détruit une base, les méchants ont été tués. Pas par nous d’ailleurs. Mais le mal est fait sur le serveur du Nasdaq et nous ne savons pas quoi. Or il nous faut rouvrir le site très vite. Il faut trouver ce qui cloche rapidement, sinon, nous devrons prendre le risque d’ouvrir. Le public doit pouvoir continuer d’être informé des cours par ce biais. Que faisons-nous ? interrogea le Président.

- Donnez-nous une heure Monsieur. Nous reprenons contact avec Amsterdam. Nous saurons alors ce que nous devons faire pour rouvrir le site, aventura Neil.

André lui fit un signe de la tête pour le rassurer.

 

PARIS, LE 13 DECEMBRE, SIEGE DE TECHNONET

 

Il faut être clair, les liaisons satellites et toutes les technologies qui ont été mises à profit par les agences du monde du renseignement américain ces dernières années ne permettent pas de comprendre immédiatement, depuis le bureau ovale, ce qui se passe dans une ville européenne quand les agents de la C.I.A. se font dépasser par une équipe de meurtriers. En d’autres termes, il était très difficile aux responsables américains d’appréhender ce qui s’était passé dans les rues avoisinantes du siège de la Velde.

Neil se souvenait de ce qu’il avait lu et entendu au moment du conflit du Golfe sur les capacités américaines de " voir " ce qui se passe sur le champ de bataille. Il imaginait ses " collègues " de la C.I.A. entrant dans les locaux de la Velde, tirant sur tout ce qui bougeait. Il imaginait également que l’un des hommes du commando – peut-être même plusieurs d’entre eux – avait une caméra fixée sur le front ou l’épaule, ce qui avait permis au Président des Etats-Unis, de vivre en " direct-live " une action commando. Il était fatigué de tout cela et estimait que des hommes de valeur et leurs capacités étaient mis au service de " politiques " qui ne réfléchissaient pas toujours aux conséquences de leurs actes. La fatigue faisait revenir à son esprit des idées et des images sombres. Il se souvenait de nombreuses actions du F.B.I. contre des " terroristes " ou des " bandits ". Il se souvenait que les patrons avaient parfois envoyé les " chiens de guerre " à l’assaut de petits " lapins ", déclenchant ainsi des bains de sang qui n’étaient pas nécessaires. Neil lui-même avait, par le passé participé à une mission de ce genre et il n’en était pas fier. L’histoire de la Velde ne lui plaisait pas. Premièrement, on ne l’avait pas prévenu de l’attaque. Mais il comprenait pourquoi. Il s’y serait opposé violemment. Sans doute un coup des militaires ou de la C.I.A.. Deuxièmement, dans cette histoire, il avait failli perdre la seule pièce du puzzle qui pouvait toujours les relier à l’organisation. La disparition de Jim ou sa perte dans la nature lui semblait être une catastrophe pour l’avenir. Son esprit tournait à plein régime lorsqu’un clignotement sur l’écran attira son attention. Jim reprenait contact.

 

PERIPHERIQUE PARISIEN, Le 13 decembre

 

George Pernode était un bon français moyen, un français tel qu’il est perçu à l’étranger. Un véritable râleur, persuadé que la seule bonne cuisine au monde est française, tout comme l’industrie de qualité, les bonnes voitures, les jolies femmes, et ainsi de suite. A propos de voitures, George était persuadé que les " gonzesses " feraient mieux de ne pas prendre le volant. En ce qui concerne le foot et les étrangers, il expliquait à loisir que seuls les équipes de foot devraient pouvoir embaucher les étrangers. Bref, il était très sûr de ses vérités.

Il pestait justement contre une femme qui allait le dépasser par le mauvais côté puisque la fille de droite était plus fluide. Interdit, pensa-t-il en se préparant à lui faire une queue de poisson. Histoire de lui rappeler " les bonnes manières ".

Mais à cet instant, le flash d’Europe 1 accapara son attention. Une chance pour la jeune femme de la voiture d’à côté. Elle était enceinte et une collision aurait pu avoir des conséquences que Georges n’avait bien entendu pas imaginées un seul instant. Pour lui, la conduite était une forme de guerre…

- Etranger maintenant :

… Massacre à Amsterdam. Il y a moins d’une heure, l’ensemble du personnel d’une société informatique néerlandaise a été abattu au sein de l’entreprise et dans les rues avoisinantes. La police ne dispose pour l’instant d’aucune piste.

Panama, … une explosion a complètement détruit l’immeuble d’une entreprise informatique. La police ne se prononce pas encore, mais de source officielle, on indique que cette explosion qui a fait douze morts - dont un enfant – pourrait être le résultat de la guerre des gangs qui ravage actuellement la capitale panaméenne… "

Georges resta interloqué.

- Putain, c’est dingue, tous ces drogués aux Pays-Bas, ils sont prêts à tout pour une dose de marijouana. Je l’avais bien dit à René l’autre jour au café. On peut pas accepter dans l’Europe des gens qui laissent vendre librement de la drogue. C’est clair ça quand même… Je ne parle même pas de ces métèques d’Amérique du Sud qui ne savent même pas pourquoi ils s’entretuent !

 

SIEGE DE TECHNONET, LE 13 DECEMBRE

 

Neil cala son regard sur le curseur qui courait sur l’écran. Il prit le temps. Le temps de la réflexion. Il avait bien compris depuis deux ans que le temps subissait une accélération notable dans le cyber espace. Tout va plus vite que plus vite… Bref, il savait qu’il risquait LA connerie s’il ne revenait pas sur terre. Le cyber monde a vite fait d’engloutir le chaland. Celui-ci est happé dans une spirale où des choses insignifiantes prennent des proportions incroyables.

La gestion de la crise avec Jim était devenue sa priorité. Il fallait à la fois le garder en vie et opérationnel, lui redonner confiance dans ses " amis " de l’Ouest, faire naître les conditions d’une reprise de contact avec l’organisation. Un vrai casse-tête, pour ne pas dire une vraie chierie.

<George> Je suis tout seul dans la grande ville.

<X_Filez> Nous souhaitons te revoir de près tu sais…

<George> Je ne me sens pas très à l’aise après votre jeu de tout à l’heure. Peut-être qu’il faudrait tout simplement que je prenne de longues vacances à l’étranger ?

<X_Filez> Ce serait une solution intéressante. Je pense que tes vacances seraient de courte durée. Très courte. Ou définitives si tu préfères… Fais-moi confiance. Il faut que l’on se rencontre. Je vais te soutenir pendant les jours qui viennent. Moi et mes amis tenons beaucoup à ce que tu conserves ton job actuel. Il faut retrouver nos amis.

<George> Ben voyons. Tu as vu ce qui se passe ici ? Les bagnoles de police ? Je viens d’entendre un flash à la radio au café, vous avez fait un sacré ménage. C’est quoi ce délire ?

<X_Filez> Nous ne sommes pas responsables de l’ensemble. La majeure partie est le fait de tes amis. Seul le Boss a pu partir en avion et toi………. Toi tu es dans la rue. Tout seul. Il faut te reposer sur nous George ! C’est ta seule chance.

<George> Bon et que proposes-tu ?

<X_Filez> Je viens te voir. Tu dors à l’hôtel. On se retrouve sur le canal convenu dans 6 heures. OK ?

<George> OK

<X_Filez> Peux-tu me dire maintenant ce que nous devons faire pour relancer le serveur du Nasdaq sans risque ?

<George> Je peux le faire, mais ils risquent de faire le lien. Ce serait tout de même étrange que vous trouviez tous seuls…

<X_Filez> Ecoute, on leur en a foutu sur la gueule aujourd’hui. Plus que ce que j’aurais souhaité même. Alors on pourrait quand même avoir trouvé. Allez, ça nous fera gagner du temps si tu nous aides.

<George> OK. Tu te souviens des manips avec la base de FirstCorp ? Ben, ils ont amélioré le système. Tu as un technicien avec toi là ?

<X_Filez> Oui, vas-y

<George> Bien, pendant l’attaque vous avez commencé par suivre le leurre. Puis vous avez compris que l’autre était le bon cheval. Mais trop tard. Il avait déposé sa petite bombe logique. Allez donc faire un tour dans le répertoire des requêtes sur la base n°1. Il y a un fichier en trop. Vous le découvrirez, non pas en raison de la date ou du nom, mais en raison de sa taille. Parce que moi je sais qu’il fait 2 Ko. Ce devrait être le seul. Si ce n’est pas le cas, trouvez celui qui contient la chaîne de caractères suivante : grep "quote" /var/log/ap-w/trlog.*

Je pense que votre technicien comprendra tout de suite que ces caractères n’ont rien à faire dans une requête classique.

<X_Files> Merci George, on s’occupe de tout. Reste à couvert, je viens vers toi.

Neil remerciait le ciel tandis qu’il quittait le canal de discussion qu’il avait lui-même créé quelques heures plus tôt. Jim allait l’attendre patiemment à l’hôtel. Le nom et l’adresse du cyber-café furent transmis en quelques secondes sur les pagers de ses agents à Amsterdam. Ils prirent Jim en filature au moment même où celui-ci sortait du café pour se rendre à l’hôtel.

 

BUREAU OVALE, LE 14 DECEMBRE

 

Le Président avait troqué son sourire " spécial media " pour un visage fermé. Celui du patron qui va se payer son bras droit, voire même, son équipe de direction au complet.

- Messieurs, j’imagine que vous avez regardé la télévision ou lu les journaux. Je vous félicite, nous avons explosé un immeuble à Panama, tué de sang froid quelques secrétaires et quelques membres du personnel d’une entreprise de nettoyage en Europe. Bravo. Qui aurait pu croire un instant que les services de renseignement les plus organisés et disposant des moyens les plus importants dans le monde pourraient se planter à ce point ? Cette opération semble bien être la plus belle réussite de vos carrières !

Le patron de la C.I.A. comprit à qui était destinée cette liste de compliments. Le Président avait été générique. Il n’avait désigné nommément personne. Mais tous avaient compris.

- M. Le Président, nous avons fait une erreur que j’assume. Nous avons été trop lents à Amsterdam. Les membres de l’organisation que nous visions ont pu s’enfuir. Toutefois, ces membres de l’organisation ont été supprimés par une autre équipe que nous tentons actuellement d’identifier. En tout cas, il ne s’agit de personne de chez nous. Le bilan est globalement positif. La base européenne a été neutralisée. Par ailleurs, celle que nous avions identifiée au Panama été rasée par un missile tiré par l’un de nos avions furtifs. L’organisation en question doit être en ce moment fort déstabilisée.

- Vraiment ?

Le Président semblait assez peu convaincu par l’explication du directeur de la C.I.A..

Alan Jones tenta de sauver la situation. Sans doute une espèce de besoin de signifier une forme de solidarité au responsable de la C.I.A.. Il savait bien qu’Anderson ne lui renverrait jamais l’ascenseur, mais cela ne le dérangeait pas trop.

- M. Le Président, il est clair que nos actions d’hier ont été un peu rapides. Nous pensions tous bien faire. Il ne reste pas d’autre alternative pour l’instant que de maintenir le contact avec notre lien à Amsterdam et espérer que l’organisation reprendra contact avec lui. Il nous reste donc le patron de la Velde, qui s’est envolé pour un pays de l’Est et son employé que nous avons retourné. Prenons un peu de temps pour analyser tout ce qui s’est passé ces dernières heures et attendons de voir ce que fait l’organisation. Je suis d’accord avec Anderson, elle doit être profondément déstabilisée. Nous avons tout de même marqué un point. Je propose, si William en est d’accord que nous concoctions un discours pour une apparition télé de votre part, M. le Président. Il faut saisir l’occasion. M. Olmes ? Qu’en pensez-vous ?

Olmes, qui semblait hagard derrière ses culs de bouteilles, hocha la tête de gauche à droite dans un petit mouvement brusque avant de se lancer.

Il jeta tout de même un regard à son patron pour voir s’il devait suivre Jones.

Ne pouvant distinguer dans le regard froid d’Anderson quelle position il devait adopter, Olmes prit la parole.

- M. le Président, je pense comme M. Jones qu’il faut capitaliser les bénéfices des deux opérations d’hier. Vous pourriez apparaître à la télévision, annoncer que l’organisation adverse a subi des attaques importantes de notre part, que les services secrets espèrent qu’elle ne s’en relèvera pas, etc. Suite à cela, vous annoncez que vous réservez aux membres des commissions ad hoc du Congrès le détail des opérations militaires qui ont été menées contre l’organisation, que cela relève bien entendu du secret défense. Les méchants qui restent vont comprendre que nous savons qui ils sont et que nous avons les moyens de riposter violemment. Ils vont se calmer pendant un temps. Nous pouvons mettre ce laps de temps à profit pour préparer la suite grâce à notre contact d’Amsterdam.

Olmes n’osait plus quitter le regard du président qui était plongé dans une réflexion… profonde.

Bill Clinton tourna soudainement son regard vers Anderson

- William, vous allez foutre la paix à ce gars à Amsterdam, ainsi qu’aux agents du F.B.I., notamment à Neil Mulder. Je vous demande en revanche d’activer tous vos bureaux afin de trouver qui dans le monde peut appartenir à l’organisation, la soutenir d’une façon ou d’une autre. Dès que vous trouvez un pays ou un membre de gouvernement dans la liste, vous vous arrangez pour me passer le président en ligne afin que je lui explique ce qu’il risque s’il poursuit dans cette voie. S’il ne coopère pas, vous déclenchez un tir de sommation. Cela veut dire asphyxie économique immédiate. Quel que soient les moyens employés. Je ne veux pas le savoir. Croisez toutes les informations qui remonteront de vos bureaux avec la liste de noms fournie par ce trafiquant, Juan Contreras. Jones, si ce n’est pas déjà fait, vous allez demander à votre agent de partir pour Amsterdam, de prendre en charge ce garçon. Vous lui fournirez l’appui discret dont il doit avoir besoin. Je ne veux pas qu’il lui arrive malheur. Il est notre seul lien avec les méchants. A propos, sait-on où a atterri Avercamp ?

- A Moscou, M. Le Président. Mais il a disparu immédiatement. La police a saisi son Jet sur notre demande. Toutefois, Avercamp devait bénéficier de soutiens au sein des forces de sécurité de l’aéroport puisqu’il a filé entre les mailles du filet… Les Russes le recherchent dans Moscou, mais avec la puissance des Mafias locales, il y a peu de chances pour que l’on remette la main sur lui, avança Anderson qui continuait de fusiller Jones du regard.

- Monsieur Olmes, vous me transmettrez le texte de mon intervention dès ce soir et vous ferez prévenir les chaînes de télévision de la conférence de presse de demain. Rendez-vous demain dans la salle de presse.

 

PAYS DE L’EST, LE 14 DECEMBRE

 

Jack fulminait. Une bouteille de vodka ouverte et vidée aux trois-quarts était posée sur son bureau. Les écrans laissaient défiler les news de C.N.N..

Il était rouge. Sans doute l’effet de l’alcool sur un homme dont le foie n’avait pas pris de vacances depuis des années.

- Je ne comprends toujours pas. Putain, comment ils ont réussi ça ? Qu’ils détruisent Amsterdam, cela pouvait s’envisager. Mais qu’ils nous balancent un missile sur la tronche au Panama. Alors ça… Je suis scié !

- Ecoute Jack… Nous ne pouvions pas imaginer qu’ils allaient rester les bras croisés. Déjà la dernière fois, je t’avais mis en garde. Quand Clinton avait fait ce discours à la télévision, j’avais senti qu’ils préparaient quelque chose. Bon, on a perdu deux bases. Nous conservons nos moyens, tous les logiciels sont en sûreté dans le bunker. Avons-nous avons perdu ce Jim ? Le gars d’Avercamp ?

- Non. Il est dans la nature et il n’était pas sur la liste de l’équipe D. A propos, je suis assez content de la réactivité des gars de l’équipe D. Ils ont démontré une efficacité… Froide et parfaite. Quant à Jim, nous devons reprendre contact avec lui. Il doit errer quelque part dans Amsterdam en se demandant ce qui lui arrive.

- Je pense qu’il faut convoquer un conseil. Jack, nous allons avoir du travail pour calmer tout notre petit monde. Et puis, il va falloir des fonds pour remonter quelques bases.

- Oui. Tu as raison. Je fais partir les messages de convocation.

- Dis moi, pour financer les nouvelles bases, on pourrait peut-être relancer l’histoire de ce gars, l’espagnol. Tu sais le magnat de la presse. Celui qui lutte contre le système. L’ami de la nana que Jim avait sautée pendant trois jours…

- Oui, bien sûr que je me souviens de ce type. C’est effectivement sans doute le moment. L’enquête de l’équipe D n’avait rien fait ressortir d’anormal. Nous pouvons proposer une opération d’approche au cours de ce conseil.

- Moi, je suis OK pour ça.

- Ca marche. Je fais partir les e-mails.

- Toujours rien à propos du serveur du Nasdaq ?

- Non. Rien. Je crains qu’ils n’aient trouvé notre petit piège qui devait faire cracher des données fausses au serveur. Ils ont dû désamorcer notre bombe à retardement. Il est décidément temps de relancer nos opérations !

 


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