Sangatte: joueurs de polo contre manifestants...
Une manifestation a eu lieu samedi dernier devant le centre de Sangatte. Bilan, quelques blessés. Pas par la police. Par un cheval... Sangatte, ouvert en septembre 1999 par la Croix Rouge à la demande de l'Etat français pour accueillir les nombreux réfugiés kosovars tentant de rallier le Royaume Uni, héberge finalement une majorité de réfugiés irakiens et afghans, inexpulsables en raison de la situation dans leur pays. Il est désormais question de fermer ce lieu au plus vite. Pourtant, comme l'indique la Croix Rouge dans un communiqué datant du mois de mai 2002, cela fait "Trois ans qu'elle signale que la fermeture de Sangatte conduirait à revenir à la situation antérieure, c'est-à-dire la présence de foyers d'indigence et de précarité extrême dans les rues et les jardins publics de Calais. Trois ans enfin qu'elle martèle que la solution est politique, et qu'elle passe par une harmonisation des législations européennes relatives à l'immigration, comme le proclame l'appel lancé à Berlin par les Croix-Rouge européennes en avril dernier". Dans le même document, la Croix-Rouge déclare, à propos de la volonté affichée à l'époque par Nicolas Sarkozy, Ministre l'Intérieur: "Le gouvernement a entendu le message. Le ministre de l'Intérieur l'a approuvé le 23 mai lors de sa visite sur le site - la première d'un ministre français - en déclarant que la fermeture de Sangatte était "un objectif, et non un préalable"." Il apparaît aujourd'hui que Nicolas Sarkozy a pourtant fait de la fermeture de ce centre un véritable objectif.
Depuis quelques temps, une société de gardiennage privée (payée par Eurotunnel, société propriétaire des hangars), a procédé au "badgage" de près de 3000 réfugiés. Ce "badgage" est un préalable à la fermeture progressive du centre, prévue le 15 novembre. A cette date, seuls les réfugiés munis d'un badge seront autorisés à pénétrer sur le site. Les autres seront réduits à adopter les solutions d'avant l'ouverture du centre: dormir dehors, dans les blockhaus de la seconde guerre mondiale, nombreux dans ce secteur. La date du 15 novembre est également celle à partir de laquelle on ne peut plus expulser de personnes de leur logement en France. Cela s'appelle "la trêve hivernale". Il n'y a donc pas de trêve pour les réfugiés. Dans le même temps, on construit à quelques kilomètres de là, à Coquelles, un centre de rétention...
La manifestation de samedi 19 octobre avait donc comme objet de protester contre la fermeture du centre, qui ne règle rien, et jette à nouveau sur les routes des centaines de réfugiés qui n'auront nulle part où aller tant que le problème n'aura pas été réglé, et ce au niveau européen.
Le centre des réfugiés est situé au milieu de prairies. Lorsque nous sommes arrivés, nous avons pu constater qu'environ 5 personnes jouaient au polo (tout un symbole!) dans l'une d'elle, à proximité immédiate de la manifestation. Nous avons aussi rapidement appris que des manifestants avaient été agressés par des habitants d'une rue toute proche du centre, frappés avec leurs propres pancartes. En dépit de cette ambiance quelque peu "étrange", la manifestation se déroulait extrêment calmement. Après des prises de paroles de différents groupes, tant français qu'anglais, une compagnie théâtrale fit une apparition surprise: déguisés en aliens, une dizaine de personnes tenta d'entrer dans l'enceinte du centre des réfugiés. Cette entrée leur ayant été refusée, ils remontèrent dans leur bus.
Quelques secondes après leur départ, un mouvement de foule se déclencha. On crut d'abord à une charge de la police. En réalité, c'était bien une charge, mais celle d'un des chevaux des joueurs de polo. Les premiers manifestants purent s'écarter, mais la foule était trop dense, et le cheval finit par heurter plusieurs d'entre eux. Trois militantes furent jetées à terre. Un réfugié afghan tenta d'agripper le cheval, mais il fut à son tour renversé. Passées les premières secondes de surprise, les policiers écartèrent la foule. Bilan "officiel": trois blessés, dont la plus atteinte souffrait visiblement d'un sévère traumatisme crânien et restait inconsciente. Deux autres blessées plus légères, atteintes aux jambes. Trois ambulances vinrent soigner ces blessés. Curieusement, malgré l'insistance de nombreux manifestants, le quatrième blessé fut ignoré pendant de longues minutes par les forces de l'ordre. Il fallut une grosse persévérance de la part de plusieurs d'entre nous et du personnel de la Croix Rouge pour qu'une quatrième ambulance soit appelée et le réfugié afghan secouru. Il semble qu'il faille une carte de séjour pour que l'on daigne appeler les secours pour vous...
On sut malheureusement plus tard que la plus touchée des manifestants, Arlette Deverdenne, conseillère municipale des Alternatifs à Calais, était très grièvement blessée, les médecins se montrant réservés sur le pronostic [l'état de santé de cette personne s'est depuis amélioré]. On sut aussi que les joueurs de polo font partie d'une association qui milite pour la fermeture pure et simple du centre de réfugiés. Ce qui nous était dès le départ apparu comme une provocation avait tourné au drame... L'évasion du cheval n'était probablement pas intentionnelle. Mais il n'est pas inutile de relever le symbole que représente cet accident: des joueurs de polo provoquant de graves blessures à un réfugié et à des manifestants pacifiques...
Quelques liens à propos du centre de Sangatte:
Depêche AFP sur l'étude du centre de Sangatte de Smain Laacher, sociologue au CNRS