Marie Dorigny dénonce au travers de ses photos les trafics d'êtres humains et notamment le travail des enfants dans le monde. "Ca paraît une telle injustice sociale Ce que lon fait à ces enfants est tellement monstrueux que je ne peux pas envisager de faire ça pendant 15 jours et puis tourner le dos et passer à autre chose " |
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Il y a des gens
comme ça... - Kitetoa: peux-tu-te présenter brièvement ? - Marie Dorigny: jai 40 ans, je suis née à Grenoble où jai passé les 20 premières années de ma vie à ne pas trop me poser de questions. Jy ai fait un Deug de lettres parce que je voulais devenir prof en fac. Jai eu la bonne idée daller faire ma licence et ma maîtrise à la Sorbonne à Paris. Là, dun seul coup, jai pris conscience quil y avait toute une vie intellectuelle et artistique à Paris, que je ne soupçonnais pas. Ca ma donné lenvie de faire autre chose. En année de maîtrise, jai postulé pour un poste dassistante de Français aux Etats-Unis. En fait, cest ça qui a fait basculer mon parcours. Jai commencé à voyager, à rencontrer un tas des gens. Ca ma ouvert des horizons que je ne soupçonnais pas et lorsque je suis rentrée en France, je navais plus du tout envie de retourner à la fac. Jai arrêté. Jai postulé pour un boulot dans mon canard local, le Dauphiné Libéré. Jai commencé comme journaliste à 23 ans. Pendant les sept premières années, jétais donc rédactrice dans la PQR (la presse quotidienne régionale) avec tout ce que cela implique, les faits divers, les pompiers, les agressions de vieilles dames, les chiens écrasés Pendant trois ans, jai fait des papiers dans le domaine économique. Ca mennuyait profondément Puis, jai fait des sujets dans le domaine scientifique et médical. Cétait déjà beaucoup plus intéressant parce que je rencontrais des gens avec de véritables passions. Mais tout ça, ça ne me faisait pas beaucoup voyager.Donc au bout de sept ans jai démissionné. Pour devenir photographe. Cela fait maintenant dix ans que je suis photographe. - Quels sont les grands thèmes que tu abordes au travers de ton métier, à part le travail des enfants ? - Les deux premières années, jai commencé avec le tout-venant. La révolution roumaine, la guerre du Golfe, jétais avec les Kurdes en Iraq à ce moment là. Jétais en Inde au moment de lassassinat de Rajiv Gandhi. Mais ca me frustrait pas mal. Parce quil faut travailler très vite, transmettre très vite. On ne voit pas ses images. Elles sont éditées et diffusées par des gens alors que lon est toujours dans le pays en train de travailler donc on perd totalement le contrôle sur ce qui se passe en post-production. Javais limpression deffleurer les problèmes et de ne pas avoir le temps de rester dans les pays pour rencontrer vraiment les gens. Jai rapidement eu lenvie de faire du magazine. En 1992, jai eu la chance de travailler avec Capa qui faisait un documentaire pour les Nations-Unies sur lexploitation des enfants dans le monde. Cétait un projet Capa/BIT (Bureau International du Travail). Des amis à Capa mon dit que je devrais faire la couverture photo de ce documentaire. Cest un projet que jai mené pendant deux ans. Et que je continue de façon épisodique depuis cette date. Ca a commencé avec le travail des enfants puis jai enchaîné avec un projet personnel sur la famille et le sida dans 5 ou 6 pays. Cela fait pas mal de temps que je travaille sur les problèmes de trafic dêtres humains. En fait tout ce qui concerne les droits de lhomme, et surtout de la femme. Tout ce qui est exploitation des êtres humains en général. - Comment entre-t-on dans un combat comme celui que tu mènes contre le travail des enfants ? Tu reviens régulièrement sur les mêmes lieux pour rendre compte de lévolution de la situation - Cest un aspect de ma personnalité : jaime bien passer du temps sur les choses. Fouiller un sujet jusqu'à avoir limpression davoir compris des choses essentielles. Et puis cest vrai que le travail des enfants Je ne comprends pas que lon ne sengage pas dans cette lutte Ca paraît une telle injustice sociale Ce que lon fait à ces enfants est tellement monstrueux que je ne peux pas envisager de faire ça pendant 15 jours et puis tourner le dos et passer à autre chose Après on peut toujours réfléchir aux motivations personnelles Cest toujours complexe Disons que depuis toujours je veux faire du journalisme social parce pour moi -cest peut-être un mythe- le journaliste est quelquun qui participe à lévolution de la société, qui favorise les changements de mentalités, qui est là pour dénoncer, pour que derrière, il y ait des changements. Cest une vision peut-être un peu glorieuse de la profession, mais cest vrai que jai été nourrie des livres de Kessel, de Londres, de London qui étaient journalistes et écrivains et qui ont posé de vraies questions sur leurs sociétés. - Dans ce genre dactions, de reportages difficiles, on peut être tenté de simpliquer plus. Quelles sont les limites que tu te fixes, celles que tu ne veux pas franchir ? - Moi, jai limpression dêtre simplement quelquun qui traduit linformation. Qui est une étape intermédiaire entre laction et le " spectateur ". Je ninterviens pas dans mes photos dans la mesure où je ne les monte pas, je ne les met pas en scène. On peut le faire, on peut faire des illustrations pour dénoncer des choses. Moi je me contente du photo-reportage. Je photographie un instant. Mes limites par rapport à ce que je vois Cest un peu au coup par coup. Il y a des choses que lon découvre sur soi-même au moment où lon est confronté à une situation. Je me suis retrouvée une ou deux fois dans une situation où je nai pas fait la photo. Où jai dû intervenir pour empêcher que quelque chose qui me choquait se produise. Cest quelquun que lon est en train de frapper devant moi et je nai pas envie de rester là à faire les photos, jai envie dêtre là physiquement pour empêcher une personne de se faire battre. Cest une petite fille qui est sur le point dêtre excisée. Moi je ne peux pas faire la photo, moralement, je ne peux pas être complice, je considère que mon devoir cest dempêcher que cette petite fille soit excisée, cest un peu comme si on me demandait daller photographier un viol. Quest-ce que fais ? Je fais la photo du viol pour dénoncer la violence contre les femmes ou alors jempêche cette femme de se faire violer ? Cest le questionnement que chacun peut avoir face à ce genre dévénements. Cest la fameuse photo du Bengladesh où des soldats se font trucider à la baïonnette par des soldats indiens. Il y a trois photographes sur place ce jour là. Deux font la photo et un refuse de la faire. Aucun des trois nest condamnable, simplement chacun a son éthique personnelle. Cest vrai que cette photo, une fois publiée a tellement choqué lInde quIndira Gandhi a pris des mesures pour que cela ne se reproduise pas. Ces histoires de limites, cest un questionnement que nous avons, que les journalistes, mais plus encore les photographes ou les gens de télévision ont parce que cest vrai que souvent, des choses arrivent justement parce que nous sommes là. Il ny a pas de bases théoriques, cest sans doute à chacun de sadapter en fonction de sa morale et de son éthique personnelle à la situation et de se poser ses limites. - Quel est le bilan personnel que vous tirez de ces sujets difficiles ? Vous avez sûrement beaucoup appris et reçu, mais en même temps cest assez destructeur - Je nai pas encore analysé totalement les raisons qui me poussent à aller vers ces sujets là. Pourquoi est-ce que je vais quasi systématiquement vers des histoires comme ça qui sont très lourdes à mener parce que ces reportages demandent des mois de travail, en recherches puis pour obtenir les photos, parce que sont toujours des situations où le photographe nest pas franchement souhaité ? Après il y a tout ce qui se passe au niveau humain et vécu. Il y a effectivement des moments de grand bonheur parce que lon rencontre des gens fabuleux dans ces circonstances. Il y a des gens qui se battent, des gens qui militent. Donc, cela fait des choses très positives. Mais en même temps on voit tout ce que lhumanité a de plus abominable et de plus condamnable dans ses comportements. Cela finit par engendrer une vision un peu noir du monde. Un peu pessimiste. Au niveau professionnel, on a beau être content davoir fait ces photos , on se pose la question la question de leur utilité. " Vais-je modifier quoi que ce soit avec ces photos ? ". Moi, je continue à y croire. Je pense que mon travail est tout petit, mais quil y a plein de gens qui font le même et que lon peut peut-être arriver à bouger des choses tout doucement, à nous tous. Il ny a quà voir ce qui se passe actuellement avec le mouvement anti-mondialisation. Ce nest pas né dhier. Ce sont des années et des années de militantisme sur toute la planète qui dun seul coup convergent et qui trouvent actuellement un écho. Ce qui sest passé avec Bové, je trouve ça très intéressant. Je me dis quil faut réfléchir sur du très très long terme en se disant que lon met des petites pierres, que cest un parcours que lon met en place tout doucement. Mais cest vrai que parfois je suis très impatiente. Et quand je me dis que ces photos denfants, je les ai faites il y a pratiquement dix ans et que la situation est toujours la même pour la plupart dentre eux, ça a un côté très frustrant. On peut avoir envie de capituler. Après il y a tous les problèmes que cela peut poser au niveau personnel. Quand on vit des choses comme ça, quand on voit des choses comme ça, que lon rentre ici en France, que lon voit les autres qui vivent tranquillement dans une routine plutôt sympathique Il y a des moments où moi, je préfèrerais ne pas en savoir autant sur ce qui se passe autour de nous. Parce que ça me coupe peu à peu de la vie ordinaire. Jai du mal à vivre de façon tout à fait ordinaire et à récupérer de ces voyages. Parce que ce que jai vu et entendu, je ne peux pas forcément le faire partager. Je peux le montrer dans les magazines, mais je ne peux pas limposer aux gens que jaime. Il faut les préserver de tout cela parce quils nont peut-être pas forcément envie de prendre toute cette noirceur et tout ce désespoir dans la figure. Donc il faut arriver à le vivre seul. Cest pas toujours facile. - Quest-ce que lon peut faire pour lutter efficacement contre le travail des enfants ? - Les experts narrivent pas à se mettre daccord entre eux et je suis loin dêtre une experte Cest toujours le même problème. Le travail des enfants existe dans les pays pauvres. Ca paraît évident, mais cest comme ça. Cela veut dire que lon est dans un problème économique et de survie des enfants et des familles On peut souhaiter que les institutions internationales comme la Banque Mondiale ou le FMI soient plus efficaces, quelles nexigent pas des choses impossibles. Très souvent, elles ont des programmes qui poussent les gouvernements à couper dans les budgets sociaux, de léducation. Que pouvons nous faire, ici ? Il y a à peine 10% des produits fabriqués par les enfants qui nous sont destinés. Cest donc un problème local. A notre niveau, quand une entreprise de nos pays va simplanter là-bas, on peut peut-être déjà mettre en place dautres règles du jeu. Cest à dire, au lieu de pratiquer la sous-traitance en cascade et dessayer de casser les prix au maximum, et bien cest implanter en construisant des usines, en engageant des salariés et en les payant des salaires décents. Mais si des entreprises bien de chez nous vont dans ces pays là, cest bien pour ne pas faire ça, au contraire, cest pour réduire au maximum les coûts de production. Donc il faudrait déjà quil y ait une certaine éthique dans nos entreprises Cest tout le débat sur la mondialisation aujourdhui. Au niveau local, il faut aussi réfléchir à la façon dont on aide ces pays qui tolèrent le travail et lexploitation des enfants. Prenons lexemple des enfants en Inde qui fabriquent les tapis, qui sont des enfants esclaves, exploités totalement et irrémédiablement par des gens qui sont richissimes et qui ont bâti de véritables fortunes sur le dos et le sang de ces enfants. On peut faire toutes les conventions des droits des enfants que lon veut, les faire ratifier par tous les pays que lon veut, mais tant qu "il ny aura pas une véritable volonté politique dans ces pays de faire respecter les lois Chez nous, il y avait du travail denfant de manière massive il y a peine 100 ans. Il y a eu plus de croissance, des syndicats puissants, des lois qui encadrent les modes de production Je nai pas de solution miracle - Tu as fait une photo célèbre, qui a pas mal ennuyé Nike
- Ils ont tenté de faire pression sur le magazine ? - Non, ils nont pas fait pression avant. Ils savaient que nous avions un dossier en cours, mais ils ne sattendaient pas à cette photo. Il y a beaucoup dinformation sur Nike et la façon dont ils violent les conventions internationales en matière de travail. Mais les photos sont plutôt difficiles à avoir car les grands industriels refusent laccès aux journalistes à leurs entreprises dans ces pays là. Cétait un mauvais coup pour eux. Quand ils ont eu la publication en mains, ils ont effectivement eu des échanges de courriers avec Life qui remettaient en cause mon travail et lintégrité de mon travail. Au lieu de poser les vraies questions qui auraient été par exemple de se demander sil y avait vraiment des enfants qui travaillaient pour eux et voir comment changer ça, ils ont eu la réaction classique qui est : le journaliste ment. Cest plus facile Propos recueillis par Kitetoa
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