Petite ballade en Indonésie
Bali et Lombok
Bali est sans aucun doute la plus grande fabrique de meubles du monde. Ibiza est d'ailleurs rempli de magasins qui écoulent des containers de meubles rapportés de Bali. Etrange comme les deux îles se trouvent un destin commun à part celui d'attirer les babas cool de toute la planète... On y trouve tous les meubles en bois tendre (souvent du cocotier) que l'on trouve dans les boutiques de déco un peu branchées de la capitale parisienne, comme Square (pour ceux qui connaissent). Passons. La seule différence entre une boutique parisienne ou d'Ibiza et celles de Bali, c'est le prix. Prenez un miroir à 100 F (après une mauvaise négociation) à Bali, vous le retrouverez à 2 ou 3000 F à Paris...
Mais ce n'est pas bien grave, le pauvre bougre Balinais qui touche à peine 100 F par mois ne le saura jamais...
Je ne sais pas pourquoi je vous parle de meubles alors que j'étais parti pour vous raconter des histoires politico-économiques...
Bon, revenons donc à ce qui m'amenait. En fait, après avoir fait deux ou trois excursions dans l'île de Bali, après avoir visité un ou deux temples hindous, vous aurez à peu près tout vu. Oui, bien sur, les paysages sont étonnants (il faut aller voir Ulu Watu) mais rien qui puisse couper le souffle comme en Australie par exemple.
Nous sommes donc partis pour l'île de Lombok toute proche. Une demi-heure d'avion et une situation assez différente de Bali. Lombok est bien plus sauvage. Le tourisme y est moins développé, mais suffisamment tout de même pour que certains produits de base aient enregistré une très forte hausse de leurs prix. Trop pour les locaux qui sont dans leur majorité des paysans extrêmement pauvres. A peine avions-nous atterri, que des émeutes éclataient. Les musulmans (90% de la population) avaient décidé de brûler tout ce qui symbolisait les chrétiens, des églises à leurs maisons, en passant par les magasins ou les hôtels... En fait, les attaques visaient principalement les Chinois, censés êtres chrétiens...
En quelques heures, la situation était devenue si tendue que le patron de l'hôtel est passé dans les rangs de chaises longues sur la plage pour nous demander de ne quitter l'hôtel sous aucun prétexte. Un peu plus tard, il refaisait le tour des popotes pour nous demander de trouver un moyen de quitter l'île au plus vite. Puis, plus tard encore, de rentrer dans nos chambres et de ne pas résister si les émeutiers débarquaient. Il faut dire qu'à quelques centaines de mètres de l'hôtel, les magasins partaient en fumée et que des tirs étaient échangés... Passons...
Après deux jours d'incertitude et de rumeurs en tous genres (c'est toujours comme ça dans ces cas là. On se serait crus revenus aux moments des événements en Calédonie...) les derniers touristes, dont votre serviteur, ont été évacués sous protection de l'armée dans un avion spécialement affrété.
Dans l'aéroport de Lombok, on pouvait lire la peur sur les visages des locaux chrétiens, ou musulmans d'ailleurs, qui tentaient de quitter l'endroit avant que la situation ne devienne similaire à celle qui prévaut depuis des mois à Maluku, une autre île où les affrontements entre musulmans et chrétiens ont fait des centaines de morts...
Arrivés à Bali, certains indonésiens venaient discrètement nous demander de leur donner des informations sur la situation à Lombok. Une grande partie d'entre eux craint que le même genre de problème éclate à Bali. "Il suffit qu'un provocateur brûle un temple hindou [90% de la population pratique l'indhouisme] pour que ceux-ci s'en prennent aux musulmans", nous confiait un indonésien...
Le F.M.I. favorisera-t-il un coup d'état en Indonésie?
Tentons une petite analyse de la situation... Depuis quelques semaines, les rumeurs de coup d'état général en Indonésie se font plus claires et persistantes. Il faut dire qu'une bonne partie de l'armée à très mal pris le départ du dictateur Suartho après trente-deux ans au pouvoir et l'arrivée le 20 octobre dernier d'un président démocratiquement élu. Ces membres de l'armée peuvent craindre, comme à chaque chute de dictature, de se voir reprocher quelques exactions passées... Or depuis l'arrivée de ce président des troubles ont éclaté dans plusieurs îles et dans la capitale, opposant les communautés religieuses. Etrange... De là à dire que certains membres de l'armée soutiennent des agitateurs qui parfois vont jusqu'à payer les paysans pour qu'ils aillent casser des églises, il n'y a qu'un pas que des européens installés en Indonésie depuis quelques années n'hésitent pas à franchir allègrement. "La différence entre les plus pauvres et les personnes qui gagnent correctement leur vie est telle que la situation n'est plus tenable. Plus personne ne voit ce qui pourrait changer. Les gens sont désespérés. Et dans ces cas là, il est facile de manipuler les foules. L'armée pourrait reprendre le pouvoir en accusant le gouvernement de ne pas savoir assurer la paix civile", nous confiait un résident étranger.
Dans ce contexte, le Fonds monétaire international a annoncé avoir repris des négociations avec le gouvernement (elles avaient été rompues il y a quelques mois en raison d'un scandale financier local). Le F.M.I. annonce donc tout heureux, comme le gouvernement d'ailleurs, que des millions de dollars en prêts à taux préférentiels vont à nouveau couler dans l'économie locale. Mais bien sûr, encore une fois, le F.M.I. demande en échange de sa magnanimité que le pays fasse des efforts: austérité budgétaire, libéralisation de l'économie, désengagement de l'Etat, etc. Encore une fois, les crânes d'oeuf de Washington appliquent des recettes d'apprenti sorcier. En fait, le Fonds ruine un peu plus les classes les plus défavorisées et enrichit un peu plus les classes les plus riches. Cela ne devrait pas aider à faire reculer le spectre d'un coup d'état, au contraire. Mais il est vrai que depuis Washington, il n'est pas aisé de se rendre compte de la situation locale... Faire tourner des modèles économiques sur des ordinateurs avec des chiffres complètement faux c'est simple. Prendre en compte la misère humaine, un peu moins.